
Par Nadia Chaâbane*
J’étais surprise hier d’apprendre que l’ARP a refusé à un cinéaste la possibilité de tourner des scènes de son film intitulé « Fatwa » à l’assemblée. Le tournage ne durant que quelques heures et pouvant se faire le week-end, il n’allait en aucun cas présenter une gêne pour le fonctionnement de l’institution. Par ailleurs, plusieurs cinéastes ont pu jusque-là faire des tournages dans les lieux sans que cela pose de problème.
Pourquoi Mahmoud Ben Mahmoud ne peut pas tourner à l’assemblée, est-ce en lien avec le film lui-même ?
C’est pourtant sous cette même coupole que le 26 janvier 2014 la constitution a été voté et que son article 42 « Le droit à la Culture est garanti. La liberté de création est garantie ; l’État encourage la création culturelle et soutient la culture nationale dans son enracinement, sa diversité et son renouvellement, de manière que soient consacrés les valeurs de tolérance, le rejet de la violence, l’ouverture sur les différentes cultures et le dialogue entre les civilisations. L’État protège le patrimoine culturel et garantit le droit des générations futures sur ce patrimoine. »
Par ce refus, l’ARP vient de porter atteinte à un des plus beaux articles de la constitution qui résume à lui seul ce à quoi en aspire et ce pourquoi on s’est battu durant des décennies.
De plus le refus a été pour les locaux de l’ARP mais aussi pour la chambre des conseillers malgré un accord du ministère du domaine de l’Etat.
En lisant le motif de refus, on ne peut que se poser des questions sur les véritables raisons « le tournage allait provoquer des désagréments dans les locaux » et « les membres du bureau ont exprimé des réserves quant à l’utilisation des locaux de l’ARP pour autre chose que le travail parlementaire ». Ces motifs ne résistent pas à l’analyse d’autant que la demande a été formulée pour une utilisation le samedi soir et le dimanche pour quelques heures et l’équipe de tournage allait remettre les locaux en l’état et que d’autres films ont été tournés dans ces mêmes locaux avec l’autorisation du bureau de l’Assemblée.
On revient donc au véritable motif à la censure et au clientélisme.
Ne pouvant exercer de censure directe sur le film, l’ARP s’est apparemment donné le droit d’y mettre des entraves autrement pourquoi ce traitement différencié des cinéastes ?
En fait c’est le film « Fatwa » qui dérange et le refus de l’ARP n’est ni objectif ni neutre comme on pourrait le croire, c’est une censure déguisée sous des motifs futiles malgré les apparences.
Cette décision a des relents de pensée unique. L’ARP n’a pas le droit d’empêcher la liberté d’expression et de création garanties par la constitution. L’édification d’une démocratie passe par ces libertés fondamentales qui permettent aux citoyens de se libérer des entraves de la pensée unique. Se revendiquer de la démocratie s’est permettre une expression plurielle et libre. C’est semer ce pluralisme et permettre à la tolérance et la différence de s’épanouir pour permettre le vivre ensemble.
*Nadia Chaâbane, ancienne députée à l'Assemblée nationale constituante

Commentaires (6)
Commenter@ takilas | 27-10-2017 21:37
Pour apporter de l'humour et des moqueries il n'a qu'à enrôler Samia Abbou et lui accorder un rôle (moderne) de députée saltimbanque.
@ Nadia Chaâbane
Vous avez raison de pointer l'interdiction signifiée à Mahmoud ben Mahmoud de tourner son film intitulée "Fatwa"; rien que ce titre place d'emblée le film dans le champ religieux, actuellement envahissant, ce que vous qualifiez justement par "pensée unique". l'interdiction de tournage, maquillée très maladroitement par "la gêne pour le fonctionnement de l'institution parlementaire", masque d'emblée une censure délibérée du cinéaste et sa volonté pérenne de dénoncer tout ce qui est boiteux, injuste, condamnable. Qu'on se souvienne de son film "Traversées"1982, où il dénonce le racisme ambiant en Europe envers les immigrés, qu'ils soient européens de l'Est, ou arabes. Aurait-on la possibilité de revoir actuellement ce film en Tunisie? C'est très improbable. Comme il est quasiment exclu de voir à nouveau figurer dans nos salles de cinéma...ou à la télé, le film" Soleil des hyènes" réalisé par le tunisien Ridha Béhi, en 1977 et où Béhi dénonce avec virulence les ravages de l'industrie touristique dans un village côtier du Maghreb. Interdit de tournage en Tunisie (déjà), Béhi s'est rabattu sur le Maroc pour réaliser son film...
Mme Chaâbane, la censure ne refait pas surface à l'Assemblée, elle ne l'a jamais quittée, comme elle a toujours sévi via l'Etat et ses institutions et son administration, via les instances religieuses, leurs mosquées...et via la majorité sociale, toutes catégories confondues. Vous l'avez sans doute compris et suggéré implicitement ce constat accablant : la pratique officielle de la censure ( y compris dans la presse) a été toujours une constante politique et religieuse, mais aussi sociale en Tunisie, et depuis 2011 et la chape islamo-fasciste qui s'est abattu sur l'Etat et la société, le droit canon islamo-fasciste tire à bout portant sur tout ce qui se situe en dehors des normes et de l'idéologie islamiste, en dehors de la charia... L'interdiction de tourner à l'Assemblée faite à Mahmoud Ben Mahmoud équivaut à plaquer sur la bouche du réalisateur un bandeau et sur ses yeux un foulard noir; les Tunisiens sont interdits d'entendre des critiques visant le deux Palais et visant les mosquées et leurs animateurs...
C'est du bon sens !
Triste propos d'une ex-députée pour revenir sur la scène !
La meilleure constitution du monde. Vous en voulez, en voilà
À mon avis le plus humble, les locaux de l'assemblée sont propriété de l'état, ergo appartiennent au peuple. Ce sont ces Tunisiens qui payent la facture de l'électricité, du chauffage, de la sécurité et...le salaire de ces affamés.
Alors qu'ils l'écrasent et permettent ce tournage d'autant plus que partout dans le monde dit démocratique, les locaux de l'assemblée sont toujours offertes gracieusement aux cinéastes à la condition que ces locaux soient libres.