Pierre Biron, professeur honoraire de pharmacologie médicale, Université de Montréal, Canada

Par le Dr Lassaâd M’sahli *
La santé est l’un des secteurs où la science est essentielle. Il est l’objet d’enjeux économiques très importants où les informations gênantes n’ont pas de place. Hélas, contrairement à l’aviation, la santé n’a pas utilisé pleinement le savoir scientifique pour sécuriser les personnes et protéger leurs intégrité physique et mentale.
Les déviances, dans le secteur de la santé, commencent par des pratiques contraires aux slogans de marketing brandis et prônés par l’industrie pharmaceutique (fabrication de médicaments et de dispositifs médicaux) de type « créateur de santé » ou « protecteur de santé ». Certes, c’était le cas au XXème siècle et l’éradication de plusieurs maladies comme la poliomyélite, la variole, le typhus et bien d’autres est une bonne preuve de ce qui a fait la notoriété de l’industrie pharmaceutique, il y a un temps. Tout cela sans coûts financiers excessifs. Malheureusement, nous sommes bien loin de cette situation.
L’actualité qui nous vient des systèmes de santé anglo-saxons, bien plus efficaces à protéger la santé de leurs citoyens, n’est guère rassurante. Chaque période apporte son lot de scandales de santé. Rappelez-vous le scandale de l’amiante, celui du sang contaminé, celui du Vioxx, celui du Mediator, celui des opioïdes et le tout récent scandale relatif aux implants et dispositifs médicaux. Il y a lieu de se poser la question suivante : comment autant de scandales puissent-ils filtrer à travers les systèmes de contrôle des autorités de santé des pays les plus avancés ? Certains lanceront des accusations de corruption sous diverses formes allant des conflits d’intérêts, à la prise illégale d’intérêts, aux pots-de-vin, au pantouflage... Cela demeure vrai, mais reste partiel. D’autres imputeront ces défaillances à des problèmes de gouvernance et d’altération de l’architecture du système. Ceci reste aussi vrai dans une certaine mesure mais ne peut, à lui seul, occasionner autant de dégâts dans les différents systèmes de veille adoptés par les différentes autorités de santé.
Le problème est plus profond et plus pernicieux qu’il en a l’air. Il concerne la vocation de l’industrie pharmaceutique et sa raison d’être. Cette vocation qui dessine et conditionne sa stratégie. Paradoxalement à l’industrie aéronautique, qui oriente tout le savoir scientifique disponible à sécuriser, d’abord, la santé des pilotes, astronautes, personnel navigant et passagers comme condition primordiale à la réussite d’un projet commercial (Challenger, Concorde,…), celle pharmaceutique agit soit en occultant le savoir scientifique qui ne sert pas ses intérêts économiques, soit en produisant un pseudo-savoir scientifique en faveur de sa logique commerciale, soit en couplant les deux actions.
Une autre alternative est bien plus cynique : produire de l’ignorance scientifique au sens d’Emmanuel Henry comme dans le cas du saturnisme, de l’amiante, du tabac, de l’alcool ou de la banalisation des effets du tétrahydrocannabinol (THC) (Cannabis, ou Zatla). Le slogan inventé par Brown & Williamson « Doubt is our product » traduit de manière fidèle la stratégie commerciale et celle de défense de l’industrie pharmaceutique. Les polémiques scientifiques actuellement discutées sont nombreuses. Elles concernent les statines, les psychotropes, la chimiothérapie, les dispositifs médicaux, l’obsolescence programmée des médicaments, … Elles n’ont d’échos favorables que suite à un scandale avéré ou révélé. Bien entendu, les financements dont jouissent les armées d’experts au service de l’industrie pharmaceutique, non seulement, étouffent les auteurs indépendants et les lanceurs d’alerte, mais servent à tisser des réseaux qui ciblent et suivent tout le processus décisionnel y compris au sein même des autorités de santé. Ainsi, des informations peuvent être étouffées aussi, voire enfouies ou ignorées ou même disparaitre.
Ces informations qui devraient déclencher, selon les principes de précaution et de vigilance, un processus pour défendre la santé et les vies humaines ne verront pas le jour et n’amorceront pas la moindre action publique pour protéger les citoyens contre un acte abusif à des fins commerciales. L’ignorance statistique et technique engendrera des ruptures de stocks de médicaments essentiels. L’ignorance commerciale et celle des prix engendrera la commercialisation de médicaments à des prix abusivement chers voire indécents dans un pays écrasé par la crise économique qui risque de se transformer en crise sociale incontrôlable. L’ignorance des effets indésirables engendrera la commercialisation de médicaments nuisibles sans intérêt médical, des pertes en vies humaines et des pertes sociales et économiques supportée par la collectivité. L’ignorance de la brevetabilité des médicaments engendrera des coûts de droits de propriétés industrielles indus.
L’inaction publique est aussi le fait d’écarter les plus compétents pour incompatibilité avec le système ou pour menace du marché. Mais tout cela ne peut se faire sans la complicité du politique, passive ou active. Peut-on dire que la vocation du politique est de servir l’intérêt général ?
*Pharmacien-Clinicien, Pharmacoéconomiste, Chercheur en Droit (Bonne Gouvernance et Lutte contre la corruption), Consultant & Evaluateur National auprès de l’OMS et Membre de l’INLUCC.
Commentaires (4)
CommenterLe monde universitaire
Pierre Biron, professeur honoraire de pharmacologie médicale, Université de Montréal, Canada
Ethique et Commerce
ou un enjeu commercial ?". Il y parle évidemment de la Suisse. https://www.revmed.ch/RMS/2012/RMS-345/Le-systeme-de-sante-un-choix-ethique-ou-un-enjeu-commercial
Bravo
Ah mais monsieur évoque l'industrie aéronautique...
INGENIEUR et INGENIEUR!

