
Par Afef Daoud
L’éducation nationale est malade depuis longtemps et la crise actuelle n’est pas un évènement isolé en soi mais un symptôme et une conséquence de cela.
Dans la crise actuelle (comme toute grève), rappelons simplement que le rôle des syndicats des enseignants est de défendre les demandes de leur corps et que le rôle de l’Etat est de savoir anticiper, écouter et gérer la situation. La négociation est un art qui vise le compromis par la discussion où chacune des parties doit obtenir des avantages et faire des concessions afin d’atteindre un équilibre qui sert l’intérêt national ! Or, on assiste plutôt à des surenchères d’accusations et de manipulations médiatiques du public qui ne visent qu’à raviver la haine et les tensions entre les citoyens !
Mais concrètement, que demandent vraiment les enseignants ? Et que pourrait offrir l’État ?
Il y a certes des demandes matérielles, (primes, revue de la situation des directeurs…) mais peut-on leur reprocher ces demandes dans un contexte de détérioration de niveau de vie, d’une inflation record et surtout dans une époque où l’argent est devenu en soi LA valeur suprême? Leurs détracteurs font des comparaisons entre les salaires de l’enseignant et le SMIG en Tunisie comme preuve que les demandes d’augmentation sont extravagantes. La véritable question aurait été de savoir si notre SMIG permet d’assurer le minimum de dignité pour qu’on puisse l’utiliser comme référence. D’autres opposent l’enseignant au chômeur, comme si défendre la décence de l’un exclut de respecter celle de l’autre !
Le gouvernement aurait été peut-être beaucoup plus crédible en s’opposant à ces demandes s’il était cohérent dans sa gestion des finances publiques et n’avait pas accordé des cadeaux lors de la loi de finances 2019 aux grandes surfaces par exemple, ou allouer des subventions pour les voitures populaires qui ne sont pas accessibles pour un enseignant par exemple.
Par ailleurs, le gouvernement aurait dû comprendre et analyser les raisons de ces demandes et leurs causes (la retraite à 57 ans par exemple), car elles traduisent une réalité des difficultés de notre système d’éducation et nous ne les résoudrons pas ni en se bouchant les oreilles ni en entrant dans la boucle des surenchères.
Qu’aurait dû ou que pourrait offrir le gouvernement ?
Prenons un moment pour réfléchir en toute sérénité à la position qu’occupe actuellement l’enseignant dans notre société. L’étude de l’OCDE « Intégrité de l’éducation publique en Tunisie » (réalisée en 2013) montre que l’enseignant tunisien souffre de deux grands problèmes comparativement à ses collègues internationaux et qui sont : (i) Le statut social de la profession enseignante en Tunisie est devenu très bas comparativement aux autres pays de l’OCDE par exemple et (ii) la progression de carrière en termes de salaire après 15 ans d’enseignement est bien plus faible que la moyenne dans les pays de l’OCDE. Ce sont deux éléments très importants pour comprendre la grogne des professeurs et leur désenchantement, voire même désengagement. L’enseignant est de plus en plus « non respecté » dans notre société, dédaigné ou même méprisé par de larges tranches de la société et par conséquent de l’élève. Ce n’est plus un métier qu’on convoite mais un métier dans lequel on atterrit par défaut.
Sur un autre plan, la violence dans nos établissements scolaires a atteint des niveaux sans précédent (des insultes, des menaces, des agressions etc.). Le chiffre des violences a en effet doublé entre 2012 et 2015. Et entre 2015 et 2017 la violence a augmenté de 57% selon une étude menée par l’ITES. La drogue a également envahi les établissements secondaires (31% des lycéens en 2017 entre 15 et 17 ans ont consommé au moins une fois dans leur vie une drogue selon l’enquête sur la consommation des stupéfiants en milieu scolaire en Tunisie).
Et on ne va pas s’attarder encore une fois sur le manque de moyens matériels et pédagogiques, mais il est important de souligner en plus que nos lycées sont dans les faits sans protection, et sans moyens pour y assurer la sécurité des élèves et des enseignants : les élèves sont laissés sans encadrement hors des heures de cours (heures creuses, heures de déjeuner), 47% des lycées n’ont pas de salle de révision laissant les étudiants trainer dehors, avec des vendeurs de drogues et des barbouses tranquillement installés devant les enceintes des lycées (si ce n’est à l’intérieur même des établissements).
Dans ces conditions, la colère et le désarroi des professeurs sont compréhensibles. S’accrocher de manière désespérée aux exigences matérielles devient le seul refuge naturel si rien d’autre ni présenté en plus.
Tous ces éléments ne veulent pas dire que le corps enseignant n’a rien à se reprocher ni qu’ils soient tous de parfaites victimes : et ceci ne nous fera pas oublier l’épidémie des cours privés (sujet abordé plus en détail dans un autre article (*)) ou de l’absentéisme ou de l’abus de privilèges du statut de la fonction publique.
Ces éléments montrent un exemple de ce que le gouvernement aurait dû mettre en équation et apporter sur la table de négociation. Face à l’ampleur de la crise qui grondait depuis des années, (grèves en 2015, 2016, 2017) un gouvernement fonctionnel aurait dû en profiter pour ouvrir un débat national, organiser des assises régionales avec les parents et les professeurs pour engager le vrai débat sur ce qu’il peut apporter aux enseignants et aux parents face à ce qu’il attend aussi d’eux. Cette approche aurait eu le mérite en plus de montrer par l’exemple, l’importance de l’inclusion, de l’écoute et du respect dans notre culture d’éducation !
Car même si cette crise est résolue à un moment ou un autre par juste un compromis financier, malheureusement ceci ne regèlera en rien les causes du mal et ce ne sera qu’un répit momentané avant une autre crise plus aiguë.
Ce n’est pas une guerre des enseignants contre les parents ou des élèves contre les professeurs, ou des citoyens contre l’UGTT. Le grand ennemi est la détérioration d’un des piliers de notre nation, l’éducation nationale. Nous sommes et nous serons tous des victimes si nous ne nous unissons pas et si nous ne poussons pas à un vrai changement du système éducatif. Et les parents (de par leur comportement et leur engagement) et les instances locales ont aussi un grand rôle dans cette équation, ils devraient être beaucoup plus impliqués au quotidien via les associations de parents, de représentants de classe ou autre. Une culture que nous n’avons pas encore et que nous devons instaurer.
La crise de l’éducation nationale ne doit pas nous diviser, au contraire elle devrait nous unir pour lutter tous ensemble. Et le rôle du gouvernement est justement de créer le cadre pour unir ces forces et non semer la division, d’être force de proposition et d’écoute et garant de la stabilité des écoles et de la sécurité de nos enfants et tous les citoyens. Car c’est cela ce que c’est de gouverner !
Afef DAOUD est Vice-présidente du Conseil National d’Ettakatol. Elle est expert en Finance internationale et en stratégie et leadership.
Commentaires (2)
Commenterça suffit, arrétez vos bobards, l'argent nous ne manque pas, il est ailleurs
La crise de l'?ducation

