Chroniques
Quitte à user d’autoritarisme, il faut sauver l’État !
Par Nizar BAHLOUL
Ça a chauffé à Ben Guerdane la semaine dernière. Plusieurs manifestations ont secoué la région et l’intervention des forces de l’ordre ne s’est pas faite attendre. Chose devenue classique dîtes-vous ? Non, parce que Mehdi Jomâa était dans la région le week-end d’avant et, en théorie, il devrait y avoir une légère accalmie au cas où il y avait un trouble auparavant. Or la région était bien calme les semaines précédant la visite du chef du gouvernement. Que s’est-il passé ? Des sources bien informées à la présidence du gouvernement nous font la confidence de ce qui n’a pas été dit dans la presse lors de la visite de terrain de Mehdi Jomâa. Loin des caméras, et loin des points de visite officiels où on lui a montré juste ce qu’on voulait lui montrer, le chef du gouvernement s’est débrouillé pour constater de lui-même ce qui ne va réellement pas dans la région. Et ce qui ne va pas est quasiment connu par tout Tunisien qui visite les lieux : la déliquescence de l’État. Un peu partout, vous allez croiser des contrebandiers transportant de la marchandise importée illégalement de Libye. De l’essence se vend partout sur les artères des routes et les devises s’échangent dans des boutiques ayant pignon sur rue. Si ça se trouve, la quantité de dollars et d’euros qui sont échangés dans la région est supérieure à celle de la Banque centrale. C’est exagéré ? Allez vérifier !
C’est à la limite un secret de Polichinelle que de parler de corruption de fonctionnaires publics censés préserver les intérêts de l’État. Ça, c’est la partie visible de l’iceberg. La partie invisible concerne la contrebande de stupéfiants et d’armes. Toutes les armes trouvées un peu partout par les forces de l’ordre lors de la capture de terroristes, ont transité par la région. Et on ne parle pas de pistolets, mais de Kalachnikov et de missiles.
Fort de ses constats de terrain, Mehdi Jomâa a décidé de s’attaquer frontalement à ces contrebandes et il leur aurait annoncé son objectif sur place. Au risque de mettre le feu aux poudres. Les manifestations observées la semaine dernière ne seraient donc que le début d’une guerre de l’Etat à ceux qui menacent, à terme, son existence. Et cela va du petit vendeur de devises au terroriste, en passant par les trabendistes et les gros financiers.
L’État, c’est nous tous. On peut limoger un premier ministre, on peut casser un gouvernement, on peut déchoir un président de la République, mais si on touche à l’État, c’est tout simplement la loi de la jungle qui s’installe. Ce serait tout simplement la Somalie à Carthage.
A leur arrivée au gouvernement, plusieurs ministres avaient un plan tout prêt pour passer à l’action et « sauver » le pays. Leurs plans étaient basés sur des chiffres officiels communiqués par leurs prédécesseurs. Une fois derrière leurs bureaux, ces ministres découvrent des chiffres différents. La situation est pire que ce qu’on leur a dit et pire que ce qu’ils imaginaient. Ce ne sont certainement pas les prêts que nous accorderont les FMI, Banque Mondiale et pays frères et amis qui nous sauveront. En termes de prêts, la Tunisie a augmenté de dix points son taux d’endettement ces trois dernières années. 25 milliards de dinars. Ces dix points auraient pu construire des autoroutes partout, des hôpitaux, des écoles et plein de pépinières d’entreprises créatrices d’emploi. Au lieu de quoi, ils sont partis pour la consommation. Entendez les augmentations de salaires et les salaires des nouvelles recrues. La Tunisie est aujourd’hui dans un sale état et est comparable à la Grèce. A la différence qu’elle n’a pas l’Union européenne pour la secourir.
Peu importe qui est responsable de la situation, le fait est là, le feu est à la maison. Les caisses sont presque vides et l’État est en déliquescence. Quand il y a le feu, on ne s’intéresse pas à celui qui l’a fait déclencher, on s’occupe d’abord de l’éteindre. Celui qui a été mandaté pour le faire s’appelle Mehdi Jomâa.
Or que remarque-t-on concrètement ? Certaines voix appellent (discrètement) à son départ, d’autres se permettent de le critiquer et d’autres encore s’ingèrent dans son travail. Éjectez Mehdi Jomâa si vous voulez, cela n’empêchera pas pour autant le feu de se propager.
Imed Deghij a été arrêté. Les menaces de ce « révolutionnaire » contre les institutions de l’Etat sont claires et sans aucune ambiguïté. Et pourtant, on trouve un ancien ministre et un actuel député à sa défense lors de son procès. C’est le droit de tout avocat de défendre un justiciable, mais quand on est un élu du peuple, il y a une obligation de réserve à observer.
Imed Daïmi, secrétaire général du parti présidentiel, critique la nomination du Chef du gouvernement d’un nouveau conseiller chargé de la sécurité. Son patron a nommé une armée de conseillers inutiles autour de lui, et il ne s’est jamais permis la moindre phrase. Aujourd’hui que le feu est à la maison, que les contrebandiers font la loi et que les terroristes sont enfouis dans les villes, il se permet de dicter à Mehdi Jomâa ce qu’il doit et ne doit pas faire !
