Chroniques
Elyes Fakhfakh entre cynisme et manque de courage
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Par Nizar Bahloul
La loi de finances 2014 pondue par Elyes Fakhfakh est similaire à une bombe à retardement, tant elle contient des mesures impopulaires.
Quel que soit le nom du futur chef du gouvernement et quel que soit le nom du futur ministre des Finances, cette bombe laissée par Elyes Fakhfakh va leur exploser au visage. A moins qu’ils ne décident de l’abroger et de la remplacer par une autre plus « humaine ». Le futur ministre des Finances aura-t-il le temps matériel pour cela ? La mission sera quasi impossible et le citoyen lambda va se dire « le nouveau gouvernement est lui aussi incompétent et on était mieux sous la troïka ! ».
Pour rendre à César ce qui lui appartient, les propositions d’Elyes Fakhfakh sont justes et saines. Il est anormal et aberrant que l’Etat continue de compenser certains produits au profit de citoyens qui n’ont nullement besoin de cette compensation. Il est anormal que de « jeunes fils à papa » aillent se balader en voiture et qu’une partie du carburant consommé dans leur balade soit payé par le contribuable. Il est anormal que des Libyens ou des Tunisiens de l’étranger (qui ne paient aucun impôt à leur pays) roulent avec leurs voitures avec du carburant compensé par le contribuable. Il est anormal que des touristes consomment du pain compensé en partie par le contribuable.
Seulement voilà, aussi justes soit-elles, le timing choisi pour appliquer ces mesures est contestable. Elyes Fakhfakh a fait les bons choix (qui ne sont pas les siens, à vrai dire, mais ceux des partenaires internationaux), mais le temps n’est pas opportun pour appliquer ces mesures. En cette période de transition et de forte tension politique, on ne peut pas entreprendre ce type de réformes.
La question pour Fakhfakh est épineuse. Comment remplir les caisses de l’Etat, sans entreprendre de mesures impopulaires et sans s’exposer soi-même ?
C’est là où l’on peut dire qu’Elyes Fakhfakh a fait preuve de cynisme et de manque de courage. Cynisme, car ce ne sera pas à lui de payer les conséquences de l’impopularité de ses mesures, mais à son successeur.
Quant à son manque de courage, il a refusé d’aller chercher l’argent là où il se trouve réellement et d’éviter les dépenses faramineuses qui plombent le budget de l’Etat.
La plus grosse part des dépenses de l’Etat est consacrée aux salaires des fonctionnaires : 37%. La compensation tous produits confondus représente 15%. Il aurait donc été mieux indiqué d’agir sur les 37% que sur les 15%. Du moins sur le court terme. Or, l’Etat n’a cessé d’augmenter le nombre de ses fonctionnaires à travers des recrutements à tort et à travers, depuis la révolution. Et, naturellement, les amis et les enfants des dirigeants sont prioritaires dans les recrutements. Les cas de Sihem Badi ou de Habib Ellouze en exemple. On ne peut pas décemment demander au citoyen de faire des efforts, alors qu’en même temps, on offre des cadeaux aux dirigeants, aux enfants des dirigeants et aux amis des dirigeants. Elyes Fakhfakh dira que ce sont des broutilles. Certes, ce sont des broutilles, mais l’effet psychologique dégagé par ce népotisme et ce manque de rigueur est très improductif et décrédibilise toute action sensée du gouvernement.
Le manque de courage d’Elyes Fakhfakh s’affirme dans son acceptation de voir augmenter certains budgets. La présidence de la République en exemple. Moncef Marzouki a augmenté son budget, sous prétexte qu’il a deux nouvelles institutions à financer (la Haica et l’Instance des magistrats). Or Moncef Marzouki bénéficie d’un budget pléthorique, supérieur à celui de Zine El Abidine Ben Ali, alors qu’il n’a pas 5% des prérogatives de son prédécesseur. Que fait Marzouki de tout cet argent ? A quoi sert-il ? Comment est-il dépensé ? Y a-t-il une partie qui sert à financer le CPR ? Mystère et boule de gomme ! C’est le contribuable qui paie et Elyes Fakhfakh qui acquiesce sans savoir dire non.
Mais là où Elyes Fakhfakh a fait preuve d’un véritable manque de courage, c’est lorsqu’il a refusé d’aller chercher l’argent là où il se trouve vraiment. C'est-à-dire chez tous ceux qui travaillent avec beaucoup de liquidités. Salons de thé, cafés, restaurants, agents immobiliers qui louent aux Libyens, médecins, avocats, commerce informel, contrebandiers… Tout ce beau monde gagne un argent fou et ne paie quasiment rien aux impôts.
Pour traquer ces gens-là, il suffirait d’appliquer les méthodes observées dans les pays développés. Interdire toute transaction en argent liquide supérieure à 1000 dinars. Il a choisi 20.000 dinars, mais le montant est trop gros. Il faut obliger tout ce beau monde à passer obligatoirement par les banques et institutions financières, même pour 1000 dinars, afin de pouvoir tracer l’origine de leur « fortune » et vérifier ensuite s’ils ont payé leurs impôts comme les autres citoyens.
