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Chroniques
L’éclaircie ne présage pas l’embellie
Par Houcine Ben Achour
20/12/2018 | 19:04
4 min
L’éclaircie ne présage pas l’embellie

Par Houcine Ben Achour 

 

 Décidément, on ne semble pas prendre la réelle mesure de la gravité de la situation économique et financière que traverse le pays. Le frémissement de la croissance économique ou l’effort de maîtrise des finances publiques ne constituent qu’une éclaircie qui est loin d’être annonciatrice d’une embellie. Tant qu’on n’aura pas jugulé durablement l’inflation et stoppé la dégringolade du taux de change du dinar, il serait illusoire d’imaginer une économie tunisienne ayant repris des couleurs flamboyantes.

 

La sortie du tunnel est encore lointaine et le rythme de cheminement est toujours aussi lent. Cette situation persistera. Comment le serait-elle autrement lorsque la levée de bouclier contre la loi de finances 2019 est aussi large et les intérêts de ses acteurs aussi divergents? L’UGTT réclame à cor, à cri et grève générale, une augmentation des salaires dans le secteur public dont elle sait qu’elle anéantirait tout effort de maîtrise des dépenses budgétaires et particulièrement de dérapages de la masse salariale au-delà de l’objectif minimal de 14% du PIB faute de pouvoir mobiliser des ressources propres supplémentaires.

De l’autre côté, c’est la centrale patronale, l’Utica, qui revendique un même taux de l’impôt sur les bénéfices de 13,5% pour toutes les entreprises, ce qui, explicitement, réduirait les ressources du budget de l’Etat et, implicitement, rendrait caduc le dispositif d’incitation fiscal et inutile toute stratégie de développement.

A cela s’ajoute une autre couche, celle des Ordres qui non seulement ont réussi à préserver leurs privilèges fiscaux mais aussi se défendent farouchement de divulguer toute atteinte à la loi au nom du sacro-saint secret professionnel, ne s’embarrassant pas du fait que cette attitude rend puérile leur contribution à l’exigence absolue de transparence vis-à-vis du devoir fiscal, exigence sans laquelle le principe d’équité sur lequel doit reposer tout système fiscal ne serait qu’un doux mirage, sinon un leurre.

Et voila encore une autre couche, intempestive, de dernière minute, qui fera douter de la volonté de transparence et d’équité du gouvernement en excluant les grandes surfaces du taux plafond de l’impôt sur les bénéfices. Le gouvernement ne pouvait-il pas invoquer l’exception en raison du contexte? L’alourdissement de l’imposition des grandes surfaces alors que plusieurs projets d’implantation sont en cours, Carrefour, Auchan, et récemment la Fnac et Darty, constituent un énorme enjeu en termes de volume d’investissement et surtout d’emploi, pour que le gouvernement n’ait pas été tenté d’accorder momentanément une telle faveur à cette branche d’activité.

 

Et ne voila-t-il pas qu’un groupe hétéroclite de députés est venu en rajouter une couche par un recours en inconstitutionnalité de ces dispositions auprès de l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois rendant hasardeux tout pronostic sur la promulgation de la loi de finances. Le rejet des dispositions de loi de finances objet du recours par l’Instance aurait immanquablement des fâcheuses incidences, au mieux un recours à une loi de finances complémentaire et au pire tout serait à refaire. N’y avait-il pas mieux à faire pour nos élus ?

Au lieu de réduire les ressources de l’Etat n’était-il pas mieux indiqué qu’ils optent, à la place, pour une réduction des dépenses du budget, surtout que l’occasion leur était donnée à travers l’adoption du projet de réforme du régime des retraites dont l’application à partir du 1er janvier 2019 aurait permis de substantielles économies de dépenses budgétaires? Las, il n’en fut rien. Or cette réforme représente un repère parmi d’autres que scrutent  les bailleurs de fonds du pays au premier desquels le FMI sur les intentions de réformes pour sortir le pays de l’ornière des difficultés économiques dans lequel il se débat depuis des années.

