alexametrics
jeudi 02 mai 2024
Heure de Tunis : 17:02
Chroniques
Maintenant que Weld El 15 est libre, peut-on s'occuper de Maher Manaï ?
04/07/2013 | 1
min
Maintenant que Weld El 15 est libre, peut-on s'occuper de Maher Manaï ?
{legende_image}

Par Marouen Achouri

« J’ai été accusé à tort d’avoir tué une personne et j’ai été condamné à mort pour un meurtre que je n’ai pas commis. Quand j’ai commencé à m’habituer à cette idée en prison, j’ai découvert par hasard que le vrai coupable est en fait un codétenu. Ce dernier avoue avoir tué la victime devant les autorités. Mon innocence est prouvée. Je suis toujours en prison ». Bienvenue dans le monde de Maher Manaï.
Des slogans retentissants ont été déversés à nos oreilles depuis des semaines : Free Weld El 15, Free Amina et bien d’autres encore. Des comités de soutien se sont constitués, composés de « stars » des médias, d’activistes de la société civile ou de journalistes militants. Résultat des courses, un battage médiatique sans précédent, des milliers de tweets, des centaines de statuts pour défendre un idéal, un principe. Sauf que tout le monde n’a pas droit à son comité de soutien. Il ne suffit pas d’être innocent pour espérer avoir des élus de l’ANC à votre procès ou pour voir votre nom évoqué dans les plateaux télé français par Hind Meddeb.

Pour avoir votre comité de soutien, il faut d’abord que votre cause soit porteuse d’un gain médiatique, pas pour vous mais pour vos soutiens. Un procès pour une affaire de liberté d’expression est le meilleur créneau actuellement. Attention cependant à ne pas pousser le bouchon un peu trop loin comme l’ont fait Ghazi Béji et Jabeur Mejri. La liberté d’expression, c’est bien beau mais vos soutiens ne doivent pas y laisser trop de plumes non plus. La côte des affaires des blessés et des martyrs de la Révolution n’est pas très élevée en ce moment pour cause de lassitude médiatique et, surtout, évitez les affaires de droit commun comme celle de Maher Manaï.
Il n’est pas ici question de minimiser l’importance de défendre des causes justes comme celle de la liberté d’expression. Il n’est pas non plus question de minimiser les efforts et les participations de chacun dans ce type d’action citoyenne. Au contraire, l’effort est louable et il est nécessaire que la mobilisation soit de mise. Le danger réside ailleurs. Le danger est de faire de ces idéaux et de ces combats des produits médiatiques et publicitaires que la machine de l’information consomme et régurgite aussitôt le grand public désintéressé. Le danger est de faire de causes nobles d’éphémères produits de grande consommation.

Pour les défenseurs des opprimés, des droits de l’Homme et de la justice, l’histoire de Maher Manaï a de quoi faire grimper au plafond d’indignation et tirer des larmes de désespoir.
Mis à part les envolées lyriques douteuses, l’histoire de Maher Manaï est d’une exaspérante simplicité. C’est l’histoire d’une personne détenue en prison alors qu’elle n’a pas commis le meurtre dont on l’accuse et que son innocence a été prouvée.
Samy Ghorbal et son équipe ont décrit ce cas invraisemblable dans leur livre « Le Syndrôme de Siliana », voici la suite de l’histoire de Maher Manaï telle qu’ils la décrivent : « Ensuite ? Plus rien. Les policiers ont émis des convocations infructueuses. Boulbaba S. et son complice Zouhair (NDLR : complices du vrai coupable dans cette affaire) ne se sont évidemment pas présentés. Du coup, le dossier est bloqué. En dépit des témoignages qui établissent son innocence, Maher Manaï est toujours en prison et désespère d’en sortir un jour. Oublié de tous, il risque d’y moisir pendant encore de longues années. Le 14 janvier 2012, soit quelques semaines avant l’incroyable rebondissement que nous venons de décrire, sa peine avait été commuée en peine de réclusion à perpétuité. Mais, pour lui, cela ne change absolument rien : si rien n’est fait, il n’est pas libérable avant 2023 ».

La plus flagrante des injustices et la plus révoltante des iniquités se poursuivent sous nos yeux depuis plus de deux ans. Il est vrai que l’on pourrait arguer du fait que nous ne savions pas, mais est-il possible de maintenir cette excuse alors que le cas est devenu public et connu ?
Pourquoi ne verrions-nous pas un comité de défense se constituer pour défendre la cause de ce jeune, emprisonné alors qu’il est innocent, de l’aveu même de ceux qui l’ont condamné ?
La réponse est douloureuse mais il n’existe qu’une poignée de personnes qui ont épousé cette cause et cherchent à trouver des solutions loin des feux de la rampe, des plateaux télé et des flashs des photographes.
Cette cause est délaissée car elle n’apporte pas de « retour sur investissement » médiatique immédiat. Un rappeur condamné pour avoir insulté les flics ça a plus de « gueule ».

La justice est la clé de voute de toute évolution réelle dans une société. Au-delà du politique et du médiatique, c’est la justice qui régule les interactions de la société et c’est, de loin, l’appareil le plus impliqué dans le quotidien des Tunisiens.
Défendre le principe de justice et d’équité est devenu une expression galvaudée et utilisée à tort et à travers.
Si on prétend se battre pour la justice, il faut s’attaquer à ce type d’aberrations et non pas profiter d’un buzz médiatique pour redorer son image ou fuir dans un pays étranger à la première difficulté. Rares sont les personnes capables de se jeter cœur et âme dans un combat aussi difficile. Mais profiter de ce type de tribune, en piétinant le principe que l’on prétend défendre, c’est de l’indécence, au bas mot.

Pendant que les querelles continuent, les faits sont là. Maher Manaï croupit derrière les barreaux en étant innocent. La brutalité de cette réalité devrait titiller les têtes bienpensantes de ce pays pour essayer de faire un geste, d’écrire un mot.
Pendant que certaines personnes profitent d’une lucarne médiatique éphémère pour appuyer leur notoriété, d’autres personnes sont en prison, jour après jour, avec une souffrance bien réelle cette fois et pas du tout éphémère pour le coup.

Maher Manaï en arrive à regretter que son innocence ait été prouvée, Maher Manaï a dû convaincre ses propres parents de son innocence, Maher Manaï n’a rien fait et il est en prison. Voilà une souffrance bien réelle.

*Marouen Achouri, journaliste Business News
04/07/2013 | 1
min
Suivez-nous