Chroniques
Chiffres officiels : Tout va bien sous le ciel bleu de Tunisie

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Par Mourad El Hattab*
Depuis une certaine période, les indicateurs statistiques notamment de la comptabilité nationale sont montés au créneau, et tous les acteurs de la scène économique en Tunisie en parlent. Toutes les spéculations vont bon train et plusieurs questions se posent quant à la véracité et le degré de confiance des indicateurs présentés.
Dès le début des années 1950 et avec le développement des méthodes mathématiques de traitement des données que les sciences statistiques débutaient à se profiler avec des applications dans les domaines scientifiques pointues, en industrie, en sciences sociales et dans la comptabilité publique où plusieurs courants de pensée s'affrontaient : inférentiels, fréquentistes, subjectivistes, etc.
Les statistiques ont connu leurs premières crises de confiance en France avec des débats sur les enjeux notamment politiques au niveau des méthodologies adoptées particulièrement pour la détermination des indices de prix de vente industrielles et de la consommation et des taux d’évolution des salaires.
En Tunisie, les gouvernants actuels ne cessent de présenter des données statistiques pour démontrer l’évolution généralement «positive» de la situation économique et sociale du pays dont trois principaux indicateurs de la comptabilité nationale sur lesquels on va s’arrêter pour analyser leurs degrés de pertinence ainsi que la motivation de la concentration particulière sur ces indicateurs qui sont le taux de croissance, l’inflation et le chômage.
Ainsi, et durant l’ère de la Troïka, le taux de croissance au sens du glissement évolutif de l’ensemble des valeurs ajoutées générées par les différents secteurs d’activité économique, aux prix constant, était de 4,2% à fin 2012 et de 3,5% au terme du second semestre de l’année 2013, et ce selon les chiffres de l’Institut National de la Statistique. A en croire ces chiffres, la Tunisie devance ainsi l’Inde, La Russie et la Zone Euro dans son ensemble, Allemagne comprise. Une belle performance pour un pays en plein processus transitionnel «démocratisant». Sauf que sur la plan méthodologique, la détermination de ce taux dans notre pays s’appuie largement sur l'optique du revenu où le taux de croissance est obtenu par la variation, d’une année à l’autre, de la rémunération des salariés à laquelle on additionne l’excédent brut d'exploitation, le revenu mixte et en déduisant les impôts nets sur la production et les importations.
Sachant que la masse salariale globale notamment dans le secteur public a augmenté d’environ 30% durant les deux dernières années dans la fonction publique pour plusieurs raisons, ce qui justifierait en quelque sorte les raisons de la «performance» tunisienne exceptionnelle à l’échelle mondiale sur le plan de la croissance.
Quant à l’inflation, son taux, selon les chiffres de la Banque Centrale de Tunisie, était de 5,6% à fin décembre 2012 et de 6% au terme du mois de septembre 2013. Dans la Zone Euro et aux Etats Unis, le taux de l’inflation était successivement aux alentours de 1,6% et de 2% à la fin du mois de juillet de l’année 2013 et pourtant la Tunisie affichait une croissance soutenue qui ne doit pas coller à une inflation supérieure par rapport à des économies en récession généralisée, sauf miracle.
Un taux élevé d’inflation est en corrélation, selon les normes analytiques de la comptabilité nationale, avec une sous-exploitation significative des facteurs de production et un déséquilibre économique général sur les marchés de biens et services, du capital et de l’emploi donc avec un rythme de croissance faible voire même proche de zéro, Mieux encore, il faut préciser que la méthode de calcul de l’indice des prix à la consommation familiale en glissement mensuel est biaisée en Tunisie puisqu’elle se base sur le suivi du rythme de consommation semestriel d’un échantillon de 13.000 ménages sur seulement 3351 points de ventes et par rapport à 1001 produits classés en six groupes sans tenir compte numériquement des indices des disparités régionales et sociales.
Le taux d’inflation enregistrée au niveau des comptes de la nation ne traduit pas son niveau réellement ressenti vu sa logique numérique abstraite ce qui a mené plusieurs instituions bilatérales de développement à inviter les autorités actuelles à adopter de nouvelles méthodes de calcul du taux d’inflation conformes aux normes mondiales pour pallier à cette insuffisance méthodologique flagrante.
