
Par Nizar Bahloul
Si vous pensez me faire taire avec votre condamnation, vous vous trompez ! Ma chronique dominicale est maintenue !
Dans un discours politique, ce qui n’est pas dit est souvent plus important que ce qui est dit. Le discours de Hamadi Jebali du samedi 26 janvier contient beaucoup de non-dits.
A entendre le chef du gouvernement, on a une certaine envie de le croire. Ses phrases sont belles et rassurantes, son discours est mielleux, patriotique et fait appel au bon sens. Il est dans une impasse, il a des différends avec ses partenaires et il nous le fait savoir.
Quand il dit qu’il est le chef du gouvernement de tous les Tunisiens, qu’il est contre l’exclusion, qu’il est pour la participation de tous les acteurs politiques, qu’il veut vraiment sauver la Tunisie, on a envie de le croire et de lui tendre la main et l’aider.
Quand il dit qu’il est pour une Tunisie républicaine et pour la suprématie de l’Etat, on a envie de le croire.
Quand il dit qu’il est pressé d’organiser des élections, qu’il est impératif qu’il y ait des observateurs étrangers lors du déroulement du scrutin, qu’il y ait une véritable justice, on a envie de le croire.
Hélas, cependant, il est difficile de croire en ce discours et ce pour de nombreuses raisons. Non pas que Hamadi Jebali soit un menteur ou hypocrite, loin de là. J’ai même tendance à penser qu’il a été vraiment sincère ce samedi. Mais parce que Hamadi Jebali porte une double-casquette, celle de chef du gouvernement et de secrétaire général d’Ennahdha. A cause de cette double-casquette, M. Jebali vit une sorte de schizophrénie dont il lui est difficile de s’en débarrasser.
Car quand M. Jebali dit qu’il est contre l’exclusion, son parti est sur le point de voter une loi favorisant l’exclusion.
Quand il dit qu’il est pressé de voir les élections se dérouler, son parti fait tout pour renvoyer aux calendes grecques ces élections.
Quand il dit qu’il est contre toute forme de violence politique physique ou morale, son parti fait tout le contraire.
Interrogé par une journaliste sur ses différends avec Rached Ghannouchi, le chef du gouvernement a délicatement répondu en marge pour rappeler qu’il y a une véritable démocratie au sein d’Ennahdha et que sa voix (ou celle de Ghannouchi) n’est qu’une voix unique parmi d’autres.
C’est un des principaux non-dits de Hamadi Jebali dans son discours du samedi 26 janvier. Il aurait pu (ou dû) dire qu’il n’y a pas de différends entre lui et le président de son parti, mais il a préféré dire qu’il ne décide pas vraiment ce qu’il veut au sein du parti. Et que Rached Ghannouchi, non plus, ne décide pas puisque c’est la majorité du parti qui prend les décisions.
En d’autres termes, et par analogie, le sort de la Tunisie est entre les mains de quelques cheikhs nahdhaouis aux tendances différentes et extrêmes qui n’ont rien à voir les unes avec les autres.
En d’autres termes, Hamadi Jebali peut ne pas être d’accord avec Noureddine Bhiri ou Rafik Abdessalem, mais il sera obligé de les garder parce que 51% du majlis choura du parti en a décidé ainsi.
Dès lors, il y a lieu de s’interroger à quoi sert le chef du gouvernement et à quoi sert son discours et son remaniement s’il n’est que l’exécutant du bon-vouloir de quelques membres d’Ennahdha et non l’exécutant des volontés d’un peuple.
Cette démocratie au sein d’Ennahdha, qui n’a pas lieu d’être quand il s’agit d’affaires de l’Etat, est la pire ennemie de Hamadi Jebali et de la Tunisie. Elle lie les pieds et les mains de Hamadi Jebali qui ne saurait prendre une quelconque décision sans se référer à ses cheikhs et obtenir leur aval.
Dans son discours du samedi 26 janvier, M. Jebali a été sincère et il avait l’impression de nous dire : « comprenez-moi, je ne décide rien de là où je suis ! ».
Tellement sa marge de manœuvre est réduite, tellement il est désespéré qu’il a déclaré : « voilà, je vais aller déposer le projet de remaniement devant l’ANC et ils décideront. » Faute de consensus dans les bureaux avec quelques partenaires, Hamadi Jebali pense que les 217 hurluberlus de l’ANC vont se mettre d’accord !
Ce qui a manqué à Hamadi Jebali depuis qu’il occupe son poste, et qui est apparu aux grands airs en ce samedi 26 janvier, est sa stature d’Homme d’Etat.
Le chef du gouvernement a beau vouloir endosser ce costume, il n’y arrive pas, parce qu’il reste encore enchaîné à son parti et à ses cheikhs.
Pour sauver sa peau, obtenir son indépendance et sa liberté d’action et réussir ses projets, Hamadi Jebali se doit de se départir de l’emprise Ennahdha. Il doit casser l’emprise du parti sur son action et, de ce fait, sur la Tunisie pour jouir pleinement de son statut de chef du gouvernement et, par ricochet du statut de l’Homme d’Etat qu’il veut être.
Hamadi Jebali est sincère (je préfère croire cela), il a plein d’idées, il a plein de projets, mais Ennahdha lui a mis plein de boulets qui ne lui laissent plus, ou très peu, de marge de manœuvre.
Devant l’Histoire, devant le pays, c’est lui le seul et l’unique responsable de l’action gouvernementale.
Hamadi Jebali se doit de divorcer de son parti, il se doit de briser ses chaînes nahdhaouies et d’assumer seul sa propre action.
Il se doit de composer seul et selon sa propre conscience, son gouvernement, en fonction des impératifs de l’Etat et de la conjoncture dans le pays et non en fonction des caprices et des calculs primaires de 51% du majlis choura d’Ennahdha.
N.B : Pensée à Sami Fehri, Nabil Chettaoui, les salafistes et beaucoup d’autres, sous les verrous depuis des mois, en attente de leurs procès.