La mise en échec de la réforme des retraites ne préfigure pas avantageusement des autres réformes tant nécessaires pour alléger le fardeau du déficit des finances publiques et notamment celle concernant la politique de subvention et particulièrement la subvention à l’énergie. Elle constituera prochainement une exigence absolue des bailleurs de fonds, une condition essentielle à la poursuite du programme de soutien du FMI. En faire fi est possible. La Jordanie s’y est essayée. En mettant en veilleuse le programme conclu avec le FMI et donc son soutien financier, le royaume hachémite a trouvé auprès des monarchies du Golfe, Arabie Saoudite, Koweït et les Emirats un soutien bienveillant,  obtenant, en juin 2018, une aide de 2,5 milliards de dollars. En contrepartie de quoi ? Mystère. Est-ce que cela serait souhaitable pour la Tunisie ?

 

 

Par Houcine Ben Achour
20/12/2018 | 19:04
4 min
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Commentaires (4)

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Forza
| 22-12-2018 17:20
Ceci dit les discussions houleuses à propos du budget 2019 étaient un des meilleurs exercices de la démocratie et les deux parties avaient des arguments solides. Certaines propositions comme le 1% sur les transactions des banques pour renflouer les caisses des retraites sont hasardeuses mais comme on dit ma yitfaris kan ma yitharis.

Nephentes
| 21-12-2018 11:09
On est bien d'accord sur le fait que l'ignorance de la gravité de la situation économique et sociale du pays confine à la débilité. Mais cette situation est elle pour déplaire pour autant à tout le monde ?

Tant qu'il y a une majorité d'imbéciles, il y aura toujours une minorité de profiteurs ; et de manipulateurs.

Si Houcine, qui est pourtant tout sauf un imbécile, omet soigneusement de détailler l'effet dévastateur de la désindustrialisation de notre économie par l'oligarchie semi-m**fieuse en place.

entre 2009 et 2017, ces "grandes familles" ont délibérément abandonnées leurs activités manufacturières ( exemple du textile et de l'électromécanique ) pour s"orienter" vers la spéculation immobilière , l'importation sauvage et massive de biens manufacturier, le "partenariats" avec des enseignes internationales ( dont Auchan, KIABI, ZEN et cie..) et l'évasion fiscale systémique.

Résultat : plus de 100 000 emplois directs et indirects perdus ( Huffington Post 15 mars 2018) , des centaines de PME/TPE en faillite.

Cet épisode est pourtant l'une des causes essentielles du massacre de note économie.

De plus cette oligarchie assure directement l'impunité des circuits de corruption et de contrebande actuelle, notamment au niveau de la haute administration: l'exemple de la Douane Tunisienne qui n'est plus qu'une caricature grotesque de notre souveraineté, se passe de commentaires.

Nephentes
| 21-12-2018 10:53
"Décidément, on ne semble pas prendre la réelle mesure de la gravité de la situation économique et financière que traverse le pays."

C'est en effet un pays où règne l'ignorance et l'irresponsabilité. Cette situation n'est pas pour déplaire à tout le monde.

Tant qu'il y a des inconscients, il y a toujours des profiteurs.

Vous évitez soigneusement Si Houcine de détailler les effets catastrophiques de l'emprise de l'oligarchie semi-mafieuse sur notre économie, et sur son potentiel de développement.

Souligner par exemple que le patronat des "grandes familles" a abandonné le secteur de l'industrie de biens pour se muer en importateur de marchandises , en spéculateur immobilier et en "partenaire" d'enseignes internationales . Provoquant une véritable désindustrialisation de notre économie et le massacre du secteur des PME, notamment dans le secteur manufacturier.

Une centaine de millier d'emplois ont été perdus en conséquence, entre 2009 et 2017.

Cette aberration et ce crime contre l'économie tunisienne est passé sous silence. C'est pourtant l'une des principales causes de la situation actuelle.

Ali Baba au Rhum
| 20-12-2018 21:43
Payer encore, payer toujours ! Il faudrait donc crever de faim pour répondre aux conditions du FMI. L'Etat devrait il aller puiser comme toujours l'argent chez les pauvres pour se renflouer auprès des débiteurs? Il n'en ont pas beaucoup, mais comme dirait l'autre, ils sont nombreux.