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Chroniques
Dans le désordre du fléau
Par Ikhlas Latif
27/03/2020 | 18:30
4 min
Dans le désordre du fléau

 

Six jours que nous sommes en confinement total. Six longs jours ressentis comme une éternité pour tous ceux qui se retrouvent coincés entre quatre murs. Ce n’est pas très bon pour le moral, surtout que tous les jours, on est bombardés de mauvaises nouvelles qui nous arrivent de partout dans le monde. L’ombre menaçante de la maladie et de la mort, nous colle à la peau, nous saute aux yeux, hallucinés, des écrans de nos smartphones, s’insère dans les interstices de nos maisons aseptisées jusqu’à pas possible, se faufile insidieusement dans nos interactions avec nos proches. Cette ombre frappe à la porte de notre psyché, l’éprouvant en faisant ressortir son côté obscur, son instinct de survie auréolé de peurs primaires.

 

Ces tourments sont exacerbés chez les personnes qui ont pleinement conscience de la gravité de la situation, qui ressentent toute perte humaine dans leur chair, qui restent chez elles parce qu’elles sont convaincues par la nécessité de la distanciation sociale comme moyen à court terme pour limiter la propagation.

Et puis, il y a les autres. Ceux qui rigolent à chaque fois qu’ils entendent le slogan ‘Restez chez vous’ et partent flâner dans les rues et visiter leurs parents et grands-parents. Ceux qui pensent que ce virus n’est qu’une pure invention des forces occultes pour mieux nous contrôler. Ceux-là, ils ont percé l’ultime secret et n’ont aucune intention de rester chez eux. Ça c’est pour les chochottes, nous disent-ils. Y en a qui disent que ce n’est pas un agent pathogène mais un gaz qui a été diffusé à l’échelle planétaire pour réduire le nombre d’humains. Je vous jure, ce n’est pas une blague. Il existe toute une communauté d’illuminés en Tunisie qui y croit dur comme fer.

Et puis aussi, il y a les autres qui invoquent une colère divine qui s’abat sur le genre humain parce qu’il a bien péché ces dernières années. Une sorte de punition qu’une entité appelée Dieu a décidé d’infliger à ce gros virus qu’est l’Homme. A la manière de Sodome et Gomorrhe, mais en plus sophistiqué cette fois. On ne se change plus en statue de sel, mais en un corps détruit de l’intérieur. Evolution oblige. Ici en Tunisie, nous avons un chef de file qui défend cette thèse et pas des moindres. C’est un député, un élu du peuple qui l’affirme sur les plateaux. On apprend ainsi que c’est à cause de l’interdiction du niqab qu’une divinité a trouvé de bon aloi de nous envoyer cette nouvelle peste. Chercheurs et épidémiologues n’ont plus qu’à tout remballer et partir à la retraite.  

 

Pourtant, toutes les projections convergent vers une seule conclusion, le pic pandémique en Tunisie sera atteint dans à peu près un mois. Le directeur général des soins de santé de base, Chokri Hammouda n’a eu de cesse de le répéter, nos chercheurs s’échinent à nous l’expliquer. Cette conclusion s’appuie sur des recherches pour prédire l’évolution de la propagation du coronavirus, en tenant compte bien évidemment des facteurs sociaux et du respect des mesures d’hygiène et de confinement mises en place par les autorités.

Les prochaines semaines seront décisives, sauf que toute une frange de la population reste dans le déni. On a beau annoncer des sanctions de plus en plus sévères, rien n’y fait l’homo tunisus continue à circuler librement en disséminant ses germes partout. Il y en a même qui ont décidé d’organiser des manifestations nocturnes contre le virus. Il ne faut pas être un grand expert pour faire la comparaison entre les courbes d’évolution du Covid-19 en Italie, par exemple, et celles en Tunisie, pour conclure à une explosion des cas au mois d’avril.  A l’heure actuelle, et dans ce contexte pandémique, le respect de la distanciation sociale reste le premier moyen pour retarder, voire atténuer, le pic épidémique et ainsi limiter son impact sur un système de santé défaillant.

