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Le statut de la femme dans la société tunisienne, un acquis en danger ?
17/12/2020 | 10:15
5 min
Le statut de la femme dans la société tunisienne, un acquis en danger ?

 

Par Tony Verheijen*

La Tunisie est souvent citée comme étant à l'avant-garde des droits des femmes dans le monde arabe, en raison du statut unique de la femme tunisienne. Depuis l’adoption en 1956 du Code du statut personnel (CSP), les Tunisiennes se sont engagées plus largement dans le développement du pays. Plus récemment, elles ont joué un rôle central durant la transition démocratique qui a suivi la révolution.

Depuis que j’ai pris mes fonctions à Tunis, j’ai pu observer à maintes reprises la place importante de la femme tunisienne dans la société et dans le monde professionnel. Un nombre croissant de femmes occupent aujourd’hui des postes de direction aux plus hauts niveaux de la fonction publique et du secteur privé. Par ailleurs, les indicateurs sont encourageants : le pays se classe 4ème en matière d’égalité de genre dans la région MENA. Les femmes tunisiennes ont un taux d’alphabétisation de 72 %, représentent 42 % des étudiants du supérieur et occupent 36 % des sièges parlementaires. 

Se pourrait-il cependant que ces chiffres masquent une réalité plus contrastée et soulignent une disparité géographique et sociale ?

 

Selon le Global Gender Gap report 2020, la publication  du Forum économique mondial sur l'inégalité hommes-femmes,  le classement de la Tunisie en matière d’égalité de genre a chuté, entre 2006 et 2020, du 90ème au 124ème rang, sur un total de 153 pays. La tendance de l’indice global se retrouve au niveau des sous-indices. La Tunisie passe ainsi du 97ème au 142ème rang en matière de participation économique et opportunités de travail, du 76ème au 106ème rang en matière d’éducation et du 53ème au 67ème rang en matière de participation politique.  Malgré son apparente bonne performance par rapport aux autres pays de la région MENA, la tendance en Tunisie est alarmante, les acquis sont fragiles et le chemin vers l’égalité reste long.

 

En effet, si les femmes représentent 67 % des diplômés du supérieur, elles ne représentent que 24,6 % de la population occupée. Le chômage touche deux fois plus les femmes (22,5 % ) que les hommes (12,4 %) et cette disparité est encore plus exacerbée dans les régions de l’intérieur du pays (Gabès, Kasserine, Jendouba, Kébili, Gafsa et Tataouine) où le taux de chômage féminin atteint une moyenne de 35 %. Par ailleurs, seulement 23,3 % des nouveaux crédits au logement sont accordés aux femmes, et elles continuent d’être victimes de violence globale, c’est-à-dire, d’au moins une forme de violence (physique, sexuelle, psychologique ou économique).

 

Malgré leurs résultats universitaires, les jeunes femmes pâtissent d’une faible intégration dans la vie économique. La décélération des recrutements dans le secteur public, qui compte 39 % de femmes, est un facteur important, mais n’explique que très partiellement cet état de fait. D’autre éléments entravent l’inclusion et l’autonomisation économique des femmes, comme l’absence de systèmes de soutien abordables et de qualité pour les mères peinant à concilier travail et famille, le code du travail, la violence domestique, ou encore la prédominance d’attitudes et de valeurs plus conservatrices que ne le laisse entendre le progressisme du CSP. Ces inégalités freinent le développement économique et social du pays en le privant d’une partie de ses forces vives.

 

 

La violence à l’encontre des femmes surprend dans un pays comme la Tunisie. Nous avons eu écho de présomptions d’actes d’intimidation envers des femmes entrepreneurs qui s’occupent de transformer des ressources naturelles en produits à haute valeur ajoutée. Ces femmes offrent  ainsi une opportunité d’inclusion et d’autonomie financière à d’autres femmes rurales.  Il est impératif de préserver les initiatives entrepreneuriales des femmes afin de promouvoir leurs droits économiques tout en encourageant toute une génération de jeunes diplômés de l’intérieur du pays à s’engager dans l’entrepreneuriat. Les enjeux de la crise de la COVID-19 ne doivent pas mettre en péril des efforts, certes parfois timides, en matière d’innovation et d’inclusion économique. Au-delà de l’inégalité de genre qui n’a pas sa place dans une société moderne, la violence sexiste empêche les femmes d’entrer et de progresser sur le marché du travail, de réaliser leur plein potentiel et de servir ainsi d’exemple à leurs enfants.

