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La torture, une tare dont la Tunisie peine à se débarrasser
08/05/2014 | 1
min
La torture, une tare dont la Tunisie peine à se débarrasser
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Plus de trois ans se sont écoulés après la révolution qui a renversé le régime de Ben Ali, un régime où les tortures et autres mauvais traitements étaient monnaie courante dans les prisons tunisiennes. Pourtant, les organisations de défense des droits de l’Homme n’ont cessé de condamner la perpétuation de ces pratiques après les événements du 14 janvier 2011. Force est de constater que la torture est moins systématique qu’à l’époque de Ben Ali, mais elle continue d’être fortement exercée notamment à des fins punitives ou pour extorquer des aveux. Etat des lieux d’un phénomène qui requiert une véritable volonté politique pour être endigué.

La date du 8 mai 2014 marquera les 27 ans de décès du militant communiste Nabil Barakati, mort sous la torture au poste de la Garde nationale de Gaâfour. C’est ce jour là que la présidence de la République décrétera officiellement Journée nationale contre la torture. Une importante victoire pour la société civile tunisienne, notamment l’Organisation contre la torture en Tunisie, qui lutte depuis longtemps contre une impunité quasi généralisée visant la question de la torture. Mais qu’en est-il réellement dans les faits ?

Au lendemain de la révolution, le gouvernement a procédé à la ratification d’un bon nombre de conventions internationales, selon l’OTT, se rapportant aux droits humains, à l’instar de l’adhésion au Statut de Rome du CPI ou la Convention internationale pour la protection contre les disparitions forcées. Le pas le plus important, étant l’adhésion au protocole se rapportant à la Convention contre la torture.
Par ailleurs, la loi portant création de l’Instance nationale pour la prévention de la Torture a été adoptée par l’Assemblée nationale constituante le 9 octobre 2013, ouvrant la porte aux candidatures des personnes désireuses d’en faire partie. Cette instance a pour rôle la surveillance et le contrôle des lieux de détention. Les membres de l’instance devront être habilités, d’après Human Rights Watch, à documenter les actes de tortures et les mauvais traitements et à ordonner des enquêtes pénales et administratives. Cependant, l’Instance nationale pour la prévention de la Torture peine à recruter des membres. La présidente de la Commission des Droits, Libertés et des Relations extérieures au sein de l’ANC, Souad Abderrahim, a indiqué que 48 candidatures sont requises pour élire les 16 membres de l’instance. Ils devront bénéficier de l’immunité et d’une prime, ayant ainsi le même statut que les membres des instances constitutionnelles. Le problème réside en ce que plusieurs participants avaient relevé le flou qui entoure la nature de cette instance de même que les exigences auxquelles devront se plier les futurs membres. Une crainte de représailles a été évoquée par certains.
A cet effet, la présidente de l’Organisation contre la torture en Tunisie, Radhia Nasraoui, a recensé des centaines de cas de tortures et de maltraitances physique et psychologique en Tunisie et ce depuis 2012. Me Nasraoui a affirmé que des affaires de torture ont été pour la plupart enregistrées dans les postes de police et dans les prisons. Elle a également précisé que plusieurs plaintes pour torture et mauvais traitements, ont été déposées et que des dossiers ont été soumis à une enquête judiciaire. L’affaire de Walid Denguir, 32 ans, mort entre les mains de la police lors de son interrogatoire, en novembre 2013, indique Radhia Nasraoui, est une preuve que la pratique de la torture est toujours d’actualité. Le jeune homme portait les traces de violences sur le corps. Une affaire qui rappelle celle de Abderraouf Khammassi, 40 ans, mort en septembre 2012 après avoir été arrêté par les forces de l’ordre. Alors que Khammassi accompagnait son épouse à l’hôpital, il a été transféré au poste de police suite à une accusation de vol, On le transfèrera, quelques heures plus tard, du poste de police vers l'hôpital où il décédera des suites d’une fracture au niveau du crâne. Un autre cas plus récent, celui de Mbarka Ouechteti que les policiers auraient poussée à se bruler vive en lui tendant un briquet. D’après l’OTT, la famille a subit des pressions et des harcèlements après avoir déposé un dossier pour maltraitance à l’organisation contre la torture. Radhia Nasraoui a assuré à ce propos qu’il n’existe pratiquement aucun changement visant à éradiquer le phénomène de torture et qu’en dépit de la dénonciation par des associations des droits de l’Hommes, les choses peinent à bouger dans ce volet.

Bien que la situation se soit améliorée depuis la révolution, l’institution judiciaire continue à utiliser les aveux obtenus sous la contrainte et les plaintes pour torture sont encore rarement instruites, démontrant un dysfonctionnement de l’appareil judiciaire. Pourtant, le contexte politique actuel se trouve être favorable à la mise en place de programmes de lutte contre la torture et contre l’impunité.
Plusieurs recommandations sont déjà proposées dans ce sens par la société civile tunisienne, menées par l’Organisation de lutte contre la torture. Activer le processus de justice transitionnelle mettra à jour les violations des droits de l’Homme et pourra rendre justice aux victimes. Cela permettra la mise en place d’un itinéraire judiciaire spécialisé avec des juges et une police judiciaire qui seront sélectionnés en fonction de critères de compétence, d’intégrité et d’indépendance, qui seront consacrés aux plaintes relatives à la torture afin de lutter contre l’impunité et donner l’exemple aux autres agents de l’Etat. Un autre point est important, celui de la réforme de la police et du système pénitencier, en mettant un système de veille pour prévenir les violations dans le futur. Un système qui reprend tout le cheminement judiciaire, de la garde à vue jusqu’à l’emprisonnement, en essayant d’apporter des corrections aux lacunes qui permettraient la pratique de la torture. Les réformes au niveau législatif se focaliseront sur la suppression de l’imprescriptibilité du crime de la torture énoncée par le code pénal de même que l’émission d’une loi obligeant le personnel médical qui constate l’acte de torture à informer immédiatement les autorités.

Jusqu’à ce jour, aucun juge d’instruction ou procureur n’ont été jugés pour avoir fait montre de complaisance et avoir fermé les yeux sur les sévices infligés aux victimes qui ont comparu devant eux. Le corps médical, qui a été témoin et a participé à des actes de torture, de son coté, bénéficie encore de l’immunité. C’est en ce sens là que les dirigeants politiques doivent activer le processus de justice transitionnelle permettant ainsi la mise en place des programmes et réformes en relation avec la prévention et la lutte contre la torture et l’impunité.

Ikhlas Latif


Caricature : Carlos Latuff
08/05/2014 | 1
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