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Quand l'euphorie occulte un débat de fond
17/03/2011 | 1
min
Quand l'euphorie occulte un débat de fond
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Par M’hamed Jaïbi


La réflexion publiée à la "Une” de «La Presse» par Hmida Ben Romdhane, à l’occasion du 75ème anniversaire de notre journal, samedi 12 mars, invite au débat sur plus d’une question. Or, la place qu’occupe «La Presse» dans notre espace médiatique, ne manque pas de susciter des interrogations et questionnements essentiels méritant d’élargir une discussion qui, à mon sens, intéresse désormais l’ensemble du peuple tunisien.

Les moments de grâce ont toujours été, historiquement, de courts instants de relâche et de consensus donnant suite à de terribles reprises en main. Plus d’une fois, le journal «La Presse» a vécu de tels moments de grâce qui ont, à chaque fois, et de nouveau, enfanté une reproduction du fait du prince sous la forme d’un monstre à une seule tête, celle d’un Etat totalitaire.
A l’heure où l’on songe à mettre en place une instance nationale indépendante arbitrant la ligne éditoriale des médias publics, l’article publié par notre directeur remue diverses problématiques fondamentales.

La première en est l’indépendance et la liberté de ton qui, selon lui, seraient désormais acquises. Or, il s’agit là d’une problématique fort complexe qui pose des questions essentielles comme le rapport entre la rédaction et la direction du journal, entre la direction du journal et le propriétaire du journal, entre le Conseil d’administration de la société éditrice et les différents actionnaires, lesquels sont contrôlés par l’Etat.
La deuxième en est le cadre juridique dans lequel évolue, à ce jour, tout journal en Tunisie. Le Code de presse actuel exige pour chaque journal ou projet de journal qu’il soit fait mention des noms des membres du conseil d’administration de la personne morale qui l’édite ou se propose de l’éditer. Il prévoit, de plus, en son article 16 (nouveau) que «lorsque le périodique est publié par une personne morale, le directeur doit être choisi, selon le cas, parmi les membres du conseil d’administration ou du comité directeur». Sachant que (article 18 nouveau) «tout périodique doit faire connaitre au public les noms de ceux qui en ont la direction».

En fait, et comme le reconnait bien Hmida Ben Romdhane, notre journal «s’est toujours vu imposer une conduite docile aux pouvoirs en place, et à aucun moment (il) n’a pensé à se rebeller». Mais, ce qu’il a omis de préciser c’est qu’il ne saurait en être autrement, à moins d’un changement radical dans le statut même du journal, en termes de rapports de propriété, de gestion et de fonctionnement.
Car il n’est nullement rassurant de voir notre directeur croire en la disparition miraculeuse des ordres et instructions venant du pouvoir exécutif. Et s’il est vrai que la mission d’un journal est effectivement d’informer librement et le plus objectivement possible, il serait utopique de croire un seul instant qu’un journal dont la direction est nommée par ce pouvoir exécutif puisse se détourner durablement de la ligne et des desiderata du gouvernement.
Tout esprit critique ne peut s’empêcher de mettre en doute le «pouvoir de décision interne» dont jouirait «La Presse» depuis le 15 janvier 2011, selon Hmida Ben Romdhane. Même si, effectivement, les journalistes s’étaient appropriés, ce jour là, du pouvoir de décider seuls du contenu de leur journal. Un tel pouvoir de décision interne ne peut se concevoir en l’absence de structures légales opérationnelles qui garantiraient cela. Les seules structures décisionnelles en place actuellement étant le Conseil d’administration, qui nous échappe totalement, et le PDG dont la nomination n’est pas de notre ressort, sachant que le Comité de rédaction est tributaire de la nomination des chefs de service par les soins du directeur.

L’affirmation solennelle de notre directeur, comme quoi «ce pouvoir, nous l’avons et nous comptons le garder», ne résiste d’aucune façon à l’esprit critique de n’importe lequel d’entre nous, que dire de celui des lecteurs et de la nouvelle classe politique plurale et plurielle. Car il est seul à détenir ce pouvoir, et par le fait de sa nomination.
En fait, «La promotion de la liberté de la presse, de l’indépendance de la justice et du développement de la démocratie et de la tolérance» est un crédo que Hmida Ben Romdhane partage sans doute avec beaucoup d’entre les journalistes et les lecteurs de «La Presse», mais ce crédo est modulable en fonction de la ligne éditoriale et politique de chacun. Celle de Hmida Ben Romdhane étant, jusqu’à nouvel ordre, celle du gouvernement provisoire qui l’à nommé.

Tout cela laisse dubitatif sur l’affirmation selon laquelle, à l’avenir, notre journal «résistera fortement à toute tentative de dépossession de ses atouts fraichement acquis, de récupération ou de dévoiement». Car aucun acquis ne saurait s’inscrire dans la durée sans être bâti sur des données juridiques et institutionnelles.
Comme pour l’ensemble du pays, se pose ici un impératif de changement structurel. Pour le pays, cela prendra la forme d’un nouveau régime politique équilibrant les institutions représentatives républicaines, sur la base d’une nouvelle constitution. Pour le journal «La Presse» cela ne pourrait être acquis sans un nouveau statut et un nouveau fonctionnement conformes aux idéaux dont se réclame légitimement notre nouveau directeur. L’euphorie de la liberté retrouvée ne doit aucunement occulter l’amère réalité, structurelle, qui est celle de notre journal.

M’hamed Jaïbi est journaliste au quotidien La Presse. Cette tribune a été rédigée à la suite d’une opinion publiée samedi 12 mars dans La Presse par Hmida Ben Romdhane. En attendant sa publication éventuelle dans son journal, M. Jaïbi a voulu en donner la primeur aux lecteurs de Business News.
17/03/2011 | 1
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