
Par Selim Ben Abdessalem *
Deux mots sur la séance d’hier qui a vu l’ANC investir à une courte majorité M. Chedly Ayari comme nouveau gouverneur de la BCT (97 voix pour, 87 contre, 7 abstentions selon la Presse de ce matin, même si le résultat m’était apparu légèrement différent hier au tableau de l’ANC où il y avait, si je ne m’abuse, 190 votant enregistrés (chiffre contesté par certains élus), 97 pour, 89 contre et 4 abstentions).
Mais, pour commencer, je souhaite bonne chance à M. Ayari dans sa mission qui ne sera pas simple, même si j’ai décidé, après pas mal d’hésitations de voter contre son investiture au lieu de m’abstenir comme je l’avais envisagé au départ. Je m’en explique.
En effet, les récentes révélations de la presse concernant le passé de M. Ayari et ses liens avec l’ancien régime ont jeté un réel malaise parmi les députés, ainsi que dans l’opinion publique. Une question subsiste comme pour toutes les révélations tonitruantes de ce type : qu’y a-t-il de vrai et de faux ? N’oublions jamais que l’expérience nous enseigne que des histoires montées de toutes pièces à des fins peu honorables font malheureusement partie du réel. Mais, il n’en demeure que la plupart de ces éléments n’étaient pas niables et n’ont pas été niés ni par l’intéressé, ni par ses soutiens qui ont simplement tenté d’en minimiser la portée et de contrattaquer en décrivant l’ancien gouverneur de la BCT, M. Nabli, comme un homme plus marqué par le régime déchu que son successeur. On peut se demander où est cette fameuse rupture avec le passé si souvent promise mais apparemment si difficile à réaliser ? On peut aussi dire qu’il ne s’agit là que de symboles, mais dans l’époque que nous traversons, ceux-ci ont évidemment leur importance.
A vrai dire, les explications avancées par M. Ayari ne m’ont pas convaincues et, là encore, une vraie séance de questions/réponses à l’américaine aurait sans doute été indiquée. A ce propos, je ne cesse de me demander pourquoi est-on parfois aussi réticent en Tunisie à prendre exemple sur ce qui a réussi dans les grandes démocraties ? Bref, les députés n’ont eu droit qu’à un speech de l’intéressé suivi de prises de paroles des élus.
Sur le fond, au-delà du volet relatif à la politique monétaire où le candidat n’a rien révélé de sensationnel, je me suis trouvé particulièrement gêné, en premier lieu, par l’absence de justification à ses propos tenus alors qu’il était membre de la Chambre des conseillers sous Ben Ali (sur le quota des « compétences » a-t-il précisé) soutenant l’adoption d’une vraie loi liberticide criminalisant tout contact entre organisations tunisiennes et étrangères et décrivant la Tunisie d’alors comme étant sur la voie de la démocratie... Sans préjuger des contraintes ayant pu peser sur qui que ce soit sous la dictature, M. Ayari n’avait-il pas la faculté de se taire au lieu de prendre la parole pour tenir de tels propos ? De même, sa contribution de quatre pages à un ouvrage à la gloire de Ben Ali et du « changement » peut-elle se justifier un instant au seul regard du thème de cette « œuvre » et de ses objectifs ? Enfin, M. Ayari avait-il été contraint de participer aux symposiums du RCD auxquels il avait été invité, certes comme économiste et non comme politique ? Chacun sait ce qu’était ce régime et les méthodes mafieuses qu’il employait pour obliger certaines personnes à s’afficher comme ses soutiens y compris contre leur gré, mais, pour autant, bien des Tunisiens qui n’ont pas été des opposants déclarés à la dictature sont cependant parvenus à s’affranchir de ce type d’« obligation » en choisissant simplement de prendre leurs distances avec ce régime et… en se passant de ses honneurs…
Avant le débat et bien qu’animé des mêmes doutes qui me conduisaient à exclure un vote pour, j’ai cependant hésité à m’abstenir pour une seule raison : ne pas prendre le risque de laisser le poste de gouverneur de la BCT vacant plus d’un week-end, si se dégageait une majorité soutenant ce candidat, au vu des conséquences que cela pouvait avoir sur la crédibilité de la Tunisie à l’échelle internationale. Mais, je crains que celle-ci soit déjà bien entamée au demeurant, après tous ces soubresauts. Le débat a achevé de me convaincre de voter contre.
Malgré cela, j’espère qu’il s’agit là du dernier épisode d’un mauvais feuilleton qui n’a que trop duré et je réaffirme que je souhaite bonne chance au nouveau gouverneur car sa tâche sera particulièrement ardue.
Demain, si tout va bien (s’il n’y a pas d’ordre du jour surprise…), nous entamerons enfin l’examen du texte sur l’instance provisoire de la magistrature sur lequel j’ai eu l’occasion de travailler en commission de la législation générale, plusieurs fois retardé et attendu depuis plusieurs mois par les magistrats. Urgent, autant que le texte sur l’instance indépendante pour les élections qui n’a pas encore été présenté à cette même commission mais qui devrait l’être prochainement… La fin de session risque d’être chaude sur tous les plans !
* Député Ettakatol à l'Assemblée constituante