Moncef Marzouki « convoque » de temps à autre des ministres pour s’enquérir de la situation. Comme s’ils avaient du temps à perdre pour informer un président dont la préoccupation majeure, voire unique, s’arrête dans sa présentation ou pas, pour les prochaines élections.
Les élections, justement. Plus de la moitié des Tunisiens ne se sentent pas concernés par la chose. C’était déjà le cas en octobre 2011. Et quand la révolution s’est déclenchée, les manifestants ont appelé à la justice sociale et à l’arrêt de la corruption et du népotisme. Au lieu de quoi, on leur a offert une nouvelle constitution qu’ils n’ont jamais réclamée. Quant à leur situation sociale et matérielle, elle s’est détériorée. Pire encore, l’Etat qui est un véritable acquis des « années de dictature » est menacé. Faut-il dès lors jeter un soupçon sur le processus démocratique lui-même pour sauver cet Etat et obtenir, peut-être, cette justice sociale ? Dans son dernier édito, Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Obs, cite un article du magazine libéral anglais ‘’The Economist’’, intitulé « What’s gone wrong with democracy », qui formule un diagnostic inquiétant sur la santé des démocraties européennes. « Minés par la défiance, rongés par les inégalités, englués dans l’aboulie et la croissance lente, en butte à la concurrence de modèles alternatifs plus autoritaires, au premier chef celui de la Chine, les pays libres sont en plein déclin. Après avoir vaincu les fascismes et les communismes, dominé la planète pendant un demi-siècle, ils voient les peuples se détourner de la vie civique et se réfugier dans la distraction, la protestation ou l’abstention. Du coup, une partie de la planète s’interroge sur la pertinence de principes de droit et de liberté si mal appliqués. »
Le début de démocratie et de liberté dont nous jouissons aujourd’hui en Tunisie semble être mal appliqué quand on voit des membres du parti présidentiel défendre des voyous, quand on voit un énorme taux d’abstention s’annoncer dans les sondages et quand on voit que l’État a perdu de son autorité et de sa grandeur. Aujourd’hui, le feu est à la maison et peu importe le responsable, il faut l’éteindre. Quitte à user d’autoritarisme pour ce faire. Sauver l’État est prioritaire aux intérêts des partis et des personnes. Il est même prioritaire à la démocratie. Un État peut vivre sans démocratie, mais aucune démocratie ne peut vivre sans État. Reste la question s’il faut de l’autoritarisme pour y parvenir…
Ça a chauffé à Ben Guerdane la semaine dernière. Plusieurs manifestations ont secoué la région et l’intervention des forces de l’ordre ne s’est pas faite attendre. Chose devenue classique dîtes-vous ? Non, parce que Mehdi Jomâa était dans la région le week-end d’avant et, en théorie, il devrait y avoir une légère accalmie au cas où il y avait un trouble auparavant. Or la région était bien calme les semaines précédant la visite du chef du gouvernement. Que s’est-il passé ? Des sources bien informées à la présidence du gouvernement nous font la confidence de ce qui n’a pas été dit dans la presse lors de la visite de terrain de Mehdi Jomâa. Loin des caméras, et loin des points de visite officiels où on lui a montré juste ce qu’on voulait lui montrer, le chef du gouvernement s’est débrouillé pour constater de lui-même ce qui ne va réellement pas dans la région. Et ce qui ne va pas est quasiment connu par tout Tunisien qui visite les lieux : la déliquescence de l’État. Un peu partout, vous allez croiser des contrebandiers transportant de la marchandise importée illégalement de Libye. De l’essence se vend partout sur les artères des routes et les devises s’échangent dans des boutiques ayant pignon sur rue. Si ça se trouve, la quantité de dollars et d’euros qui sont échangés dans la région est supérieure à celle de la Banque centrale. C’est exagéré ? Allez vérifier !
C’est à la limite un secret de Polichinelle que de parler de corruption de fonctionnaires publics censés préserver les intérêts de l’État. Ça, c’est la partie visible de l’iceberg. La partie invisible concerne la contrebande de stupéfiants et d’armes. Toutes les armes trouvées un peu partout par les forces de l’ordre lors de la capture de terroristes, ont transité par la région. Et on ne parle pas de pistolets, mais de Kalachnikov et de missiles.
Fort de ses constats de terrain, Mehdi Jomâa a décidé de s’attaquer frontalement à ces contrebandes et il leur aurait annoncé son objectif sur place. Au risque de mettre le feu aux poudres. Les manifestations observées la semaine dernière ne seraient donc que le début d’une guerre de l’Etat à ceux qui menacent, à terme, son existence. Et cela va du petit vendeur de devises au terroriste, en passant par les trabendistes et les gros financiers.
L’État, c’est nous tous. On peut limoger un premier ministre, on peut casser un gouvernement, on peut déchoir un président de la République, mais si on touche à l’État, c’est tout simplement la loi de la jungle qui s’installe. Ce serait tout simplement la Somalie à Carthage.
