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Tribunes
La transition démocratique en Tunisie : Une surestimation du politique et une sous-estimation de l'économique
28/02/2012 | 1
min
La transition démocratique en Tunisie : Une surestimation du politique et une sous-estimation de l'économique
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Par Hédi Sraëb*

Entendons nous bien. La révolution s’est choisie de cheminer vers la refonte du contenu des institutions, la construction d’une authentique démocratie et d’un Etat de droit. Conçus à juste titre comme un préalable, les politiques n’en ont pas moins mis de coté les urgences sociales et différer la réflexion sur les contradictions de notre système de production, d’échange et de redistribution qui est au cœur des préoccupations de tous nos compatriotes. Enfonçons le clou.

Pour justifier que soit ce choix, -le préalable constitutionnel et ses attendus-, il n’en demeure pas moins vide de sens tant que les conditions matérielles d’existence du corps social tunisien n’ont pas été revisitées et corrigées. Construire un nouvel édifice de libertés individuelles et collectives pourrait vite devenir une vaste mystification si les conditions d’accès à ces libertés n’étaient pas également réunies. C’est ici que le bât blesse : histoire de priorité, pas si sûr.

Toute la classe politique pour des raisons de rapports de force du moment s’est lancé à corps perdu et diverge comme cela était prévisible sur la question identitaire et autres clivages sécularistes et religieux. Il est vrai aussi que l’apparition, dans le paysage, du fanatisme salafiste ne favorise pas des débats plus sereins, renforce cette fébrilité politique, tant le risque et le danger d’une insidieuse et rampante mise au pas de la société apparaît de plus en plus crédible.
De fait les questions cruciales du sous emploi massif, de la vulnérabilité de près du quart de la population, des détresses de tout ordre sont au mieux effleurées, au pire reléguées.
Négligence coupable, car l’arbitre de tous les choix comme de tous les conflits sera, à n’en pas douter et en dernier ressort, l’économique.
La méprise est dommageable, le « politique » serait affaire de citoyens, quand « l’économique » serait affaire de spécialistes. De plus et sous l’emprise d’une idéologie dominante qui s’est largement et allégrement diffusée depuis des décennies, le dit citoyen, comme le politique qui le représente imaginent que la question économique est bien trop complexe pour la laisser entre les mains de tout un chacun. Son apparente technicité, son verbiage, sa prétention même à s’arroger tous les pouvoirs, science au dessus de toutes les sciences en a fait un « domaine neutre et réservé », que l’on désigne tour à tour confusément comme celui des technocrates, des experts tout aussi neutres, de spécialistes de ceci ou de cela, un peu comme on va chez les médecins.
La méprise est grave, car en dehors de quelques « initiés », les politiques censés nous proposer un nouveau projet de vie, ont depuis longtemps abdiqué, laissant croire qu’au fond tout serait affaire de réformes. Pire et de l’aveu sincère de beaucoup, ils reconnaissent leur totale ignorance des mécanismes profonds et cachés qui ont conduit à cette explosion sociale.

Fait indéniable et remarquable, cette méconnaissance des réalités sociales et économiques est communément et largement partagée par l’ensemble des sensibilités politiques. Je n’en veux pour preuve que l’indigence pour ne pas dire la vacuité de ce qui nous est proposé et qui ne dépasse jamais la rhétorique lénifiante et offusquée de la nécessaire correction de la fracture sociale et régionale.
Autre preuve, les pseudos programmes économiques et sociaux proposés par les différentes familles politiques ont ceci en commun : Tous calent leurs approches, usent des mêmes présupposés, méthodes, et mécanismes et font aussi les mêmes impasses de ce qui fut la logique infernale du plan et des finances et de ses soutiens sociaux.

