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Nabil Chettaoui : comment rendre le sourire à des actionnaires en colère
01/11/2010 |
min
Nabil Chettaoui : comment rendre le sourire à des actionnaires en colère
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Pauvre Nabil Chettaoui ! Etre à la tête d’une entreprise dont les actionnaires n’ont pas les mêmes intérêts et ne regardent pas dans la même direction, n’est pas du tout évident pour lui.
D’autant plus que l’un de ses actionnaires s’appelle … l’Etat, détenteur de 75% du capital de la société. Ajoutez à cela son « défaut » de vouloir toujours plaire à tout le monde et de chercher à satisfaire un maximum d’interlocuteurs et vous aurez une idée sur la difficulté qu’avait le PDG de Tunisair, vendredi 29 octobre, à calmer la colère des petits porteurs (actionnaires à 20%) réunis au cours de l’Assemblée générale de la compagnie aérienne nationale.


Les petits actionnaires de Tunisair sont mécontents et s’ils sont mécontents, voire fâchés, c’est qu’il y a plus d’une raison à cela. La première d’entre elles est de pure forme. L’Assemblée générale se déroule avec plusieurs mois de retard, sans qu’on daigne leur expliquer les raisons ni leur présenter des excuses. Et puis, il y a les problèmes de fond qui sont bien nombreux.
Ces petits actionnaires ont comme l’impression qu’ils sont les dindons de la farce. L’essentiel des décisions se prend sans eux. Normal, puisqu’ils ne sont pas du tout représentés au conseil d’administration de la compagnie. Pourquoi Air France, qui possède 5% du capital, détient un poste à ce conseil et non ces petits porteurs qui possèdent 20% ?!
Et puis, il faut bien qu’on leur explique les raisons de la non-distribution de dividendes pendant cinq ans, le maintien en vie de filiales déficitaires (Mauritania Airways), les retards de la compagnie (plus d’un vol sur 4 est en retard), la cession à un prix jugé dérisoire des parts détenues dans l’UIB et dans l’UTB, les salaires qu’on dit mirifiques des représentants à l’étranger, le cours de l’action en chute libre, la sous-valorisation drastique de la compagnie à la bourse, la baisse du chiffre d’affaires, le prix du billet assez réduit, les avantages accordés aux retraités, le différend avec l’OACA à propos du catering, etc.

Pour un journaliste, il y a de la matière chez Tunisair ! Les assemblées générales durent, en moyenne, une heure. Celle de Tunisair a duré trois heures ! Et si elle a duré autant, c’est que Nabil Chettaoui, contrairement à plusieurs autres PDG, zappe rarement des questions et ne traite jamais de haut ses actionnaires minoritaires.
La seule question qu’il a cherché à zapper (vainement finalement) a été celle des dividendes. Avec beaucoup d’insistance, il indique que c’était une condition exigée lorsque la compagnie a bénéficié de la suspension, durant cinq ans, du paiement de l’impôt sur le bénéfice.
Pour le reste, il répondra aux questions une à une.
S’agissant de Mauritania Airways, M. Chettaoui indique que cette société évolue dans un environnement difficile et que la compagnie n’envisage nullement de supporter ce déficit indéfiniment. Plusieurs scénarios sont à l’étude dont celui de la cession pure et simple (surtout que la Mauritanie envisage de créer une autre compagnie aérienne) ou encore le redéploiement dans la sous-région.

En ce qui concerne les retards de la compagnie (plus de 25% des vols avec un retard moyen de 64 minutes), il évoque la vétusté des appareils et le renouvellement de la flotte pour réduire ces retards. Quand on lui fait la remarque que certains retards sont imputés au nombre réduit du personnel et l’exigence faite par son ministère de tutelle de ne plus recruter, il indique que les décisions du ministère sont au contraire sages et bénéfiques pour Tunisair qui les partage totalement. Plutôt que de recruter, il s’agit de pousser le personnel de l’entreprise à avoir un meilleur rendement et une plus grande efficacité.
Il ira même plus loin en annonçant que Tunisair ne remplacera plus les départs à la retraite, à l’exception de ceux des pilotes.
Quant au nombre, jugé important, de salariés (3000 personnes pour 30 avions), M. Chettaoui relativise et indique que ce nombre est en moyenne basse de ce qui se pratique ailleurs et que la masse salariale rapportée au chiffre d’affaires (13%) est bien inférieure à celle des concurrents (17%).
Pour ce qui est des salaires jugés mirifiques des représentants à l’étranger, Nabil Chettaoui dément catégoriquement et déclare qu’au contraire, ces salaires sont inférieurs à ceux de nos concurrents installés dans les mêmes pays. Cela dit, ils ont des salaires qui leur permettent d’avoir des conditions de vie décentes et véhiculant l’image de marque de la compagnie et du pays.