La pléthore de fonctionnaires recrutés, notamment les amnistiés, pourraient rejoindre l’administration fiscale, se faire former, puis traquer tous ces fraudeurs du fisc qui gagnent toujours plus et paient souvent moins. Au lieu que le nouveau fonctionnaire recruté représente un poids dans le budget de l’Etat, comme c’est le cas actuellement sous la troïka, on le transforme en source de revenus.
Autre mesure qu’aurait pu prendre Elyes Fakhfakh pour alimenter le budget de l’Etat, celle qui touche les automobilistes. Désormais, ils devront s’acquitter d’une taxe supplémentaire variant de 50 à 700 dinars.
Plutôt que de payer cette taxe, pourquoi ne pas mobiliser les agents de la circulation routière dans plusieurs carrefours et dresser de lourdes amendes contre ces milliers de chauffards qui grillent les feux rouges et vous doublent par la droite pour passer avant vous à chaque croisement ? Pourquoi ne pas doubler les amendes pour stationnement anarchique ? L’Etat compte tellement de fonctionnaires qu’il est possible de mobiliser des agents à chaque coin de rue.
Avec le nombre de « voyous de la route » que la Tunisie compte, l’application stricte de la loi rapportera beaucoup plus que les 50 dinars de Fakhfakh et aura pour mérite d’imposer du civisme sur nos routes. Sans parler de la réduction du nombre d’accidents et tous les coûts supportés par les sociétés d’assurances.
Quant à la compensation du carburant, il est plus juste d’imposer une sorte de taxe à tout véhicule d’immatriculation étrangère qui entre en Tunisie et toute voiture de location. Ces automobilistes ne paient pas de vignette en Tunisie et n’ont pas à profiter gratuitement de ce que paient les contribuables autochtones. Le tout en attendant le moment idoine pour faire disparaître totalement cette question de compensation dans quelques années.
Elyes Fakhfakh a cependant choisi la solution de facilité en appliquant aveuglément les consignes des partenaires internationaux. Il a cherché à protéger sa propre personne en refusant de se mettre à dos ses collègues du gouvernement, tout en sachant que ce sera à son successeur de payer les conséquences de ses décisions impopulaires.
Bref, Elyes Fakhfakh avait une occasion en or pour imposer des réformes profondes et rapidement applicables qui profiteront à tout le monde sur le long terme, mais il a préféré sauver sa carrière politique sur le court terme avec des ravalements de façade, avec des décisions justes, dans leur apparence, mais fatales dans leurs conséquences à cause de leur timing.
La loi de finances 2014 pondue par Elyes Fakhfakh est similaire à une bombe à retardement, tant elle contient des mesures impopulaires.
Quel que soit le nom du futur chef du gouvernement et quel que soit le nom du futur ministre des Finances, cette bombe laissée par Elyes Fakhfakh va leur exploser au visage. A moins qu’ils ne décident de l’abroger et de la remplacer par une autre plus « humaine ». Le futur ministre des Finances aura-t-il le temps matériel pour cela ? La mission sera quasi impossible et le citoyen lambda va se dire « le nouveau gouvernement est lui aussi incompétent et on était mieux sous la troïka ! ».
Pour rendre à César ce qui lui appartient, les propositions d’Elyes Fakhfakh sont justes et saines. Il est anormal et aberrant que l’Etat continue de compenser certains produits au profit de citoyens qui n’ont nullement besoin de cette compensation. Il est anormal que de « jeunes fils à papa » aillent se balader en voiture et qu’une partie du carburant consommé dans leur balade soit payé par le contribuable. Il est anormal que des Libyens ou des Tunisiens de l’étranger (qui ne paient aucun impôt à leur pays) roulent avec leurs voitures avec du carburant compensé par le contribuable. Il est anormal que des touristes consomment du pain compensé en partie par le contribuable.
Seulement voilà, aussi justes soit-elles, le timing choisi pour appliquer ces mesures est contestable. Elyes Fakhfakh a fait les bons choix (qui ne sont pas les siens, à vrai dire, mais ceux des partenaires internationaux), mais le temps n’est pas opportun pour appliquer ces mesures. En cette période de transition et de forte tension politique, on ne peut pas entreprendre ce type de réformes.
La question pour Fakhfakh est épineuse. Comment remplir les caisses de l’Etat, sans entreprendre de mesures impopulaires et sans s’exposer soi-même ?
C’est là où l’on peut dire qu’Elyes Fakhfakh a fait preuve de cynisme et de manque de courage. Cynisme, car ce ne sera pas à lui de payer les conséquences de l’impopularité de ses mesures, mais à son successeur.
Quant à son manque de courage, il a refusé d’aller chercher l’argent là où il se trouve réellement et d’éviter les dépenses faramineuses qui plombent le budget de l’Etat.