 

 

Enfin, le manque d’égalité en termes de droits économiques pénalise les femmes qui sont fortement désavantagées pour l’accès au crédit, à la propriété foncière et aux produits financiers. Cette inégalité entrave leurs initiatives entrepreneuriales ou commerciales et leur autonomie financière s’en trouve affectée. Selon le rapport 2020 du Forum économique mondial sur l'inégalité hommes-femmes, seulement 2,9 % des entreprises tunisiennes ont un capital à majorité féminine. Ainsi, l’importance des garanties dans les décisions d’octroi de crédits, associée au code successoral qui prévoit que la femme n'hérite que de la moitié de la part de l'homme, du même degré de parenté, constituent des blocages majeurs aux droits économiques des femmes. Il faut continuer d’espérer que le dernier grand projet du défunt président Essebsi concernant le droit d’héritage sera réalisé afin de combler cette inégalité fondamentale. 

L’énergie, le courage et le dynamisme de la femme tunisienne d’aujourd’hui reste un élément unique dans une région où subsiste l’inégalité entre les genres. Tout comme leurs mères et grand-mères qui, dans les années 60 et 70, ont investi de nombreux champs professionnels, que ce soit dans les secteurs de la santé ou de l’éducation, dans la fonction publique ou les entreprises privées, les jeunes femmes d’aujourd’hui sont capables d’innover. Elles intègrent les secteurs d’avenir, les start-up les plus sophistiquées et maîtrisent les métiers les plus pointus. On s’attend à ce que la Tunisie, pionnière en matière d’égalité des genres, encourage cet esprit d’innovation en protégeant les femmes des violences de ceux qui défendent le statut quo, en leur garantissant leurs droits économiques et en leur offrant l’égalité des chances au travail comme elle le fait déjà en matière d’éducation. C’est cela aussi la démocratie.

 

* Antonius (Tony) Verheijen est responsable des opérations de la Banque Mondiale pour la Tunisie.

 

17/12/2020 | 10:15
5 min
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Commentaires
aldo
==== il suffit que tout tunisien patriote ====
a posté le 22-12-2020 à 22:40
se procure d'une tondeuse et ciseaux pour barbes , bidon de javel pour désinfecter, karcher pour bien décrasser et le lance flamme pour ne pas laisser de traces , et la femme tunisienne rayonnera .
msf
gouvernement mondial
a posté le 18-12-2020 à 12:25
Quelle que soit la pertinence du contenu de cette tribune, je trouve qu'elle est irrecevable sur la forme.

Monsieur Tony V. en tant que haut fonctionnaire de la Banque mondiale, quelle est votre légitimité pour donner des leçons sur des questions complexes, analysées du seul prisme économique et de façon superficielle ?

Maintenant la Banque mondiale nous donne des leçons sur l'égalité !


