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Chroniques
Nouveau projet de budget 2021 : plus de dépenses et plus de dettes
Par Houcine Ben Achour
02/07/2021 | 08:58
5 min
Nouveau projet de budget 2021 : plus de dépenses et plus de dettes

 

Au fur et à mesure des mois qui défilent, il est devenu de plus en plus évident de constater que, depuis le début de l’année 2021, le gouvernement pilotait à vue les finances publiques du pays. Chaque mois, on jaugeait ses capacités à honorer ses engagements de dépenses ordinaires ou de dettes, car, la loi de finances pour l’exercice 2021 comme le budget général de l’Etat étaient loin de constituer la boussole idoine. Seul le ministre de l’Economie et des Finances, Ali Kooli, était persuadé des objectifs budgétaires établis en début d’année et cela en dépit de toutes les réserves formulées et des manquements constatés, ici ou là et notamment du FMI qui en a signalé quelques uns dans son rapport  faisant suite à sa dernière mission de consultation au titre de l’article IV de ses statuts. Au bout d’un semestre, il fallait bien se rendre à l’évidence de la nécessité d’une loi de finances qui tienne compte de certains paramètres que les autorités ont, sciemment ou non, écarté dans l’élaboration du budget de l’Etat pour 2021. C’est aujourd’hui chose faite. En effet, une nouvelle mouture de budget a été élaborée par les services du ministère de l’Economie et des Finances qui tient compte de l’évolution de la conjoncture et qui intègre par la même occasion certains paramètres qu’on aurait « oublié ».

 

Ainsi, le nouveau projet de budget 2021 reposerait sur une estimation de croissance économique de 3,7% à prix constant et non plus sur de 4%. Il se fonderait sur un cours moyen du baril en année pleine à  67 dollars et non plus à 45 dollars. Il tiendrait compte aussi de la grave situation financière que traversent certaines entreprises publiques et des difficultés que pourraient rencontrer toute opération de levée d’emprunt sur les marchés financiers extérieurs. Il intégrerait également certaines dépenses non inscrites dans le budget initial alors qu’elles sont inhérentes à des obligations contractuelles du gouvernement comme par exemple le recrutement dans la fonction publique de chômeurs de longue durée ou bien les augmentations de salaires des magistrats ou encore la régularisation de la situation des travailleurs de chantiers. Le nouveau projet de budget envisage même de différer certaines dispositions de la loi de finances 2021, auquel cas, il pourrait s’agir de l’application du nouveau taux d’imposition des bénéfices des sociétés de 15%  pour celles qui étaient assujetties auparavant à 25%.

En tout cas, le surcroît de dépenses par rapport à ce qui était établit initialement est inévitable. Du coup, les dépenses du budget général de l’Etat en 2021 avoisineraient les 56 milliards de dinars contre 51,8 milliards de dinars fixés en début d’année. En comparaison avec 2020 qui a vu une explosion des dépenses budgétaires pour atténuer les effets socioéconomiques de la pandémie, l’augmentation est proprement spectaculaire. La hausse serait de l’ordre de près de 15% d’une année à l’autre alors que le taux de croissance économique à prix courants ne devrait évoluer que d’à peine 8,4%. Du jamais vu.

A ce stade, il s’agit de savoir par quel moyen le gouvernement envisagerait de satisfaire un besoin supplémentaire de dépenses aussi considérable. Et bien, il ne faut pas chercher bien loin car 60% de ce besoin serait assuré par l’emprunt et le reste par une augmentation des ressources propres. Du coup, les ressources d’emprunt du budget seraient de l’ordre de 21,8 milliards de dinars contre 18,7 milliards de dinars prévus par la loi de finances initiale et 15,9 milliards par rapport à 2020, soit une augmentation de plus de 37% d’une année à l’autre. Le gouvernement solliciterait 11,4 milliards de dinars du marché intérieur alors qu’initialement il n’avait prévu d’emprunter localement que la moitié de ce montant. A cet égard, il est fort à craindre que le marché intérieur n’ait pas la capacité de répondre à une telle demande du gouvernement. De plus, les risques d’éviction du secteur privé en seraient la plus périlleuse conséquence alors même que, comme l’Etat, les entreprises ont, aussi sinon plus, un besoin considérable de financement pour faire face aux impacts de la pandémie. Et ce n’est pas tout puisque l’Etat envisagerait dans le même temps de  recourir à l’emprunt extérieur pour un montant de 11,4 milliards de dinars également. Compte tenu de la dégradation de la note souveraine du pays par les principales agences de rating, la levée d’une partie de cet emprunt sur les marchés financiers internationaux ne serait possible qu’au prix d’une très lourde charge de remboursement.

 

S’agissant des ressources propres, elles ne devraient augmenter que de 1,1 milliard de dinars par rapport aux estimations budgétaires initiales. Cependant, là aussi, on peut se demander comment le gouvernement compte dégager ce supplément de ressources alors qu’il a revu à la baisse ses prévisions de croissance. La multiplication des contrôles fiscaux et l’effort de recouvrement suffiront-ils ? En tout cas, cela n’évitera pas d’accroître la pression fiscale qui passerait de 23,8% en 2020 à 25,5% selon le nouveau projet de budget 2021.

 

Le surcroît de ressources devrait servir à boucler un budget des rémunérations qui devrait passer de 19,2 milliards de dinars en 2020 à 21 milliards en 2021, soit une augmentation de plus de 9%, bien au-delà de l’inflation qui se situerait cette année, selon les estimations de la Banque centrale, autour de 5%. Il devrait aussi servir à corriger les prévisions du budget consacré à la subvention de l’énergie (2,5 milliards de dinars contre 0,4 milliards initialement fixé) en dépit des successifs ajustements opérés jusque-là sur les prix du carburant.  Quant au budget d’investissement, il demeurerait le parent pauvre. Seulement 4,7 milliards de dinars lui est affecté par le nouveau projet de budget de l’Etat contre 4,2 milliards en 2020.

La synthèse de tous ces paramètres budgétaires aboutirait à un déficit budgétaire de 9,7% du PIB en 2021 et non plus 6,6% estimé initialement. Un taux sensiblement proche des estimations du FMI. Quant à l’endettement public, il passerait de 84,4% en 2020 à 91,8% du PIB en 2021. Une estimation qui est, elle aussi, proche de celle du FMI. Cela va-t-il pour autant satisfaire l’institution financière multilatérale ? Wait and see.

 

 

Par Houcine Ben Achour
02/07/2021 | 08:58
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