La plus grosse part des dépenses de l’Etat est consacrée aux salaires des fonctionnaires : 37%. La compensation tous produits confondus représente 15%. Il aurait donc été mieux indiqué d’agir sur les 37% que sur les 15%. Du moins sur le court terme. Or, l’Etat n’a cessé d’augmenter le nombre de ses fonctionnaires à travers des recrutements à tort et à travers, depuis la révolution. Et, naturellement, les amis et les enfants des dirigeants sont prioritaires dans les recrutements. Les cas de Sihem Badi ou de Habib Ellouze en exemple. On ne peut pas décemment demander au citoyen de faire des efforts, alors qu’en même temps, on offre des cadeaux aux dirigeants, aux enfants des dirigeants et aux amis des dirigeants. Elyes Fakhfakh dira que ce sont des broutilles. Certes, ce sont des broutilles, mais l’effet psychologique dégagé par ce népotisme et ce manque de rigueur est très improductif et décrédibilise toute action sensée du gouvernement.
Le manque de courage d’Elyes Fakhfakh s’affirme dans son acceptation de voir augmenter certains budgets. La présidence de la République en exemple. Moncef Marzouki a augmenté son budget, sous prétexte qu’il a deux nouvelles institutions à financer (la Haica et l’Instance des magistrats). Or Moncef Marzouki bénéficie d’un budget pléthorique, supérieur à celui de Zine El Abidine Ben Ali, alors qu’il n’a pas 5% des prérogatives de son prédécesseur. Que fait Marzouki de tout cet argent ? A quoi sert-il ? Comment est-il dépensé ? Y a-t-il une partie qui sert à financer le CPR ? Mystère et boule de gomme ! C’est le contribuable qui paie et Elyes Fakhfakh qui acquiesce sans savoir dire non.
Mais là où Elyes Fakhfakh a fait preuve d’un véritable manque de courage, c’est lorsqu’il a refusé d’aller chercher l’argent là où il se trouve vraiment. C'est-à-dire chez tous ceux qui travaillent avec beaucoup de liquidités. Salons de thé, cafés, restaurants, agents immobiliers qui louent aux Libyens, médecins, avocats, commerce informel, contrebandiers… Tout ce beau monde gagne un argent fou et ne paie quasiment rien aux impôts.
Pour traquer ces gens-là, il suffirait d’appliquer les méthodes observées dans les pays développés. Interdire toute transaction en argent liquide supérieure à 1000 dinars. Il a choisi 20.000 dinars, mais le montant est trop gros. Il faut obliger tout ce beau monde à passer obligatoirement par les banques et institutions financières, même pour 1000 dinars, afin de pouvoir tracer l’origine de leur « fortune » et vérifier ensuite s’ils ont payé leurs impôts comme les autres citoyens.
La pléthore de fonctionnaires recrutés, notamment les amnistiés, pourraient rejoindre l’administration fiscale, se faire former, puis traquer tous ces fraudeurs du fisc qui gagnent toujours plus et paient souvent moins. Au lieu que le nouveau fonctionnaire recruté représente un poids dans le budget de l’Etat, comme c’est le cas actuellement sous la troïka, on le transforme en source de revenus.
Autre mesure qu’aurait pu prendre Elyes Fakhfakh pour alimenter le budget de l’Etat, celle qui touche les automobilistes. Désormais, ils devront s’acquitter d’une taxe supplémentaire variant de 50 à 700 dinars.
Plutôt que de payer cette taxe, pourquoi ne pas mobiliser les agents de la circulation routière dans plusieurs carrefours et dresser de lourdes amendes contre ces milliers de chauffards qui grillent les feux rouges et vous doublent par la droite pour passer avant vous à chaque croisement ? Pourquoi ne pas doubler les amendes pour stationnement anarchique ? L’Etat compte tellement de fonctionnaires qu’il est possible de mobiliser des agents à chaque coin de rue.
Avec le nombre de « voyous de la route » que la Tunisie compte, l’application stricte de la loi rapportera beaucoup plus que les 50 dinars de Fakhfakh et aura pour mérite d’imposer du civisme sur nos routes. Sans parler de la réduction du nombre d’accidents et tous les coûts supportés par les sociétés d’assurances.
Quant à la compensation du carburant, il est plus juste d’imposer une sorte de taxe à tout véhicule d’immatriculation étrangère qui entre en Tunisie et toute voiture de location. Ces automobilistes ne paient pas de vignette en Tunisie et n’ont pas à profiter gratuitement de ce que paient les contribuables autochtones. Le tout en attendant le moment idoine pour faire disparaître totalement cette question de compensation dans quelques années.
Elyes Fakhfakh a cependant choisi la solution de facilité en appliquant aveuglément les consignes des partenaires internationaux. Il a cherché à protéger sa propre personne en refusant de se mettre à dos ses collègues du gouvernement, tout en sachant que ce sera à son successeur de payer les conséquences de ses décisions impopulaires.
Bref, Elyes Fakhfakh avait une occasion en or pour imposer des réformes profondes et rapidement applicables qui profiteront à tout le monde sur le long terme, mais il a préféré sauver sa carrière politique sur le court terme avec des ravalements de façade, avec des décisions justes, dans leur apparence, mais fatales dans leurs conséquences à cause de leur timing.
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