 

Et puis dans ce climat anxiogène, nos politiques plombent encore plus l’ambiance. Même face à la menace d’une catastrophe sanitaire, ils ont trouvé le moyen pour se torpiller et se lancer des peaux de bananes. Un chef du gouvernement qui demande, presque, les pleins pouvoirs pour gouverner par ordonnance, urgence oblige, qui se trouve taclé dans sa lancée par un président du Parlement qui ne compte pas lâcher une once de son pouvoir.  C’est à qui s’attribuerait le mérite de la gestion de la crise et en sortirait plus puissant. Un état des faits pathétique, au moment où le personnel soignant se bat, avec les moyens qu’on connait, pour sauver des vies. Nous sommes loin de « l’ordre intelligent qu’une société introduit dans le désordre d’un fléau », pour citer La Peste de Camus. C’est de circonstance.

 

PS : Pour les personnes qui commencent à ressentir le poids psychologique de cette période trouble, quelques recommandations à consulter sur ce lien. Celles-ci sont strictement scientifiques et ne font pas appel au savoir infus de forces mystiques.  

Par Ikhlas Latif
27/03/2020 | 18:30
4 min
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Commentaires
mohamed Khenissi
l'article
a posté le 28-03-2020 à 20:12
Bravo pour cette analyse perspicace de la situation en Tunise au rythme de l'évolution de l'épidémie !
Fares
Une leçon d'humilité signée: mère nature
a posté le 28-03-2020 à 15:09
Le temps des pensées mystiques et des Dieux imaginaires et bien révolu. Les religions peuvent apporter une dose se spiritualité qui est bonne pour le morale, mais leurs rôles s'arrêtent là. Juste des placebos, le remède contre ce virus sortia des laboratoires de recherche. Il ne sortira pas d'une église, ni d'une synagogue ou d'une église.

Une belle leçon contre l'arrogance de l'espèce humaine. Nous restons un assemblage de molécules qui tellement fragile. Le virus le discrimine en un riche et un pauvre ou entre une personne pieuse et un fêtard.

Ces marchands des religions se sont caché dans leurs trous comme des rats. Les survivants parmi eux sortiront après la tempête pour nous montrer comment Jésus, Allah ou Elohim nous a épargné.
Gg
@ DHEJ
a posté le 28-03-2020 à 08:33
Bonjour Dhej!
Non, je ne connais pas la Chine. De loin, comme tout le monde, je constate ses grandes disparités entre les régions modernes et traditionnelles, d'ou viendrait le virus. En même temps, son organisation autoritaire nous montre son efficacité. Peut on concilier l'efficacité autoritaire et la liberté individuelle? C'est une vraie question qui nous est posée à tous.
On voit aussi combien la planète respire mieux, depuis que les humains ont cessé de bruler du carbone. Nous ne pourrons pas faire l'impasse d'une réflexion planétaire sur la mondialisation, le virus nous y enjoint violemment.
Maintenant, il faut aussi nous poser la question de la légitimité des pratiques religieuses. Imagine que l'épidémie ne doit pas maîtrisée lorsque ce sera le ramadan, tu vois la catastrophe venir?
Il u aura un après virus, c'est certain. Si rien ne change, ce virus n'aura été qu'un échantillon. Peut être les prémisses de la fin d'une humanité...
DHEJ
@Gg
a posté le 27-03-2020 à 21:46
Bonsoir

Mais Covid-19 vient-il de restreindre la liberté individuelle chère à nôtre Colibe-19 ?

Puis, on me casse les oreilles avec les recommandations des chinois concernant l'hygiène de vie alors je te demande quand la première fois tu ad visité la Chine ?

Un Chine dont la constitution reconnait la dictature du parti communiste chinois, une dictature imposée par Covid-19 !
Gg
@ DHEJ
a posté le 27-03-2020 à 21:36
Noooon, pas vous! La punition divine, le destin, tout ça...pas vous !
DHEJ
Ry moi je dirais...
a posté le 27-03-2020 à 21:01
Covid-19 est venu chercher Colibe-19...

Mais on ne l'entend plus la Bochra...
Gg
Entendu aujourd'hui au petit supermarche...
a posté le 27-03-2020 à 20:06
...de mon quartier, en France.
Deux niktamere font leurs courses.
L'un est à la caisse, l'autre arrive. Dialogue:
- Avance, qu'est ce t'attends?
- Ils veulent que je recule!
- Conneries, ils nous emmerdent, si on doit l'avoir on l'aura, c'est tout!

No comment, il y avait plus d'intelligence dans sa boite de pois chiches halal que sous sa casquette...