Au Bardo, les nouvelles alliances se tracent
En ce mercredi 13 novembre 2019, l’hémicycle du Bardo a accueilli ses nouveaux locataires. Présidée par Rached Ghannouchi, député le plus âgé, la séance inaugurale vient de l'élire nouveau président du parlement. Une élection qui donnera les grandes lignes des futures alliances durant le prochain quinquennat, bien que les tensions se font encore ressentir et les blocages restent en vue.
C’est le président de l’ancienne assemblée, Abdelfatteh Mourou qui a ouvert la séance inaugurale. Après avoir prononcé son discours, il a cédé sa place à son vieux camarade et son compagnon de longue date Rached Ghannouchi. Conformément au règlement intérieur de l’ARP, le député le plus âgé préside la séance. Les vice-présidents sont les deux plus jeunes, en l’occurrence Mariem Ben Belgacem et Abdallah Marzouki.
Comme attendus par la majorité des observateurs, les clashs et les discordes étaient bel et bien au rendez-vous. C’est dire que le patchwork parlementaire hétérogène résultant des dernières élections ne peut être que le théâtre de scènes assez mouvementées. Et c’est Abir Moussi et Rached Ghannouchi qui ouvrent le bal, dès les premières minutes. La présidente du PDL conteste la prestation de serment collective sans vérification préalable de la présence de tous les députés, d’autant plus qu’il y en avait des absents. Ce clash bien que prévisible montre la faille qui existe entre les deux partis, qui se sont déclarés la guerre depuis bien longtemps.
De retour au calme, place aux choses sérieuses, à savoir l’élection du nouveau président. La liste des candidats qui se sont présentés à ce poste laisse deviner, approximativement, le positionnement des différents partis. Les candidats en lice sont, en fait, Rached Ghannouchi du parti Ennahdha, Ghazi Chaouachi candidat d’Attayar et du mouvement Echâab, Marouen Felfel de Tahya Tounes et Abir Moussi du PDL.
Les choses s’éclaircissent avec le résultat des votes. C’est au candidat d’Ennahdha, Rached Ghannouchi que vont la majorité des voix. Il remporte 123 des voix, après avoir bénéficié du soutien de Qalb Tounes et d’Al Karama.
Et si l’appui d’Al Karama pour le parti islamiste était déclaré depuis le début, c’est bien le soutien de Qalb Tounes, peu probable jusqu’à récemment, qui ouvre la porte à Rached Ghannouchi pour se positionner à la tête du législatif.
C’est dire que le discours des deux partis, n’ayant cessé de crier l’impossibilité d’une quelconque alliance, avait changé depuis ce matin. Dans ce contexte, Ridha Charfeddine, a confirmé que son parti votera pour le candidat d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, à la présidence du gouvernement. « Nous allons voter pour le candidat d’Ennahdha, il y’a une situation et un parti vainqueur et ce qui nous intéresse c’est la prochaine étape et la formation du gouvernement. Nous allons présenter notre candidate Samira Chaouachi pour le poste de première vice-présidente de l’ARP », a-t-il précisé. De son côté, Rached Ghannouchi déclare un ironique : « il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis ! »
C’est dire que le mouvement Ennahdha ne pouvait admettre l’échec de Ghannouchi pour accéder à la présidence au parlement. Ainsi, et après le blocage des négociations avec Attayar et Achaâb, le parti islamiste n’avait aucune autre alternative que celle de trouver un compris avec le parti de Nabil Karoui.
Adepte du double discours, Rached Ghannouchi a réussi à justifier le résultat des votes avec une grande fluidité et beaucoup d’aisance. « Nous n’avons pas posé un veto contre Qalb Tounes, nous n’avons exclu aucun parti. Notre système parlementaire impose la participation et l’entente. Aucun parti, aussi fort soit-il, ne peut légiférer seul » a-t-il affirmé, ajoutant que la question de la présidence de l’ARP a été tranchée avec le parti de Nabil Karoui.
« Pour ce qui est de la formation du gouvernement, nous verrons cela par la suite. La question sera examinée selon le contexte et les équilibres du pays et l’objectif est de former un gouvernement avec une large base de soutien pour qu’il puisse répondre aux impératifs économiques et sociaux. Il est probable que le chef du gouvernement soit d’Ennahdha ou fasse partie de ses amis mais ne soit pas hors de ce cercle. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis ! » a-t-il poursuivi.
Face à cette alliance de dernière minute, le député et porte-parole de la Coalition Al Karama, Seif Eddine Makhlouf a réagi rapidement. S’étant toujours affiché « contre les corrompus » et pour « la protection des revendications de la révolution », il a publié un statut assurant qu’il n’y a aucun accord avec Qalb Tounes. « Il n’y a pas de négociation et il y en aura jamais… sans surenchère et sans illusion… s’il vous plait », lit-on dans le bref statut de Seif Eddine Makhlouf.
Il va sans dire que la séance inaugurale du nouveau Parlement a laissé apparaitre les grandes lignes des futures alliances. Ne pouvant compter sur l’appui d’Attayar et d’Achaâb, Ennahdha, en habitué des volte-face, a fait un revirement de 180 degrés, en s’alliant avec le parti de Nabil Karoui. La question qui se pose est de savoir à quelles conditions? « Le précieux service » rendu par Nabil Karoui à Rached Ghannouchi aura quel prix et jettera-t-il son dévolu sur la prochaine formation gouvernementale? Le fameux consensus et les alliances contre-nature ont déjà démontré leurs limites durant le quinquennat précédent, et ceux qui ont cru en une nouvelle ère après l’élection de Kaïs Saïed se retrouveront, a priori, avec la reproduction du même schéma d’il y a cinq ans.
Sarra HLAOUI