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Tribunes
Lettre entr'ouverte à Monsieur le prochain ministre du Tourisme
28/11/2011 | 1
min
Lettre entr'ouverte à Monsieur le prochain ministre du Tourisme
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Par Wahid Ibrahim*

Cette lettre vous est adressée en signe de bienvenue ou de re-bienvenue si vous êtes un invétéré ‘’récidiviste’’ dans le secteur.
Vous héritez d’un secteur en crise, tout le monde en convient. Une crise qui n’est pas le fruit de la Révolution mais qui tire son origine de décennies de gouvernance approximative, de comportements professionnels irresponsables ainsi que d’une accumulation de décisions guidées par des considérations clientélistes.
Pour voir clair, simplifions l’équation.
Les carences du secteur sont de deux ordres :
- structurels dont la solution exige du temps, du courage (oui du courage), et une vision qui capitalise sur les acquis et inscrit le secteur dans une perspective économiquement rentable, socialement équitable et philosophiquement intégrée et durable.
- conjoncturels dont la solution exige une réactivité immédiate quant à la nécessaire relance de la demande et au traitement des problèmes qui risquent d’aggraver la situation de l’emploi touristique et de fragiliser à l’extrême les opérateurs honnêtes du secteur. Car des promoteurs honnêtes il en existe. Ils ne sont peut être pas nombreux mais ils existent. Quant aux opérateurs malhonnêtes, incompétents et opportunistes, ils devront tout simplement débarrasser le plancher et ne pas constituer pour vous un sujet de préoccupation qui risque de vous distraire des vrais problèmes.
Comme vous appartiendrez à un gouvernement légitime de transition qui ne disposera que d’une année pour faire ses preuves, vous serez jugé non pas sur la pertinence de vos choix stratégiques à long terme mais sur votre capacité à stopper l’hémorragie et à réamorcer la ‘’pompe’’touristique .
Il faudrait d’abord que vos collègues du gouvernement vous y aident en garantissant un climat de sécurité absolue dans toutes les régions du pays et en procédant à une méga opération de toilettage général de tous les coins et recoins de notre chère Tunisie.
A partir de ces préalables, je me permets de réitérer quelques remarques et propositions que j’ai eu l’occasion d’évoquer à maintes occasions et qui concernent divers paliers de l’activité touristique:

En matière de communication
 :
Toute campagne publicitaire classique vantant la beauté et la diversité ou je ne sais quoi encore serait totalement stérile tant que le pays continue à bouger, à juste titre d’ailleurs, pour assurer un avenir libre et démocratique. D’autres actions de communication de type évènementiel peuvent être, par contre, envisagées ainsi que des campagnes tactiques destinées à la promotion régionale.
En ces moments où le doute est de mise et où les sites officiels des marchés émetteurs continuent à afficher les recommandations de prudence, il serait fastidieux d’engager des millions de dinars dans une communication générique de pure séduction constamment mise à mal par une actualité imprévisible.
Le mouvement politique qui s’apprête à présider aux destinées du pays et qui affiche avec plus ou moins de tact son inspiration islamique, devra, pour vous aider, communiquer d’une manière claire et sans équivoque, son respect des libertés individuelles des touristes quant à leurs habitudes de consommation et de comportement. Ne perdez jamais de vue que le touriste est un fieffé zappeur et que les destinations concurrentes sont toujours prêtes à le happer.

En matière de production :
- Profiter de ce « creux conjoncturel» pour engager de réels travaux de vraie mise à niveau des unités hôtelières défaillantes ou « fatiguées » et de mise à l’écart définitif des unités qui affichent une situation d’endettement tellement désespérée qu’elle tire vers le bas l’offre de toute la destination.
- En profiter également pour organiser des séminaires de formation et de perfectionnement du personnel.
- Prendre les mesures nécessaires pour qu’aucun employé ne soit mis en chômage technique et perdre son unique source de revenus. En maintenant le personnel en exercice, on en fait le meilleur défenseur de l’entreprise, on gagne sa confiance et on le motive pour qu’il donne le meilleur de lui même au présent et à l’avenir.
- Considérer chaque client actuellement en séjour dans nos hôtels comme un vecteur promotionnel potentiel et lui réserver la plus grande attention et le meilleur service. Rien ne vaudra l’efficacité du ‘bouches à oreilles’ pour réamorcer la pompe touristique.

