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Tribunes
Ettakatol a-t-il perdu son âme ?
30/01/2012 | 1
min
Ettakatol a-t-il perdu son âme ?
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Par Walid BEL HADJ AMOR
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Le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL) plus connu sous le nom d’Ettakatol est un parti qui porte son âme dans son nom. Le FDTL est un forum, donc un espace public d’échange, qui cherche à consacrer la démocratie à travers la stabilité et la garantie de séparation et d’équilibre des pouvoirs, en faveur de l’intangibilité des libertés individuelles et publiques, de l’Etat de droit, et qui lutte pour l’emploi, la cohésion sociale et les principes d’égalité entre la femme et l’homme. Il s’inscrit dans les valeurs d’une civilisation arabo-musulmane fondamentalement moderne et ouverte sur les cultures du monde, et un Etat qui veille à éviter l’instrumentalisation de la politique dans le champ religieux et de la religion dans le champ du politique, dans un régime républicain et civil qui garantit la liberté de croyance. Je n’invente rien, tous ces principes sont directement extraits du programme du parti.

Alors, qu’est-ce qui pourrait justifier l’absence du parti à la marche organisée à l’appel de plusieurs partis démocratiques et associations le 28 janvier 2012 ? La décision de ne pas participer à cette marche est une décision politique, dont la portée dépasse largement le cadre de la coalition de gouvernement.
Cette décision politique consacre tout d’abord le double langage du parti, qui répète à qui veut l’entendre que la coalition n’est pas une alliance, or c’était là une occasion rêvée de le prouver, en montrant à ses alliés son attachement aux libertés, qui reste un thème que le parti partage a priori avec tous les démocrates. Malheureusement, les calculs politiciens auront eu le dessus Samedi.
Le FDTL ne semble pas convaincu que la liberté, l’un des principaux mots d’ordre de la révolution, est aujourd’hui menacée, par les agissements de groupuscules et d’activistes religieux, dans l’indifférence totale du gouvernement. Il ne semble pas voir la violence verbale et physique qui, aujourd’hui, se déchaîne contre les journalistes, les médias, et plus généralement les intellectuels de ce pays.

Cette violence est, de plus, instrumentalisée par le pouvoir pour faire taire les critiques. Tout comme le parti ne semble pas avoir entendu les appels à la violence proférés par un député au nom de la religion, dans l’indifférence totale de son secrétaire général et désormais président de l’Assemblée Nationale Constituante. Il faut dire qu’il est tellement obnubilé par le passé, qu’il ne voit le retour de la dictature que sous les traits de l’ancien RCD, pourtant l’histoire montre que la dictature se régénère souvent sous de nouveaux visages.

Il ne faut pas oublier que le camp des démocrates était heureux du succès du FTDL aux élections, que l’on aurait pu imaginer comme le futur chef de file de l’opposition démocratique, prêt à s’engager dans un large rassemblement social-démocrate. Malgré cela le parti a choisi d’entrer dans une coalition de gouvernement avec un parti dont il ne partage aucune valeur, ce qui en a choqué plus d’un y compris dans son électorat, et a semé le trouble jusque dans ses rangs.

Aujourd’hui, le FDTL connaît des défections nombreuses, ce qui prouve que l’état-major n’est plus en mesure de justifier ses choix auprès de sa base, mais cela n’excuse pas les campagnes de dénigrements à l’encontre de ces militants démissionnaires, tant ils se sont investis depuis la révolution. A défaut du leader de l’opposition démocratique qu’il n’a pas voulu être, allant jusqu’à se couper de sa vraie famille politique, le parti se contenterait-il d’être un faire-valoir moderniste d’un parti islamiste conservateur et fondamentaliste ?

Le parti justifie son choix d’entrer au gouvernement par sa volonté d’éviter une bipolarisation du paysage politique, ce qui dénote d’une profonde erreur d’analyse, car cette bipolarisation est un fait, et le clivage sur le modèle de société est aujourd’hui une réalité qui va au-delà des clivages des positionnements socio-économiques. Attention, le fait que ses électeurs aient été en majorité des conservateurs n’est pas une raison de se détourner de ses principes fondateurs. Un parti doit convaincre et non s’adapter à l’électorat, d’autant qu’au lendemain de la révolution et dans une profusion de partis, la première élection n’est nullement un indicateur fiable du positionnement de l’électorat. Dans un paysage mouvant, un parti dont les positions bougent aussi risque de passer à côté de son électorat.

Le FDTL risque de faire les frais d’une double stratégie du « cheval de Troie », l’une initiée par lui et l’autre par son allié, qui espère toujours l’utiliser pour se donner une certaine respectabilité, et enfoncer le camp des démocrates. Dans tous les cas de figure, les électeurs préfèreront toujours l’original à la copie, et l’avenir nous dira si le parti se sera sacrifié pour la bonne cause, ou s’il se sera sabordé pour rien.
Aux militants stoïques qui justifient l’absence du parti à la marche, contre la violence et pour les libertés, par le fait qu’elle ne reflèterait pas l’opinion du peuple, mais simplement d’une élite bourgeoise, je veux dire qu’ils ont doublement tort.

D’abord, parce que les absents ont toujours tort, tort de ne pas avoir observé cette foule qui rassemblait des gens de tous horizons, militants et non militants d’un large spectre de sensibilités, y compris des femmes voilées, tous unis pour défendre des valeurs fondamentales dans la continuité du 14 Janvier 2011.

Ils ont tort, car la présence d’une élite intellectuelle n’est pas en soi une tare. L’élite intellectuelle se doit d’être présente dans l’expression et la conduite des choix d’une société. Dans toutes les sociétés du monde, il y a une élite intellectuelle, et c’est lui faire un mauvais procès que de lui reprocher ses prises de positions, et de vouloir l’opposer au « peuple ». Quel « peuple » d’ailleurs ? L’élite fait partie du peuple, et le combat pour l’égalité c’est justement de vouloir hisser tout un peuple au niveau de son élite. Ce que le programme du parti appelle « le rôle d’ascenseur social du système éducatif ».
Tout comme personne ne peut revendiquer la révolution à son actif, personne plus qu’un autre ne peut se réclamer du peuple, le peuple c’est moi, c’est vous et tous les autres, et personne ne peut en être exclu sous prétexte qu’il est plus instruit ou qu’il aurait été plus favorisé qu’un autre. La vie est ainsi faite, elle est souvent injuste, et le rôle du politique est de lutter contre ces inégalités.

A mes amis qui militent au FDTL, je voudrais dire que vouloir créer la confusion entre l’élite intellectuelle et le pouvoir financier serait une grave erreur, d’abord parce qu’il n’y a pas lieu de les confondre et nous avons bien vu de quel côté s’est rangé l’argent avant et après les élections, et d’autre part parce que cette « élite » descendue dans la rue samedi est majoritairement composée de salariés, (et non de rentiers) et elle rassemble souvent ce qu’il y a de meilleur dans notre société.
Alors prenez garde aux discours populistes. Opposer les Tunisiens, les uns aux autres, n’apportera rien de bon.

NB : Tous les passages en caractères italiques sont extraits du programme Ettakatol en 100 propositions.

*Walid BEL HADJ AMOR ingénieur, est membre actif au sein de plusieurs associations professionnelles ou citoyennes agissant dans les sphères politique, économique et sociale, il est membre fondateur du groupe de réflexion Nida 17 Décembre, qui œuvre pour le rassemblement des forces démocratiques.
30/01/2012 | 1
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