
Par Ghazi Boulila
Professeur d'économie à l'Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales de Tunis (ESSEC)
Le déficit budgétaire croissant depuis une décennie a entraîné plusieurs graves problèmes économiques. Tous les gouvernements passés ont cherché à financer ce déficit essentiellement par la dette. Ils n’ont pas mis en œuvre une stratégie de création de richesse pour augmenter les recettes de l’Etat et combler ce déficit. Au contraire, ils ont augmenté des dépenses de l’Etat pour acheter la paix sociale dans l’objectif de se maintenir au pouvoir. Tous les gouvernements ont consenti plus d’efforts dans les négociations avec le FMI que dans la recherche de solution pour créer la richesse. Or, il est clair que la faiblesse de la création de la richesse qui a exacerbé la pression sur les finances publiques. Aujourd’hui, les recettes propres de l’Etat sont loin de combler les besoins en dépenses incompressibles (salaires des fonctionnaires, service de la dette) sans évoquer le besoin en dépenses d’investissement génératrices de croissance. La vraie solution pour notre économie est d’instaurer des politiques pro-croissance économique qui génèrent des recettes à l’Etat. Dans le cas où le gouvernement sera incapable de mettre en œuvre ces politiques, il sera contraint à diminuer ses dépenses (salaires, éducation, santé etc.) et de mener des actions non populaires. La grande question qui se pose aujourd’hui est comment sortir de ce piège et à quel prix ? Est-ce qu’on a encore des marges de manœuvre pour financer ce déficit et aller vers la croissance ?
La difficulté de trouver des financements extérieurs et pour combler ce déficit, le gouvernement devra puiser essentiellement sur les trois modes de financement : la fiscalité, la dette publique et le financement monétaire. Chaque mode a des avantages et des inconvénients. Il est important que le gouvernement privilégie celui qui génère un moindre impact négatif sur la santé financière de l’État.
1. La fiscalité : Elle concerne les prélèvements obligatoires qui comprennent les impôts et les cotisations sociales. Les taux d’imposition sont déjà élevés et leurs augmentations réduisent le pouvoir d’achat des consommateurs et peuvent causer des perturbations sociales. L’impopularité des hausses des taxes a amené les différents gouvernements à ne pas chercher à imposer de nouvelles taxes ou à les augmenter. Par ailleurs, il est intéressant de dégager le taux optimal des prélèvements obligatoires en Tunisie dans l’objectif de l’ajuster. Cependant, il existe des marges pour améliorer le recouvrement des prélèvements obligatoires. Une réforme du système fiscal est fortement recommandée.
2. La dette publique : Elle regroupe l’ensemble des emprunts contractés par les administrations publiques (l’Etat, les collectivités et les organismes de sécurité sociale) mais également la partie de la dette privée qui a obtenu la garantie du secteur public. Elle a dépassé les 100% du PIB dont la majeure partie est externe. Les différents gouvernements ont misé sur cette dette pour financer le déficit budgétaire. Les électeurs se préoccupent moins de la hausse de la dette publique contrairement à celle des hausses des taxes et des prélèvements obligatoires. Ce comportement opportuniste des partis politiques au pouvoir dans leur préférence pour la dette publique plutôt que pour la hausse des impôts ne fait que retarder l’échéance des taxes futures et les prélèvements obligatoires plus importants seront imposés aux générations futures.
L’excès de l’utilisation de ce mode de financement pour financer le déficit budgétaire a abouti à un résultat grave pour l’économie tunisienne qui consiste à rendre la dette extérieure non soutenable. Les gouvernements ont remplacé les anciennes dettes par de nouvelles dettes. Ce mode de remboursement de la dette publique par de nouvelles dettes peut s’assimiler à ce que l’on peut appeler un jeu de Ponzi. Ce refinancement est toléré à court terme dans le cas où le gouvernement bénéficie de la confiance et la crédibilité des créanciers et notamment le FMI. Cependant, à long terme, la dette doit être entièrement remboursée (no Ponzi Game). Il est important de constater que la marge de manœuvre de ce mode de financement commence à se rétrécir que le gouvernement doit chercher d’autres options et d’autres sources de financement.
3. Le seigneuriage ou le financement monétaire ou encore la planche à billet : Il correspond à une politique de financement basée sur la sollicitation de l’intervention des autorités monétaires par le gouvernement. Il concerne 2 formes : Le seigneuriage direct c’est-à-dire lorsque le gouvernement s’adresse directement à la Banque Centrale pour se financer (avance par la banque centrale au trésor qui est interdit selon l’article 25) et le seigneuriage indirect par les émissions de bons du Trésor et titres financiers publics de court terme (pratiqué depuis plusieurs années). Afin de rembourser les dettes en devises étrangères, la Banque Centrale a refinancé les banques pour l’achat de bons de trésor à trois mois en juillet/août et opéré un swap de change. Il est attendu à ce que ce type d’avance se multiplie dans les mois à venir suite aux pressions budgétaires. Ce financement correspond à une forme de taxe car il réduit la valeur de la monnaie détenue par les agents économiques et leur pouvoir d’achat d’où son appellation «taxe d’inflation ou impôt sur l’inflation ».