Interrogé sur la baisse du chiffre d’affaires, M. Chettaoui attire l’attention sur la baisse des prix du carburant, ce qui a impacté sur les prix des billets, d’où la baisse du chiffre d’affaires.
Il était obligé de suivre la baisse adoptée par la concurrence, autrement il n’aurait pas engrangé des bénéfices. Il faut dire que la concurrence est de plus en rude et que Tunisair profite de moins en moins du protectionnisme de l’Etat (il exagèrera un peu en disant que l’ère du protectionnisme est révolue). Même les fonctionnaires ne sont plus obligés de prendre la compagnie nationale, souligne-t-il, et préfèrent systématiquement la compagnie la moins chère.
A propos du catering et de son différend avec l’OACA, Nabil Chettaoui répond que la question sera arbitrée par le ministère de tutelle puisqu’il refuse de payer les 10% de ristourne exigés et facturés par l’OACA. Quand on lui fait la remarque que c’était bien lui le PDG de l’OACA qui a instauré cette « habitude », il sourit et répond qu’hier il défendait les intérêts de l’OACA et qu’aujourd’hui il défend ceux de Tunisair.
Par ailleurs, et concernant la remarque du commissaire aux comptes que Tunisie Catering est une entreprise totalement exportatrice et peut être déchue de cette qualité puisque ses ventes locales dépassent les limites des 20 et 30% lui offrant plusieurs avantages fiscaux, Nabil Chettaoui récuse cette remarque et indique que Tunisie Catering n’est pas totalement exportatrice et qu’elle bénéficie d’avantages cités dans le code des douanes.

Pour ce qui est des questions boursières, le PDG admet volontiers que la société est sous-valorisée. Hors de question, cependant, de soutenir le cours par des achats massifs d’actions. Il note cependant que la compagnie bénéficie d’un excellent crédit auprès des banques qui se concurrencent entre-elles pour financer le plan de flotte !
Un poste au conseil d’administration pour les petits porteurs ? La question pourrait être envisagée si la part boursière augmente, comme cela est à l’étude actuellement. Aussi à l’étude l’augmentation du capital puisque la compagnie est sous-capitalisée. Mais quelque soit la décision, elle ne lui revient pas.
Se défendant de l’accusation d’avoir vendu les actions de l’UIB à un prix dérisoire, Nabil Chettaoui attire l’attention que cette vente a eu lieu au lendemain de la crise financière mondiale et que personne ne pouvait alors parier si le prix allait augmenter ou baisser, d’autant plus que chacun sait que la vente en bloc se fait indépendamment du cours de l’action. Aussi bien pour l’UIB que pour l’UTB, il indique que la compagnie a fait, au contraire, une extraordinaire plus-value. Sur les raisons ayant motivé cette vente, le PDG répond que ce n’est pas dans la mission de la compagnie d’investir dans des secteurs autres que le sien. « Nous sommes une compagnie aérienne et non un fonds d’investissement cherchant des secteurs porteurs ».

En dépit de la sincérité apparente, de sa patience et de sa courtoisie, Nabil Chettaoui ne semble pas avoir vraiment calmé la colère de ces petits porteurs qui devaient accepter, comme une fatalité, certains faits. Tous savent que Nabil Chettaoui, en bon serviteur de l’Etat, se doit d’abord de répondre aux attentes de son actionnaire principal. Attentes qui ne coïncident pas forcément avec celles des petits porteurs lesquels n’ont aucun pouvoir décisionnel dans l’administration de la compagnie.
Nabil Chettaoui leur gardera des petites fleurs pour la fin, en faisant observer que le titre gagnera bien en valeur dans les cinq ans à venir (surtout s’il y a augmentation de capital et distribution gratuite d’actions). Il ajoutera une touche de romantisme, pour achever, en offrant trois billets d’avion à Venise par le biais d’un tirage au sort. Jusqu’au bout, Nabil Chettaoui tentera de satisfaire tout le monde !
01/11/2010 |
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