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A quoi joue Ben Ali ?
06/06/2011 |
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A quoi joue Ben Ali ?
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Par Nizar BAHLOUL

Il aura donc fallu quatre mois et demi pour que l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali sorte de son mutisme et rompe l’obligation de silence imposée par ses protecteurs saoudiens.
Qu’est-ce qu’on n’a pas lu durant ces quatre mois et demi sur Ben Ali. Du déserteur au traître, en passant par l’escroc, le voleur et le lâche, on a dû épuiser tous les qualificatifs dégradants des dictionnaires, mais rien ne l’a fait réagir.
Et voilà qu’il sorte, via un avocat libanais pour nous dire qu’il ne possède rien à l’étranger ! Ce même qui a réussi à acquitter l’accusé de l’assassinat de Rafik Hariri.

On peut dire tout ce qu’on veut de Ben Ali, mais je doute fort qu’il soit un idiot. A moins que la sénilité due à son âge ne l’ait atteint. Ce qui n’est pas à exclure. Mais quelqu’un qui a occupé des postes si élevés dans l’Armée, au ministère de l’Intérieur, au cœur même de la machine de l’Etat durant une bonne cinquantaine d’années ne peut pas être un idiot.
Quelqu’un qui a su, 23 ans durant, brider tout un pays avec tout ce qu’il compte comme intellectuels, hommes politiques, opposants, hommes d’affaires, artistes, etc. ne peut pas être un idiot.
Quelqu’un qui fait appel à un avocat comme Azoury ne peut être ni idiot, ni sénile.
En tout cas, on n’a pas intérêt à le considérer comme un idiot et il faut lire avec beaucoup d’attention la moindre de ses réactions.

Le message de Zine El Abidine Ben Ali aux Tunisiens est clair : « vos gouvernants actuels, ceux en qui vous faites confiance ou moins confiance, vous mentent ! Ils vous disent qu’ils sont en train de geler mes biens à l’étranger, or je ne possède rien !»
A quoi s’attendait Ben Ali en lançant cette missive ? A ce que les gens sortent dans la rue pour appeler le gouvernement à quitter le pouvoir ? Raté ! Contrairement à Farhat Rajhi, l’ancien président n’inspire aucune sympathie auprès de la masse populaire. Il ne suscite même pas le respect dû à la fonction suprême qu’il a occupée durant 23 ans. Même son titre de président (éternel, selon les codes) lui est contesté.

Contrairement à l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, Ben Ali n’a pas fait de sortie pour demander pardon au peuple.
Moubarak sait parfaitement que le peuple ne lui pardonnera pas ses méfaits, mais il a eu cette dignité de s’adresser à ses compatriotes et de s’expliquer.
Ben Ali n’a pensé qu’à sauver sa peau. Une fois en Arabie Saoudite, il est resté en Arabie Saoudite et s’est mu dans un grand silence, jusqu’à ce 1er juin. Il n’a réagi ni à l’arrestation des membres de sa famille, ni aux 88 accusations portées à son encontre, ni aux meurtres qui lui ont été attribuées, ni aux trésors trouvés dans son palais, ni même pour démentir son coma.
Pourquoi donc a-t-il réagi pour démentir sa possession de biens à l’étranger ?
Hasard du calendrier ? Peut-être. Toujours est-il que la date de sa sortie du 1er juin est étrange. C’était la Fête de la Victoire sous Bourguiba. En s’adressant pour la première à fois à ses compatriotes, Ben Ali a choisi une date sonnant la victoire et un message dans lequel il joue aux vierges effarouchées. Qu’entend-il par là ? Vu le lynchage médiatique dont il fait l’objet au quotidien, qu’est-ce que cela va lui ajouter si l’on sait qu’il n’a aucun bien à l’étranger ?
Toute sa famille quasiment est en prison. Et celle qui ne l’est pas s’est vue dépossédée de tous ses biens. Son cercle proche est en prison et le cercle élargi se fait interroger par les juges d’instruction.
Il n’a pas bougé le petit doigt pour les disculper. Mais il s’est quand même donné la peine d’envoyer un communiqué (le premier depuis sa fuite de surcroît) pour nous dire qu’il ne possède rien à l’étranger. De deux choses l’une : soit il est trop idiot puisqu’il ne pense qu’à son image, ce qui est à exclure. Soit il prépare quelque chose et a une stratégie qu’il a commencé à appliquer avec cette tentative ratée de déstabilisation. Auquel cas, il faudrait savoir c’est quoi cette stratégie. D’autant plus qu’on ne rompe pas le silence imposé par ses protecteurs pour lancer un si léger communiqué.

Il ne serait pas étonnant que des personnes haut placées au pouvoir aient déjà leur idée.
Car au lendemain même de la sortie de Ben Ali, voilà qu’on nous annonce l’arrestation de sa sœur Najet. La police tunisienne (qui avait des yeux partout avant le 14 janvier) aurait donc mis 4 mois et demi pour trouver le refuge d’une vieille dame en fuite ?
Et comme par hasard, encore un !, cette arrestation est filmée dans les locaux du district de police au mépris de toutes les lois nationales et internationales en la matière ! Si je me souviens bien, c’est bien cette même police qui appelait la semaine dernière les médias à respecter les lois et à ne pas diffamer les personnes ? Pourquoi donc se permet-elle de laisser filmer puis circuler une pareille vidéo ? Passons.
Moins de 24 heures plus tard, on nous dit que cette vieille dame, recherchée depuis 4 mois et demi, n’a rien à se reprocher et est donc relâchée !
Une chose est certaine, c’est qu’il y a un peu trop de coïncidences dans cette histoire dont les zones d’ombre sont un peu trop nombreuses.

Ben Ali, tel qu’on le connaît tous et notamment ses opposants, n’est pas quelqu’un qui lâche facilement ses adversaires et ses combats. Son épouse est réputée pour son amour du pouvoir et son soutien démesuré pour sa famille. Ce sont deux rancuniers nés et je doute fort qu’ils s’avoueront vaincus un jour. Dans sa tête, dans la tête de son épouse, Ben Ali est encore président et n’accepte pas sa défaite. Sa sortie du 1er juin a un message entre les lignes et ce message doit être décrypté.
On pourra dire que tout cela est farfelu, que Ben Ali est devenu sénile et que cette histoire ressemble davantage à une théorie du complot avec un ramassis d’indices, qu’à une analyse. Soit.
Mais il n’y aurait qu’une possibilité sur mille que la lettre du 1er juin renferme un quelconque message, il est impératif de ne pas prendre ce risque et de chercher à le décrypter.

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06/06/2011 |
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