En caricaturant un peu, mais sans exagération outrancière, on pourrait dire qu’au-delà de la seule corruption et prédation le système économique est perçu naïvement ou sciemment comme sain, viable. Quelle méprise ! Voilà bien le drame, dans lequel se fourvoie encore toute une classe politique. Habituée car forcée pendant des années à ne défendre que les droits de l’Homme, nonobstant les cas multiples et bien réels d’atteinte à l’intégrité physique et morale de citoyens, cette classe, à l’exception de l’Organisation syndicale, a déserté le terrain des luttes économiques concrètes.
Elle en sort affaiblie, sans véritable projet alternatif. L’horizon indépassable est pour ainsi dire obstrué tantôt par une vision social-libérale tantôt par une vision social-démocrate. Comme en politique, l’économique a horreur du vide, d’où la perception diffuse qu’un réformisme nouveau pourrait tout simplement remplacer un réformisme désuet. Bien étrange manque d’audace et de hardiesse.
Alors que le terme de révolution semblerait pouvoir s’appliquer et aller de soi à la sphère « politique », il en serait tout autrement à la sphère connexe et indissociable, celle de l’économique, pour qui, le seul et raisonnable qualificatif ne serait que celui de la réforme. Révolutionner notre espace économique, vous n’y pensez pas, hérésie utopique, à la limite de l’incongruité disent d’une façon ou d’une autre les diverses sensibilités.

Que faire entre ceux qui ont tout perdu et ceux qui ont tout à perdre ? Où mettre le cursus ?
Voilà bien les vraies questions auxquelles il faudra bien s’atteler. Tenir compte des équilibres internes comme externes actuels, de la position géostratégique du pays, de son insertion dans la division internationale du travail, et des degrés de libertés (marges de manœuvre) que le pays pourrait se reconstituer en vue d’une nouvelle expérimentation tout à la fois viable et équitable. Voilà bien le vrai défi, celui que souhaite tout un peuple en plein désarroi.
Le silence du moment est assourdissant : Faut-il continuer à demander « l’aide » internationale ce qui implique bien évidemment d’honorer notre signature ? Faut-il demander un moratoire de remboursement près de 5% de notre richesse annuelle et évoquer la clause de force majeure, ce qui mécaniquement permettrait de traiter des urgences ? Les caisses de l’Etat sont vides, celles des banques obérées par un amoncellement de créances douteuses, une quasi faillite avant l’heure! Comment échapper à tous ces tourments qui rodent autour d’une économie étriquée, paralysée, sans devenir ! La colère du peuple est loin de s’être éteinte ! Le traitement social du chômage, du sous emploi, de la précarité, de la pauvreté a atteint ses limites historiques.
Ce qu’attend le peuple dans ses diverses composantes c’est un traitement économique de ces questions, un nouvel ordre social !

En écrivant ce papier, j’ai le sentiment diffus d’être quelque peu en décalage avec les préoccupations du moment, celle d’une possible et lente déliquescence du processus de transition dit démocratique, d’un sournois et perfide cheminement vers un régime tout aussi autoritaire. Mais dans le même temps je persiste et signe, et réitère l’irréductible nécessité que ceci (les libertés) n’empêche pas cela (le mieux vivre). En d’autres termes, et sûr de ne pas être tout à fait seul, il m’apparait urgent que les instances politiques, partis et pouvoirs, s’emparent de la seule vraie question, celle de la reconquête par le peuple et pour le peuple des attributs de la maîtrise de son destin. Phrase onirique superfétatoire chimérique ! Peut-être, mais ce dont je suis sûr est que ce n’est pas « d’aide » dont a besoin le corps social mais « de rêve », le vrai, celui atteignable par la volonté et l’effort partagé.

Comme le disait un jeune chômeur mal formé et mal armé pour affronter la vie : « Faites nous rêver messieurs les politiques, en lieu et place de nous assainir à longueur de temps vos sempiternelles recettes toujours réchauffées de la croissance, de la redistribution agrémentées de toutes sortes de contraintes et d’impossibilités».
On aurait tord de croire que ce jeune chômeur serait le seul à devoir retourner à ses chères études.

*Hédi Sraieb, Docteur d’Etat en Economie du Développement
28/02/2012 | 1
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