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Chroniques
Entre le rêve américain et le rêve tunisien
30/08/2010 | 1
min
Entre le rêve américain et le rêve tunisien
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Par Nizar BAHLOUL

La définition synchronique du « rêve américain » est l’idée selon laquelle n’importe quelle personne vivant aux Etats-Unis peut devenir prospère par son travail, son courage et sa détermination.
Cette idée est véhiculée directement ou indirectement dans quasiment toutes les fictions américaines.
En ce mois de l’année, où la fiction tunisienne est déversée en volume sur nos écrans, il y a lieu de s’interroger sur le rêve tunisien et si l’on peut, à partir de ce qu’on voit sur nos chaînes de télévision, dégager une idée ou un semblant d’idée sur le « Tunisian Dream ».
Partant du principe que la télévision est le miroir de la société, l’exercice ne devrait pas être difficile en apparence.

De prime abord, et dans l’ensemble de nos séries, feuilletons, sitcoms et sketchs, on écarte l’idée toute faite que le rêve classique du Tunisien est de s’octroyer un logement et une auto avec un crédit étalé sur 20 ans.
Selon nos fictions, les préoccupations du Tunisien sont ailleurs. A croire la chaîne publique, nos préoccupations s’articulent autour de la drogue, de l’adultère, des viols, etc. On pourra nous dire que ce n’est qu’une fiction. Soit. Mais une fiction est obligatoirement tirée à partir de faits réels et un vécu qui, lorsqu’ils sont diffusés en prime time sur une chaîne publique, veulent dire ce qu’ils veulent dire.
Maintenant, essayez de trouver les mots adéquats pour expliquer à vos enfants, vous qui regardez, tranquillement rassurés, la chaîne nationale, les définitions des termes drogues, SDF, enfants abandonnés, adultère, viols… Ne vous dérobez pas de cet exercice périlleux, car si la chaîne publique diffuse ça en prime time, c’est qu’il s’agit d’un grave phénomène de société et que vous vous devez de l’affronter.
Un phénomène de société tellement ordinaire que la critique locale ne lui a consacré qu’une infime partie de ses articles préférant axer sa littérature sur les dangers de montrer des acteurs fumer le narguilé dans un café et d’autres incarner le rôle de prophètes.

Elle est extraordinaire la Tunisie. Quand on voit le scandale autour de cette histoire de feuilletons iraniens où l’on montre des prophètes, on dirait que nous sommes encore au Moyen-âge.
Quand on voit nos fictions parlant d’adultère et de drogue et nos canards évoquer le danger du tabac, on dirait que nous sommes déjà un pays développé subissant les inévitables méfaits de la modernité.
Quand on voit une émission de guignols à la télé, on conclut que le paysage audiovisuel local est développé.
Quand on entend le langage populeux (indigne d’une chaîne publique) de ces mêmes guignols, on découvre un discours rétrograde scandalisé par les vêtements dénudés des filles ou les gros salaires des entraîneurs et on conclut que de modernité, il n’y en a point.

Que pourrait retenir un étranger après avoir visionné nos chaînes télé et particulièrement la chaîne publique ? La drogue, le tabac, l’adultère, la violence. Telle est la physionomie sociétale tunisienne dessinée par nos scénaristes.
Une fois son poste éteint, cet étranger verra une toute autre société en sortant dans la rue.
Des jeûneurs observant religieusement leur ramadan, des mosquées diffusant le Coran avec une puissance sonore digne d’un concert de rock, des familles serrées dans une voiture populaire allant acheter les vêtements de l’aïd dans un embouteillage permanent, des cafés bondés de joueurs de rami et fumeurs de chicha et/ou regardant religieusement le feuilleton télévisé.

Rien à voir avec la société dépeinte par les télévisions locales, mais là aussi il n’est pas sorti de l’auberge et ne pourra pas aisément se faire son idée sur le dream tunisien.
Il pensait que le Coran se devait d’être écouté très attentivement et voilà que les mosquées le diffusent de la même manière qu’un café diffusant Oum Kalthoum en flagrante violation de la loi relative à la pollution sonore et des préceptes islamiques.
Il pensait que les Tunisiens étaient fortement endettés par leur voiture et leur maison et voilà qu’ils s’achètent des vêtements griffés en masse et claquant des dizaines de dinars dans leurs dépenses nocturnes.
Il pensait que le tabac était interdit dans les endroits publics, mais constate que la loi n’est appliquée ni dans les cafés populaires, ni dans les cafés huppés, ni même dans les aéroports.

Au vu de nos fictions, au vu de nos rues, Il faudrait bien admettre que la schizophrénie sociétale tunisienne donnerait du fil à retordre au meilleur des docteurs de sciences humaines et sociales.
Tout étudiant de cette discipline, s’il avait choisi ce sujet pour sa thèse, est à plaindre.
S’il est indéniable que le Tunisien, tout comme l’Américain, rêve d’être riche et prospère, il faudrait bien admettre que ce rêve tunisien n’appert nulle part. Ni dans la réalité, ni même dans les fictions télévisées.
30/08/2010 | 1
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