GZ
Mon sentiment
a posté le à 04:22
Je ne pense pas que l'auteur engage la Banque Mondiale par ses propos . A mon sens , l'auteur nous livre l'avis et le ressenti de quelqu'un qui vit dans ce pays , observe ses m'?urs et s'y intéresse . Il n'y a pas lieu d'être choqué .
Le jour où on ne vivra plus de quête , où l'on se passera de perfusion extérieure on sera crédible dans le rôle des vierges effarouchées .
Mangeons la pitance que la Banque Mondiale et les autres bailleurs de fonds veulent bien nous jeter à défaut de " cultiver notre jardin " .
Houcine
Distinguer.
a posté le 17-12-2020 à 22:28
Certes, on peut souscrire au constat de la situation plus avantageuse des femmes tunisiennes comparativement. Mais, par comparaison avec quelles femmes et de quels pays ? Au Maghreb, peut-être, quoique je ne ne peux l'affirmer n'ayant pas les éléments.
La situation des tunisiennes est contrastée, puisque certaines ont gagné des libertés par leur statut social, professionnel et l'autonomie économique qui les émancipe des soumissions de toutes sortes. La vie d'une femme ayant suivi une scolarité longue est plus aisée. Elle a des armes pour s'affirmer et conquérir la place qu'elle vise, là où sa semblable doit tenir, ou plutôt se tenir à sa place seul gage de relative tranquillité et possible accès au marché matrimonial aux règles implicites très strictes, nonobstant les exigences explicites. Une femme ne peut exister socialement hors le couple si elle veut e happer à la marginalisation.
'? contrario, les cités urbaines peuvent offrir des échappées hors ce cadre astreignant. Mais, les célibataires femmes doivent se "surveiller" et une de leurs parades consiste à cohabiter. Ce qui allège le poids financier, et surtout le poids du contrôle social. Ensemble on se protège et l'on offre l'image en miroir que la société attend... exige.
Au-delà des distinctions scolaires, sociales et de capital culturel et symbolique qui peuvent expliquer les contrastes observables, on peut noter le poids des mentalités qui reste prégnant et pèse sur les femmes d 'un poids que les lois ne peuvent corriger. On peut relever le désavantage des femmes au sein de la sphère domestique, même si là aussi les différences existent selon le niveau socio-économique du foyer... Dans les couches modestes et rurales, le labeur des femmes dévolu à la sphère familiale, domestique, occupe l'essentiel de leur temps. Cette activité est regardée, et même "revendiquée" paradoxalement comme leur revenant, sans doute parce qu'elle donne une place et un rôle considérable à celles qui n'en auraient guère sans cela. Les mâles s'accordent à le leur céder parce que ce serait leur fonction naturelle. En tout cas, une part fondamentale de leur fonction.
Certains diront sye bien des hommes partagent les tâches domestiques, et dans le cas de couples actifs professionnellement, de fait la gestion du foyer impose cette répartition. Encore que des enquêtes qualitatives pourraient démentir un tel argument.
Sans aller plus loin, on peut convenir que nulle autosatisfaction ne doit être de mise s'agissant des femmes dans leur rapport aux hommes, aux mâles du groupe familial, comme au sein du couple.
Les filles, les femmes tunisiennes ont plus de latitude que leurs cons'?urs des pays voisins ou semblables. Le débat dur l'égalité en héritage montre, si besoin, que l'idée d'égalité est encore une promesse.


Dr. Jamel Tazarki
@Mr. Tony Verheijen
a posté le 17-12-2020 à 21:50
Je commence par donner d'abord ma définition du féminisme positif: "le féminisme positif est un mouvement qui cherche à établir l'égalité politique, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. Le féminisme a pour objectif d'abolir les inégalités homme-femme dont les femmes sont les principales victimes, et ainsi de promouvoir les droits des femmes."

Ma définition du féminisme n'a rien à voir avec le comportement des femmes fatales (du genre Carmen, voir l'opéra en quatre actes de Georges Bizet: https://www.youtube.com/watch?v=_8y1dj7bvjE


Je reviens au sujet de l'article:

50,5% des électeurs inscrits à la élection législative de 2014 étaient des femmes, mais de ces 2,7 Millions de femmes inscrites seulement un Million de femmes ont voté et 1,7 Millions ont préféré s'abstenir

Il s'agissait de la sortie de la femme tunisienne hors de l'état de minorité dont elle est, elle-même, responsable. Mais non, la femme tunisienne a raté cette occasion unique. Elle a raté une occasion unique afin de mettre un terme à la dictature de l'homme dans le monde politique...

En 1784, Emmanuel Kant écrit cette phrase célèbre : "L'état de minorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d'un autre. On est soi-même responsable de cet état de minorité quand la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre. Sapere aude ! [Ose savoir !] Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Voilà la devise de l'Aufklärung"

La femme tunisienne voulait et veut sortir de cette situation décrite par Kant! Et elle avait eu au mois de décembre 2014 la chance de s'en sortir!!! Mais elle n'a pas tiré profit de cette occasion.

50,5% des électeurs inscrits aux élections législatives et présidentielles de 2014 sont des femmes. Oui, la candidate Madame Kalthoum Kannou aurait pu réaliser un véritable miracle et devenir la première femme présidente de la Tunisie et dans le monde arabe, si les 2,7 Millions de femmes inscrites à notre ISIE auraient voté pour elle!

