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Chroniques
Éloge funèbre de Béji Caïd Essebsi
Par Nizar Bahloul
25/07/2019 | 15:00
5 min
Éloge funèbre de Béji Caïd Essebsi

 

 

Il est parti finalement. Ça devait fatalement arriver un jour, mais nul ne pouvait parier que ça allait être un 25-Juillet, date de la Fête de la République. Jusqu’au dernier jour, jusqu’au dernier instant, Béji Caïd Essebsi a réussi à nous surprendre, à nous envoyer des messages entre les lignes.

Lors de notre dernière rencontre, debout devant moi, il s’est adressé à Taïeb Zahar, président de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux, en me montrant du doigt : « Nizar Bahloul, je le connais très bien, mais lui, il ne me connait pas assez ! ». C’était sa manière de me dire que mes critiques à son encontre, la période précédant cette rencontre, étaient erronées ou pas très exactes. Il était alors question de l’héritage du pouvoir à son fils Hafedh. Avait-il raison ? Les jours suivants ont montré qu’il n’avait pas tort, il a agi en Homme d’Etat jusqu’au bout. Nos récents articles et chroniques sur Business News l’ont expliqué en long et en large. Ça rassure nos consciences, car on a donné à Béji ce qui appartient à Béji et on sait qu’il a toujours été un de nos fidèles et réguliers lecteurs.

 

Il a été un homme d’Etat jusqu’au bout, il a tenu parole et a respecté la Constitution jusqu’au bout, quoiqu’en disent ses adversaires politiques, en cette période, avec leur lecture tronquée et de mauvaise foi de la Constitution.

Il a été celui qui a réussi à mettre fin à une injustice qui n’a que trop duré à l’encontre des mamans tunisiennes, celle de ne pas pouvoir voyager avec leur enfant sans l’accord paternel.

Il a été celui qui a réussi à mettre fin à une injustice qui a trop frappé les prévenus, en imposant la présence d’un avocat lors des premiers interrogatoires.

Il ne lui manquait qu’une œuvre et il est parti sans pouvoir la réaliser, celle de l’égalité de l’héritage. Les obscurantistes, les égoïstes, les conservateurs radicaux ont tout fait pour que la loi ne passe pas. Et face à une Assemblée remplie d’une majorité de lâches et/ou d’obscurantistes, la loi de l’égalité n’est pas passée.

 

Béji Caïd Essebsi aura été celui qui a sauvé la Tunisie deux fois, au moins. Une première fois en 2011 en débarquant en pleine révolution à la Kasbah pour mettre le holà à un sit-in qui n’a que trop duré. L’ancien Premier ministre Mohamed Ghannouchi ne pouvait plus, en février 2011, gouverner un pays en pleine révolution et rempli d’opportunistes et de vrais et faux militants réfugiés à l’étranger. Foued Mbazâa, président par intérim à Carthage ne pouvait rien faire et c’est à Béji Caïd Essebsi qu’il a fait appel pour calmer la tension et mener le pays vers des élections. Mission brillamment réussie en dépit de la forte tension, de la cacophonie et de la révolution libyenne déclenchée par la France et qui nous a valu l’accueil de centaines de milliers de réfugiés, pas tous pacifistes et pas tous civils.

La seconde fois, c’était incontestablement à la fin de l’été 2013. Le pays était au bord de la guerre civile, après l’assassinat de feu Mohamed Brahmi le 25 juillet (comme aujourd’hui, paix à son âme !).

Un sit-in a été organisé par quelques députés de la constituante rapidement suivis par des dizaines de milliers de citoyens défendant la République laïque. En face de leur sit-in, les islamistes et les « révolutionnistes » se sont mobilisés pour en organiser un autre. Ce face-à-face, était comme une grenade dégoupillée, elle pouvait exploser à tout moment. Les quelques mètres de barbelés séparant les deux sit-in, les islamistes et « révoluonnistes » d’un côté, les laïcs et progressistes de l’autre n’étaient pas suffisants pour éviter un affrontement sanglant.

A l’époque, Béji Caïd Essebsi n’était rien à part le leader d’un mouvement politique né un an auparavant, Nidaa Tounes. L’ancien président Moncef Marzouki faisait tout pour battre progressistes et laïcs et casser l’étoile filante Béji Caïd Essebsi, leader incontesté du sit-in du Bardo.

 

Parti à Paris pour des soins, M. Caïd Essebsi reçoit à son hôtel Bristol Rached Ghannouchi. Une rencontre organisée, dans des conditions qui sont restées opaques, entre autres par Nabil Karoui (actuellement favori des sondages) et Slim Riahi (actuellement en fuite en Europe).

Au Bristol parisien, Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi fument, malgré eux, le calumet de la paix. On ne fait la paix qu’avec ses ennemis. Le sit-in est levé, le gouvernement islamiste est remplacé par un autre technocrate et cette paix des braves a été couronnée par un Nobel de la Paix octroyé à ses acteurs la centrale patronale, la centrale syndicale, l’ordre des avocats et la Ligue des droits de l’Homme.  Les acteurs ont eu droit aux grands projecteurs, mais les réalisateurs ont préféré rester dans les coulisses, leur mission était achevée, le pays a été sauvé d’une guerre civile.

