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Tunisie – Zones d'ombre autour de la tirade de Ridha Grira sur le départ de Ben Ali le 14 janvier
11/03/2011 |
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Tunisie – Zones d'ombre autour de la tirade de Ridha Grira sur le départ de Ben Ali le 14 janvier
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Dans le but de mettre fin aux rumeurs et intox qui peuvent déformer l’histoire et perturber davantage l’opinion publique nationale, Ridha Grira, ancien ministre de la Défense nationale a accordé des interviews au quotidien Echourouq et à la radio Mosaïque FM.
Dans ces interviews, Ridha Grira a donné sa version des faits qui se seraient produits lors des derniers jours précédant la fuite de l’ex-président Ben Ali, dévoilant tous les détails des événements et décisions prises lors de cette période tout en évoquant les rôles des principaux acteurs en ces journées cruciales, à savoir les Mohammed Ghannouchi, Foued Mebazaâ, Ali Seriati, Rachid Ammar ou encore Abdallah Kallel…
Ces déclarations, aussi spectaculaires soient-elles, laissent beaucoup de zones d’ombre. Eclairage.

De cette interview-feuilletonesque, il ressort que la situation a commencé à prendre des dimensions dramatiques dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 janvier, lorsque l’ex-président Ben Ali avait ordonné une implication militaire pour maintenir l’ordre dans les régions de l’intérieur alors que ce genre de missions relève officiellement et exclusivement de la compétence des forces de sécurité intérieures.
Ridha Grira exprime son étonnement de voir Ali Seriati, directeur de la sécurité présidentielle, lors de la réunion de coordination tenue au siège du ministère de l’Intérieur, dimanche 9 janvier, contrôler totalement l’opération de coordination sécuritaire entre les deux départements. Il était choqué de voir le patron de la sécurité présidentielle donner des ordres aux militaires, une prérogative que seuls le Chef de l’Etat ou le ministre de la Défense pouvaient assumer. De plus, Ali Seriati parlait de distribution de billets de banque en guise de rémunération pour des parties qu’il n’a pas nommées, ce que M. Grira affirme avoir contesté et rejeté.
Des incitations ont cependant émané de Ali Seriati jeudi soir, 13 janvier 2011, appelant le ministre de la Défense à montrer plus d’efficacité du côté militaire car il est fort probable qu’on n’aura, le lendemain, aucun président pour le pays.
Entretemps, et constatant que certains agents de police et de la garde nationale commençaient à rendre leurs armes, le ministre a demandé aux officiers de l’Armée de n’accepter aucune arme pour éviter toute éventualité d’accusation de complot contre les forces militaires. Et ce n’est que suite à une communication téléphonique avec le président déchu que le ministre de la Défense a admis cette procédure.


Le 14 janvier, vers midi, M. Grira avait reçu un appel du président déchu lui demandant des informations sur un hélicoptère piloté par des agents de sécurité cagoulés autour du palais de Carthage. « Mais quand je l’ai rassuré que tous les hélicoptères sont sous le contrôle de l’armée, affirme M. Grira, Ben Ali m’a dit textuellement : qu’est-ce qu’il a Seriati, alors, il délire ou quoi ? ».
Ce point semble avoir décidé Ben Ali à confier la mission de coordination entre les deux ministères de l’Intérieur et de la Défense au général Ammar.
En ce même jour du 14 janvier 2011, vers 17h30, ajoute Ridha Grira, le commandement des armées de l’air l’avait appelé pour l’informer que Ben Ali avait quitté le pays à bord de l’avion présidentiel, depuis l’aéroport militaire d’El Aouina. « Le voyage du président déchu et des membres de sa famille était programmé, dans un premier temps, pour débarquer à Djerba et son avion n’était pas escorté par 2 avions militaires de guerre comme l’avaient prétendu les rumeurs », insistait le ministre.
Ce n’est que 5 minutes après le décollage de l’avion présidentiel que M. Grira a reçu un appel du président déchu, l’informant, d’une voix tremblotante qu’il se trouvait dans l’avion : « sa voix étaient étrange et somnolente. On dirait celle d’un drogué alors que le numéro d’appel était invisible », déclare l’ancien ministre.
Selon M. Grira, Ali Seriati se trouvait à ce moment là l’aéroport de Tunis-Carthage, en compagnie du directeur du protocole. C’est à cet instant que l’ancien ministre ordonne de lui retirer son arme et son téléphone portable et de l’arrêter. Ce qui fut fait grâce au concours des militaires.