On attendait de l'élection de Madame Kannou une Tunisie sans exclusion, sans discrimination, avec les mêmes droits pour les femmes que pour les hommes. L'élection de Madame Kalthoum Kannou aurait pu être un coup de tonnerre dans notre pays réputé pour son conservatisme vis-à-vis de la femme.

Oui, les femmes tunisiennes avaient toutes les raisons afin de voter majoritairement pour elle, mais elles ont refusé de le faire et je ne sais vraiment pas pourquoi! La faute est à qui? Probablement, à cette idée de vote utile!!!!!

Une jeune compatriote en Allemagne m'a dit: "nous voulons en Tunisie une démocratie plus paritaire qui intègre tout le monde et je crois qu'une femme au poste de Président de la République pourrait être un symbole de changement en Tunisie et un exemple pour d'autres pays arabes."

Vous pouvez imaginer la grande déception de cette jeune fille tunisienne après les élections. Elle m'a dit: "Jamel, nous avons raté une occasion unique afin de mettre un terme à la discrimination de la femme et des minorités! Honte à toutes celles qui n'ont pas voté pour Kalthoum."

La surprise est telle que cette jeune fille tunisienne a refusé d'y croire: "Ils ont dû tricher, ce n'est pas normale que 2,7 millions de femmes refusent de voter pour une femme qui a tous les mérites et les qualités afin de gérer les affaires du pays."

Oui, moins que 0,1% des femmes ont voulu voter pour une femme, et 99,9% ont voté pour un homme ou elles ont refusé de voter! Je ne sais plus vraiment quoi dire que de redire ce qu'a dit un jour le philosophe allemand Kant: "On est soi-même responsable de cet état de minorité quand la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre. Sapere aude ! [Ose savoir!] Aie le courage de te servir de ton propre entendement!"

Très Cher Mr. Tony Verheijen, Oui, la femme tunisienne est elle-même responsable de cet état de minorité dont vous parlez, car la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre (dans ce cas d'un homme)!

Très cordialement

Dr. Jamel Tazarki, Mathématicien

PS: le 16. décembre 2020 (hier) était le 16ème anniversaire de la mort de Mahmoud Messadi, l'écrivain Tunisien originaire de mon village Tazarka, dont l'?uvre et la personnalité ont marqué la vie intellectuelle et politique de la Tunisie de 1957 jusqu'à l'année 2010. Depuis 2011 il est tombé dans l'oubliette sous-prétexte qu'il était un RCDiste --> du n'importe quoi...
@Mr. Tony Verheijen, je vous propose de lire des traductions de Mahmoud Messadi, de celui qui a marqué la vie intellectuelle de toute une génération.
Jilani
Avec KS nous allons encore reculer
a posté le 17-12-2020 à 15:19
Ce président a pour idole le calife Omar qui a offert au prophète sa fille Aicha âgée de 6 ans et mariage sexuel a eu lieu à l'âge de 9 ans, il est contre l'égalité de l'héritage alors que cela profite surtout aux femmes rurales qui travaillent la terre de leur père mais après sa mort ce sont les fils qui prennent la terre et renvoient les s'?urs ou les rendent des esclaves pour leurs épouses. Ce monsieur se justifie par le Coran et ferme les discussions, alors que le Coran a bien employé le verbe "recommander" dans une époque où la femme n'hérite absolument rien de son père ou sa mère.
Alya
Reponse a jilani
a posté le à 15:42
Monsieur ni vous ni moi connaissons KS. Mais ,l homme est marié à une juge spécialiste en criminologie !!!!!
GZ
@ Alya
a posté le à 06:26
Bonjour.
Il ne sert à rien de se cacher derrière son petit doigt ni de chercher midi à quatorze heures . L'homme a exprimé clairement , sans détour , argument coranique à l'appui sa position sur ce sujet .
Statu quo ! On ne touche pas aux privilèges des nos mâles et tant pis si nos mères , épouses , s'?urs et filles continuent d'être traitées à la manière de la cinquième roue du carrosse .
En attendant , en raison de l'absence de volontarisme de nos dirigeants , les parents , futurs de cujus devraient de leur vivant prévoir un partage équitable de la succession entre la fratrie . Sans quoi l'on continuera dans la même injustice , à nourrir ressentiments et ranc'?urs .
Le reste n'est que balivernes .
Bien à vous .