Cependant, le seigneuriage indirect n’est pas inclus dans l’interdiction institutionnelle du financement monétaire du déficit public. Le gouvernement a fait recours à l’émission de bons du Trésor pour faire face à ses besoins de financement depuis plusieurs années.
Il est recommandé de dégager les effets positifs et les effets négatifs du seigneuriage et de dégager un niveau de seigneuriage optimal ou un niveau d’inflation optimale c’est-à-dire avant ce niveau, le gouvernement peut continuer à financer le déficit public par la création monétaire sans que cela ne nuise aux agents économiques. En revanche, dès que le niveau d’inflation optimal est dépassé, le gouvernement n’a plus intérêt à continuer d’utiliser ce type de financement car l’inflation qu’il génère exercera un effet négatif sur les agents économiques. Il est intéressant de mener une étude pour dégager ce taux d’inflation optimal et minimiser l’effet négatif du financement monétaire du déficit public pour pouvoir y avoir recours en cas de besoin dans les mois à venir (la théorie du seigneuriage optimal).
En général, lorsqu’un gouvernement choisit le mode de financement du déficit budgétaire, il doit tenir compte de l’impact de ce choix sur les finances publiques. Pour le cas de la Tunisie, la non soutenabilité de la dette extérieure, le retard dans l’adoption des réformes et l’absence de croissance ne doivent pas contraindre le gouvernement à choisir des taux de taxe et d’inflation non optimaux pour ne pas réduire l’efficacité et empirer la santé financière de l’État. Le rééchelonnement de dette, la vente de quelques entreprises publiques aux étrangers, la baisse des salaires nominaux et l’impôt sur l’inflation seront des options réelles entre les mains du gouvernement durant les mois à venir.
" Le rééchelonnement de dette, la vente de quelques entreprises publiques aux étrangers, la baisse des salaires nominaux et l'impôt sur l'inflation seront des options réelles entre les mains du gouvernement durant les mois à venir."
Il est clair que toutes ces mesures seront totalement catastrophiques, sur un plan purement technique, pour résorber le déficit public énorme actuel.
De plus, elles auront des conséquences politiques gravissimes. Il est totalement certain qu'elles engendreront des émeutes si elles étaient suivies par le gouvernement. Il est hautement probable qu'elles ne pourront jamais être mises en oeuvre, ne serait-ce que par l'opposition attendue, et logique, de l'UGTT, qui sera certainement approuvé par l'ensemble du peuple Tunisien, ( moi compris!).
Hors de question donc de brader les entreprises publiques, ni de diminuer les salaires de la fonction publique, ( folie pure et simple!), ni de provoquer une inflation qui conduira le peuple aux émeutes.
Le réechelonnement de la dette sera une simple fuite en avant, et aggravera de plus le déficit, en le rendant structurel, et sera assorti de conditions draconiennes pour être octroyé par les pays créditeurs.
En réalité, la seule voie de sortie de la crise consiste à rembourser les dettes actuelles, ( voire même à négocier leur annulation pure et simple, moyennant les énormes concessions diplomatiques et militaires concédées par l'Etat Tunisien sans réelle contrepartie à l'UE et aux USA, et qui pourront être revues et corrigées en cas de refus!), sans en contracter de nouvelles, et concomitamment, à lancer une planification intelligente du développement accompagné d'une relance keynésienne continue et cumulative. C'est le plan que j'ai développé précédemment. Tout autre plan serait inefficace et voué à l'échec. Inutile donc de continuer à supplier le FMI, la Banque Mondiale et les banques des pays de lOTAN. La solution est entièrement entre les mains d'un ministre COMPETENT et INTELLIGENT de l'Economie, des Finances publiques et du développement économique. Or, le ministre actuel, Samir Taieb, est très loin d'être l'homme de la situation. Comme les prétendus "tayarate" qui l'ont précédé, ( la longue cohorte des Mehid Jemaa, Youssef Chahed, Brahim Yassine, Nizar Aiche, mongi Kooli, et autres), c'est un manager issu du mileiu bancaire, dont la seuel compétence consiste à quémander des prêts au FMI. Sauf que le FMI ne les accorde que moyennant la quadrature du cercle des mesures impossibles à faire passer en Tunisie, car catastrophiques, et de plus, le FMI exige leur ratification par l'ARP que notre génie constitutionnel, Kais SAied, un "tayara" du Droit, a eu l'excellente idée de boucler par les chars de l'armée!. Il ne restera donc plus à Kais Saied et cette autre génie du gouvernement tunisien, la "tayara" Najla Boudin, ( que j'ai bien connue au lycée Alaoui, et dont je connais intimement la réelle "valeur"!), qu'à demander à Marouen Abassi de leur imprimer des dollars USA et des euros de l'Ue pour satisfaire les céanciers internationaux de l'Etat tunisien, ou solliciter un nouveau "Protectorat" et une "Commission financière internationale", comle l'avait fait l'illustre Mohamed Sadek, alors "Bey" de Tunis, afin que les Erlanger, Scemama et Rotschild puissent se payer directement sur la bête!.
Je détaille ce programme sur mon blog, ici: https://jalelbouharb2012.wordpress.com/?p=1338