Entreprises publiques : La faillite de l’Etat Providence
L’entreprise publique en Tunisie : Actualité, Enjeux et perspectives, tel est le thème choisi par la Conect pour sa conférence tenue ce jeudi 3 mai 2018 à l'hôtel Paris à Tunis. Si les difficultés traversées par ces entreprises ne sont qu’un secret de polichinelle, les chiffres annoncés lèvent le voile sur l’ampleur du désastre.
6524 millions de dinars. Une véritable manne financière ! Non il ne s'agit pas de la fortune estimée d’un riche homme d’affaires ni le montant que réclament les autorités au gendre de l’ancien président déchu Ben Ali, il s’agit du cumul des résultats déficitaires de l’ensemble des entreprises publiques sur l’année 2016. En ces temps de disette économique, ces structures qui sont censées apporter des bénéfices aux caisses bien vides de l’Etat se transforment à leur tour en un véritable boulet. Une maladie qui métastase avec le temps, et à qui les gouvernements successifs se contentent d’administrer des calmants au lieu de traiter l’origine des maux.
Comment expliquer cela ? il serait naif de faire porter le chapeau au simple ouvrier en bas de l’échelle qui s’éclipse de temps à autre ou use de certificats médicaux à répétition. Le mal est plus profond. Dans toute structure, quand le déficit devient structurel, chronique et se creuse d’une année à l’autre, c’est aux gouvernants d’assumer leurs actes. Qu’ont fait les différents PDG des entreprises publiques pour remédier à ces lacunes ? Quelle est l’utilité des rapports de la Cour des comptes s’ils ne sont pas utilisés à bon escient ? Et quid, enfin, du contrôle des autorités de tutelle sur la gestion de ces structures étatiques ? Autant de questions qui se posent et qui restent en suspens.
Chokri Hassine, directeur central chargé du suivi de la productivité dans les établissements et les entreprises publics à la présidence du gouvernement, a tenté de donner des débuts d’explications à cette situation. Dévoilant d’abord des chiffres alarmants de la situation des entreprises publiques 22 entreprises avec capitaux propres négatifs (capitaux propres -2900 mD en 2016 contre capitaux 400 mD), augmentation de la masse salariale de 2580 mD en 2010 à 4000 mD en 2016 et des subventions 5851 MD en 2014, 2600 mD en 2010 +80 % et enfin hausse spectaculaire de la masse salariale dans certaines entreprises entre 2010 et 2016 ( GCT CPG RNTA SNDP CNSS CNAM T.AUTO….), il s’est attelé ensuite à en expliquer les causes.
Il énumère : l'absence de vision sur le rôle des entreprises publiques; les faiblesses de la gouvernance globale du secteur public économique ; les faiblesses de la gouvernance interne des entreprises publiques; les faiblesses du dialogue social (multiplication des grèves); les faiblesses de la responsabilité sociétale (multiplication des mouvements sociaux); l'augmentation du nombre de salariés économiquement infondée; l'augmentations salariales non étudiées, etc.
En résumé, tous les ingrédients d’une mauvaise gestion manifeste sont réunis. Il s’agit d’un terrible constat digne d’un rapport sévère de la commission des Finances du parlement (présidée généralement par l’opposition) ou de la Cour des comptes.
Résultat logique de ces années de carence et de mauvaises gestions, les entreprises publiques, autrefois fleurons de l’économie tunisienne, tirent la langue et croulent sous les déficits.
Ainsi, dans sa présentation, le directeur général d’Ernest and Young Tunisie Noureddine Hajji explique que 50 entreprises publiques (sur les 92 analysées) présentent des résultats reportés négatifs totalisant 6524 millions de dinars, et indique que 11 entreprises publiques (Transtu, Office des céréales, STB, Tunisair, Steg, ONH, Groupe chimique, Office du commerce, SNCPA, El Fouledh) totalisent 78% du total des résultats négatifs reportés. La palme de l’entreprise la plus déficitaire revient à la société de transport public Transtu avec plus de 915 millions de dinars de déficit, talonnée par l’Office des céréales 846 millions de dinars, de la STB 695 millions de dinars et de Tunisair 506 millions de dinars.
Il est à signaler que ces entreprises publiques sont déficitaires de manière chronique et bénéficient annuellement de subventions étatiques assez importantes. On imagine leur déficit sans ce coup de pouce.
Face à ce constat, tous les intervenants sont unanimes sur la nécessité de réformer et de restructurer en profondeur ces entités. « La réforme aura un prix assez lourd mais le prix de l’absence de réformes et de l’inertie est encore plus important » a martelé le chef du gouvernement Youssef Chahed dans son discours prononcé à l’occasion de la conférence.
Faut-il comprendre de cela que le gouvernement entend privatiser un certain nombre d’entreprises publiques ? Sur cette question, Taoufik Rajhi est catégorique : « nous envisageons de restructurer ces entités, c’est notre priorité et on n’a pas évoqué une privatisation pour l’instant, on verra cela après l’assainissement des comptes et la restructuration » a déclaré le ministre chargé des Grandes réformes.
Ennemi juré des syndicats et des partis de gauche qui répètent à longueur de journée qu’il s’agit d’une ligne rouge à ne pas franchir, la privatisation a constitué, à un certain moment de l’histoire de la Tunisie, une aubaine pour les finances publiques.
Ainsi, Zouhaier El Kadhi, directeur général de l'Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives" (ITCEQ), a énuméré les exemples des privatisations réussies de certaines entreprises publiques tunisiennes. A titre d’exemple, la cession de 35% du capital de Tunisie Télécom en 2006 pour 3052 millions de dinars tunisiens a permis une baisse des prix des télécommunications (conjuguée à l’entrée d’autres opérateurs) créant plus de recettes pour l’Etat et plus d’emplois. Par ailleurs, la privatisation dans le secteur du ciment a permis de garantir à l’Etat des recettes à hauteur de 771 millions de dinars tunisiens.
Au vu de l’état des finances publiques tunisiennes, le bon sens voudrait que les décideurs fassent preuve de pragmatisme et de bonne gestion économique, loin des considérations idéologiques et politiques. Avec une croissance à la traine et un taux de chômage qui explose, la Tunisie ne peut plus se permettre aujourd’hui de garder sous perfusion un grand nombre d’entreprises publiques. Celles-ci sont amenées à se transformer et se restructurer, sous peine de disparaitre et de déclarer faillite…
Nessim Ben Gharbia