L’invitation des 4 symboles du gouvernement tunisien de la part de certains membres de la sécurité présidentielle avait suscité l’étonnement et l’inquiétude de M. Grira qui a conseillé à Mohamed Ghannouchi de ne pas entrer au Palais de Carthage où il n’y avait personne pour les recevoir. Une demande qui a été catégoriquement refusée par ce dernier.
Seulement, le général Ammar ne s’était pas présenté au palais, précise l’ex ministre, alors qu’Abdallah Kallel, Foued Mebazaâ et Mohamed Ghannouchi ont répondu présents pour faire l’annonce de la vacation provisoire du pouvoir, ce qui faisait de Mohamed Ghannouchi nouveau président par intérim selon l’article 56 de la Constitution.
Ensuite, il a été convenu de tenir une réunion urgente au siège du ministère de l’Intérieur où étaient présents 5 membres du conseil supérieur des armées, M. Ghannouchi, M. Friaâ et de hauts responsables du ministère de l’Intérieur. Une réunion qui s’est poursuivie jusqu’à 3 heures du matin et qui a été conclue par la prise d’une décision collective : appliquer l’article 57 de la Constitution en vertu duquel, Foued Mebazaâ devient président provisoire du pays.
Interrogé sur les rumeurs circulant un peu partout concernant l’éventualité de la prise du pouvoir par l’armée, l’ancien ministre de la Défense a précisé que c’est totalement faux et que les forces militaires ont même refusé d’être l’unique partie disposant d’armes dans le pays.
Il a ajouté, par ailleurs, que le général Ammar n’était pas présent au palais lorsque Ben Ali « a été mis dehors » et que tout ce qui a été dit là-dessus est de l’intox.

Evoquant les péripéties de son départ du gouvernement dit d’union nationale, il a indiqué qu’il n’a pas démissionné de son propre gré, mais qu’il a été limogé alors qu’il aurait préféré continuer à faire partie du gouvernement en tant que ministre de la Défense afin d’assumer sa responsabilité en dévoilant certaines vérités qui le préoccupent ainsi que tous les Tunisiens notamment celles concernant les snipers, les plans de certaines personnes suite à la fuite du président déchu…
Ridha Grira, qui indique avoir reçu un appel téléphonique de Kamel Morjane pour l’évacuer du ministère des Affaires étrangères, assure qu’aucune intervention étrangère n’a eu lieu, ni dans le processus de l’action du général Rachid Ammar ni dans celui de son action en tant que ministre de la Défense nationale.
Fin du récit de l’essentiel du contenu des interviews.

Une lecture analytique de cette interview ou plutôt cette tirade, suscite plusieurs remarques et quelques points d’interrogation.
Tout d’abord, Ridha Grira a voulu se donner un poids et une prestance en faisant un halo autour de supposées révélations qui n’ont, finalement, rien de telles.
Il est utile de rappeler qu’en Tunisie, le poste de ministre de la Défense nationale a toujours été quelque peu honorifique.
Rien qu’en passant en revue les titulaires de ce portefeuilles, on se rend compte qu’ils étaient tous ou presque étrangers au domaine. On citera, entre autres, les Slaheddine Baly, Mohamed Jegham, Dali Jazi, Kamel Morjane, etc. Sans oublier que le véritable chef des forces armées n’est autre que le président de la République. Raison de plus lorsqu’il y avait Ben Ali, un ancien militaire.
M. Grira donne l’impression d’avoir été la plaque tournante ou une sorte de chef d’orchestre qui coordonne tout, arrange et anime les réunions. Il se présente comme étant la principale personne qui était en contact direct avec le président déchu durant les jours ayant précédé ce 14 janvier.
Dans pas mal de passages de son récit, il parle d’officiers supérieurs ou de simples officiers qui lui donnent les infos, sans oublier qu’il reste trop flou sur ce qui s’est passé en ce 14 janvier, journée clé pour la Révolution et la fuite de Ben Ali. Où est l’épisode de la décision du général Ammar de fermer l’espace aérien pendant trois heures au cours desquels il y eut le départ de Ben Ali ? Que fait Seriati à Tunis-Carthage alors que l’avion du président déchu a décollé d’El Aouina ?
Selon diverses sources concordantes, Seriati aurait été arrêté le lendemain du 14 janvier près de Ben Guerdane. L’info a été véhiculée par tous les médias nationaux et étrangers sans le moindre démenti, ni du ministère de l’Intérieur et encore moins de Ridha Grira qui était encore ministre au sein du gouvernement provisoire.
M. Grira semble minimiser le rôle du général Rachid Ammar, notamment lors de la journée du 14 janvier alors que certaines sources indiquent qu’il s’était pointé dès 8h15 le matin de cette journée au Palais de Carthage. D’ailleurs, des articles de médias étrangers, citant des sources en provenance des services de renseignements occidentaux, parlent d’un rôle assez majeur et du général Ammar et de Kamel Morjane.


L’histoire de M. Grira est vraiment « borgne » en évoquant l’option pour l’article 56 de la Constitution pour faire l’annonce de Mohamed Ghannouchi. Qui en a décidé ainsi ? Et qui a chapeauté cette opération ? Où étaient passées les deux barons du Palais de Carthage, Abdelaziz Ben Dhia et Abdelwahab Abdallah alors qu’ils faisaient la une des bulletins urgents de tous les médias audiovisuels et électroniques en cette journée du 14 janvier 2011 durant laquelle ou, du moins, durant la matinée de laquelle, ils étaient encore bien au Palais.
Des témoins oculaires attestent même que M. Ben Dhia est revenu à Carthage le lendemain pour prendre ses affaires et partir du Palais conduisant, lui-même, sa voiture.
Il s’agit là des principales zones d’ombre et des interrogations soulevées par la tirade de Ridha Grira. De là à dire qu’il semble avoir voulu faire un grand coup d’éclat au moment où des voix s’élèvent pour lui demander des comptes lors de la période de son assez long passage à la tête du ministère du Domaine de l’Etat et des Affaires foncières, il n’y a qu’un pas que certains n’ont pas hésité déjà à franchir.
11/03/2011 |
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