Quant à Moncef Marzouki, il n’a toujours pas digéré la chose et encore moins ce Nobel qu’on a attribué à quelqu’un d’autre que lui.  Il n’a toujours pas digéré, non plus, sa défaite cuisante avec 10 points d’écart devant Béji Caïd Essebsi.

 

On a été 1,731 million à aller voter Béji Caïd Essebsi ce 21 décembre 2014. Son franc succès de 55,68% lui a ouvert les portes de Carthage. Il voulait être l’héritier de Habib Bourguiba, il l’a été. Il voulait être homme d’Etat, il l’a été. Il voulait la reconnaissance de ses compatriotes, il l’a obtenue. Il voulait partir par la grande porte, il est parti un 25-Juillet. Il ne pouvait mieux espérer !

Adieu père, on ne t’oubliera jamais. Ta photo sera à jamais accrochée dans mon bureau et dans mon domicile ! On t’a aimé et on t’aimera. On parlera de toi comme on parle de Bourguiba. On veillera à ce que ton nom soit enseigné dans nos livres d’Histoire pour que nos enfants te ressemblent.

Je ne sais pas ce que tu aurais préféré, l’Epitaphe de King Crimson ou « On ne vit pas sans se dire adieu » de Mireille Mathieu. Adieu Béji, adieu Bejbouj, adieu monsieur le Président, adieu père de la nation !

 

Par Nizar Bahloul
25/07/2019 | 15:00
5 min
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Commentaires (36)

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Fares
| 27-07-2019 15:30
Difficile de retenir ses larmes en regardant la cérémonie funéraire. Allah yarhmou.

rayma
| 27-07-2019 10:03
C'est pas le moment de parler de bémol hommage au Zaim point barre bravo BN

Watani
| 26-07-2019 12:47
RIEN N'EST '?TERNEL, TOUT A UNE FIN. RABI YARHAMOU, IL A FAIT TOUT CE QU'IL POUVAIT MALGR'? SON '?GE AVANC'?.

HatemC
| 26-07-2019 12:40
J'ai presque essuyé des larmes en parcourant ce texte écris avec justesse....
Les revolutionnistes nous accusent de l'avoir vilipendé nous les laïcs progressistes et même insulté or ces hyènes de malheur confondent critiques et insultes...
J'ai critiqué BCE pour avoir traîné les pieds sur l'égalité et offert aux rétrogrades que la femme reste la complémentaire de l'homme la soumise... Oui je t'ai même donné du sénile...

Mais qui aime bien châtie bien... J'ai même parfois regretté de t' avoir donné ma voix... Ton dernier meeting a Paris avant l'élection présidentielle m'ont convaincu.

N'empêche que tu auras été celui qui a sauvé la Tunisie des mains obscurs et des calculateurs traitres...

RIP président tu resteras dans nos c'?urs... Tchao papa tu as ete un rempart contre l'obscurantisme malgré l'alliance contre nature, tu as joué l'equilibriste du vieux routier en politique... On a appris la sagesse.... Si j'avais ta sagesse je ne serai pas allé jusqu'à te traiter de mamlouk... Sans rancune, repose en paix... HC

LAM
| 26-07-2019 12:26
Paix à son âme.

IB1966
| 26-07-2019 10:23
Ce qu'a fait notre défunt Président pour son pays surtout après le 14/01/2011 est à enseigner dans les livres d'Histoire, et vos hommages à travers l'article de Nizar Bahloul et les posts de ses deux conseillers montrent à quel point il était humain. Repose en paix Président.

hamadi
| 26-07-2019 09:47
bravo nizar,tu as ecris exactement la vie de bajbouj que j ai tres bien connu la famille. en 1966 j ai fais l ecole hoteliere en italie à perugia avec son neveu hamadi chelbi,+j ai travaille au restaurant les dunes à gammarth de kamel caid essebsi,etc....,il ne faut oublier qu à cette epoque il y avait une equipe de democrates=fethi zouhir,ahmed mestiri.beji caid essebsi.allah yarhamou

dalenda bayou
| 26-07-2019 09:46
Bravo Nizar tu as fidèlement traduit les sentiments du peuple Tunisien oui de tout le peuple car les obscurantistes ne peuvent jamais nous représenter. nous pleurons Bajbouj comme nous avons pleuré Borguiba. Ces deux hommes ont bâti une nation fière de son appartenance à l'Islam et de son ouverture sur toutes les autres religions, , une nation reconnue pour sa tolérance , son modernisme et son amour pour la Tunisie. Rabbi Yarhmek ya Bajbouj tu restera toujours dans nos coeurs.

hama
| 26-07-2019 07:22
Belle Oraison funèbre, adressée à un homme d'état qui a su prendre ces responsabilités quand d'autres ils ont tournés le dos et fuis une Tunisie en détresse Allah yarhmou we naamou

habib
| 26-07-2019 05:56
Bravooo Nizar ...