A leur arrivée au gouvernement, plusieurs ministres avaient un plan tout prêt pour passer à l’action et « sauver » le pays. Leurs plans étaient basés sur des chiffres officiels communiqués par leurs prédécesseurs. Une fois derrière leurs bureaux, ces ministres découvrent des chiffres différents. La situation est pire que ce qu’on leur a dit et pire que ce qu’ils imaginaient. Ce ne sont certainement pas les prêts que nous accorderont les FMI, Banque Mondiale et pays frères et amis qui nous sauveront. En termes de prêts, la Tunisie a augmenté de dix points son taux d’endettement ces trois dernières années. 25 milliards de dinars. Ces dix points auraient pu construire des autoroutes partout, des hôpitaux, des écoles et plein de pépinières d’entreprises créatrices d’emploi. Au lieu de quoi, ils sont partis pour la consommation. Entendez les augmentations de salaires et les salaires des nouvelles recrues. La Tunisie est aujourd’hui dans un sale état et est comparable à la Grèce. A la différence qu’elle n’a pas l’Union européenne pour la secourir.
Peu importe qui est responsable de la situation, le fait est là, le feu est à la maison. Les caisses sont presque vides et l’État est en déliquescence. Quand il y a le feu, on ne s’intéresse pas à celui qui l’a fait déclencher, on s’occupe d’abord de l’éteindre. Celui qui a été mandaté pour le faire s’appelle Mehdi Jomâa.
Or que remarque-t-on concrètement ? Certaines voix appellent (discrètement) à son départ, d’autres se permettent de le critiquer et d’autres encore s’ingèrent dans son travail. Éjectez Mehdi Jomâa si vous voulez, cela n’empêchera pas pour autant le feu de se propager.
Imed Deghij a été arrêté. Les menaces de ce « révolutionnaire » contre les institutions de l’Etat sont claires et sans aucune ambiguïté. Et pourtant, on trouve un ancien ministre et un actuel député à sa défense lors de son procès. C’est le droit de tout avocat de défendre un justiciable, mais quand on est un élu du peuple, il y a une obligation de réserve à observer.
Imed Daïmi, secrétaire général du parti présidentiel, critique la nomination du Chef du gouvernement d’un nouveau conseiller chargé de la sécurité. Son patron a nommé une armée de conseillers inutiles autour de lui, et il ne s’est jamais permis la moindre phrase. Aujourd’hui que le feu est à la maison, que les contrebandiers font la loi et que les terroristes sont enfouis dans les villes, il se permet de dicter à Mehdi Jomâa ce qu’il doit et ne doit pas faire !
Moncef Marzouki « convoque » de temps à autre des ministres pour s’enquérir de la situation. Comme s’ils avaient du temps à perdre pour informer un président dont la préoccupation majeure, voire unique, s’arrête dans sa présentation ou pas, pour les prochaines élections.
Les élections, justement. Plus de la moitié des Tunisiens ne se sentent pas concernés par la chose. C’était déjà le cas en octobre 2011. Et quand la révolution s’est déclenchée, les manifestants ont appelé à la justice sociale et à l’arrêt de la corruption et du népotisme. Au lieu de quoi, on leur a offert une nouvelle constitution qu’ils n’ont jamais réclamée. Quant à leur situation sociale et matérielle, elle s’est détériorée. Pire encore, l’Etat qui est un véritable acquis des « années de dictature » est menacé. Faut-il dès lors jeter un soupçon sur le processus démocratique lui-même pour sauver cet Etat et obtenir, peut-être, cette justice sociale ? Dans son dernier édito, Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Obs, cite un article du magazine libéral anglais ‘’The Economist’’, intitulé « What’s gone wrong with democracy », qui formule un diagnostic inquiétant sur la santé des démocraties européennes. « Minés par la défiance, rongés par les inégalités, englués dans l’aboulie et la croissance lente, en butte à la concurrence de modèles alternatifs plus autoritaires, au premier chef celui de la Chine, les pays libres sont en plein déclin. Après avoir vaincu les fascismes et les communismes, dominé la planète pendant un demi-siècle, ils voient les peuples se détourner de la vie civique et se réfugier dans la distraction, la protestation ou l’abstention. Du coup, une partie de la planète s’interroge sur la pertinence de principes de droit et de liberté si mal appliqués. »
Le début de démocratie et de liberté dont nous jouissons aujourd’hui en Tunisie semble être mal appliqué quand on voit des membres du parti présidentiel défendre des voyous, quand on voit un énorme taux d’abstention s’annoncer dans les sondages et quand on voit que l’État a perdu de son autorité et de sa grandeur. Aujourd’hui, le feu est à la maison et peu importe le responsable, il faut l’éteindre. Quitte à user d’autoritarisme pour ce faire. Sauver l’État est prioritaire aux intérêts des partis et des personnes. Il est même prioritaire à la démocratie. Un État peut vivre sans démocratie, mais aucune démocratie ne peut vivre sans État. Reste la question s’il faut de l’autoritarisme pour y parvenir…
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