En matière de commercialisation :

- Ne pas succomber aux tentations de bradages et résister aux TO qui, profitant de la conjoncture difficile, seront tentés d’exiger les plus bas des tarifs.
- Trouver des mécanismes au niveau de l’Administration et de la Profession pour soutenir la programmation aérienne des TO. Sans programmation aérienne et sans packaging, il est inutile d’espérer relancer la demande à court terme et faire tourner les ‘’usines à bronzer’’ du littoral.
- Procéder sans délais à l’ouverture du ciel et autoriser toute initiative de transport aérien quels qu’en soient le mode et l’origine.
- Engager le chantier de la ‘’web-compatibilité’’ de notre tourisme en créant sans délais des sites marchands B to B et B to C.

En matière d’aménagement :
- Tout le monde sait maintenant que certains plans d’aménagement de zones touristiques engagées ou en projets ont été pour la plupart établis en fonction des désirs et des exigences des prédateurs Bénaliens et Trabelsiens.
Il s’est même trouvé des responsables pour avancer le prétexte du ‘Tourisme Résidentiel’ afin de justifier des plans qui font la part belle aux réalisations immobilières spéculatives projetées par la ‘Famille’. Le mal de notre tourisme ne vient-il pas d’une option discutable d’aménagement touristique du littoral qui a entraîné la monotypie de l’offre balnéaire, l’option de tourisme de masse, la saisonnalité trop marquée de la fréquentation touristique, la précarité et l’intermittence de l’emploi et le bradage des prix?
Avec un taux moyen d’occupation de moins de 50%, ne vaut-il pas mieux améliorer l’existant en ’’liftant’’ le parc hôtelier encore viable, en améliorant l’environnement extra hôtelier et en structurant les zones traditionnelles par des équipements d’animations qui leur font actuellement défaut ? Arrêtons de croire qu’il n’y a d’aménagement touristique viable que les pieds dans l’eau face à la mer.
Il est grand temps qu’on adopte une philosophie d’aménagement touristique « dos à la mer », c’est à dire un aménagement qui valorise les trésors naturels et culturels des régions de l’intérieur. Un aménagement qui favorise la durabilité des ressources, l’intégration à l’économie régionale et le montage de petits projets non capitalistiques à la portée des jeunes diplômés de chaque région. L’engagement de cette démarche constituera un signal fort pour les habitants de toutes les ‘’poches de misère touristique’’ .Elle suppose évidemment l’octroi d’incitations spécifiques à l’investissement et la création d’une structure de financement appropriée.
Il s’agira de créer ,au bout du processus, un véritable maillage de maisons d’hôtes, de gites d’étapes, d’hôtels de charme, de restaurants typiques, de tables d’hôtes, de centres de campings, de caravaning et d’animations et de centres sportifs qui constitueront l’amorce nécessaire d’un tourisme écologique et culturel viable et crédible.

En matière de gouvernance :
- œuvrer au rattachement du département du tourisme au Premier ministère afin de résoudre les problèmes de coordination dus à la transversalité des choses du secteur et éviter la dispersion des décisions qui le concernent.
- Procéder, sans délais, à une révision radicale de l’ONTT qui n’est plus adapté à la réalité du secteur et qui fait les frais d’une trop grande promiscuité avec son organisme de tutelle. Son éclatement en 3 agences cogérées par l’Administration et la Profession est devenu inéluctable.
- Décentraliser les décisions de développement touristique régional par la création de Conseils régionaux de tourisme où toutes les parties publiques et privées régionales sont représentées.
En conclusion, on ne doit pas perdre de vue que la confiance qui est le moteur de toute activité économique et touristique doit être réinstaurée sans délais et à plusieurs niveaux :
- au niveau du promoteur hôtelier et touristique qui ne doit pas croire qu’un rééquilibrage social est antinomique avec la préservation de ses intérêts et la rentabilité de son entreprise, 

- au niveau des employés dans le secteur qui doivent être rassurés quant à la pérennité et la valorisation de leurs emplois,
- au niveau des partenaires voyagistes étrangers qui doivent continuer à établir des relations gagnants /gagnants avec notre destination, 

- au niveau de la clientèle internationale qui doit être rassurée quant à la sécurité qui doit régner dans notre pays et au respect de ses habitudes de consommation. 

- au niveau de la population d’accueil qui doit se convaincre que le tourisme en tant que facteur de promotion économique et sociale et moteur de développement régional doit faire l’objet de toutes les attentions.
- au niveau de la clientèle nationale qui ne doit pas se sentir exclue des ressources touristiques de son pays.

Ce moment est une véritable chance pour opérer une véritable révolution tranquille mais efficace dans nos options de développement touristique. Nous n’aurons pas besoin d’une énième étude stratégique pour enclencher l’action.
Il suffit de prêter attentivement l’oreille aux clameurs insistantes de notre jeunesse et tenter d’y répondre le plus tôt possible.
Avec tous mes vœux de réussite dans votre difficile mission.

*Ancien directeur général
de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT)
28/11/2011 | 1
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