Côté emploi, les enjeux pour l’actuel gouvernement, à ce niveau, sont de taille puisqu’ils n’ont jamais cessé d’annoncer que grâce à leur «bonne» gouvernance, 85 mille postes d’emploi auraient été créés en 2012 et 59,1 mille autres postes durant le premier semestre de l’année en cours. Ceci veut dire que si la Troïka poursuit le déploiement de ses louables efforts, à ce rythme, le problème du chômage dont le taux actuel est de 15,9% touchant une masse des 628,4 mille tunisiens non occupés de la population active, selon les chiffres de l’Institut National de la Statistique arrêtés à fin juin 2013, sera résolu d’ici quatre ans et trois mois et ce, selon un modèle simple de transposition mobile.
Mais ce qui intrigue les experts tant contestés par les officiels est que, selon les données de la Banque Centrale de Tunisie, le taux d’investissement public et privé par rapport au produit intérieur brut aux prix constants est quasi bloqué, depuis deux ans, à 21% et que la formation brute du capital fixe qui traduit la richesse produite par une économie a baissé, durant les trois dernières années, dans notre pays de 3,9%.
Ceci laisse perplexe, à plus d’un titre, quant à la cohérence de l’ensemble des chiffres présentés par le gouvernement dont l’interprétation normale et logique de point de vue économique ne peut être faite que dans deux sens : le premier est que la Tunisie est prête à atteindre son équilibre de plein emploi très prochainement ce qui constitue l’objectif ultime de tout gouvernant économique, le second est que notre pays est déjà un modèle en matière d’harmonisation financière, économique et sociale et que les notations revues en baisse de l’économie nationale par les maisons de rating se sont basées, parait-il, sur des arguments très peu fondés voire même subjectifs et injustes.
Enfin, le chiffre très optimiste avancé par les autorités sur le chômage (15,9%) et le taux d’inflation estimée à 6% ne s’accordent en aucun cas de figure avec le taux de croissance officiel estimé à environ 4%.
Cette incohérence des chiffres plus qu’éloquente exprime l’approche surréaliste de la crise que vit réellement le pays.
À croire les chiffres officiels indiquant les performances chinoises de l’économie nationale, tout va bien, malgré tout, sous le ciel bleu de notre belle Tunisie.
*Spécialiste en gestion des risques financiers
Depuis une certaine période, les indicateurs statistiques notamment de la comptabilité nationale sont montés au créneau, et tous les acteurs de la scène économique en Tunisie en parlent. Toutes les spéculations vont bon train et plusieurs questions se posent quant à la véracité et le degré de confiance des indicateurs présentés.
Dès le début des années 1950 et avec le développement des méthodes mathématiques de traitement des données que les sciences statistiques débutaient à se profiler avec des applications dans les domaines scientifiques pointues, en industrie, en sciences sociales et dans la comptabilité publique où plusieurs courants de pensée s'affrontaient : inférentiels, fréquentistes, subjectivistes, etc.
Les statistiques ont connu leurs premières crises de confiance en France avec des débats sur les enjeux notamment politiques au niveau des méthodologies adoptées particulièrement pour la détermination des indices de prix de vente industrielles et de la consommation et des taux d’évolution des salaires.
En Tunisie, les gouvernants actuels ne cessent de présenter des données statistiques pour démontrer l’évolution généralement «positive» de la situation économique et sociale du pays dont trois principaux indicateurs de la comptabilité nationale sur lesquels on va s’arrêter pour analyser leurs degrés de pertinence ainsi que la motivation de la concentration particulière sur ces indicateurs qui sont le taux de croissance, l’inflation et le chômage.
Ainsi, et durant l’ère de la Troïka, le taux de croissance au sens du glissement évolutif de l’ensemble des valeurs ajoutées générées par les différents secteurs d’activité économique, aux prix constant, était de 4,2% à fin 2012 et de 3,5% au terme du second semestre de l’année 2013, et ce selon les chiffres de l’Institut National de la Statistique. A en croire ces chiffres, la Tunisie devance ainsi l’Inde, La Russie et la Zone Euro dans son ensemble, Allemagne comprise. Une belle performance pour un pays en plein processus transitionnel «démocratisant». Sauf que sur la plan méthodologique, la détermination de ce taux dans notre pays s’appuie largement sur l'optique du revenu où le taux de croissance est obtenu par la variation, d’une année à l’autre, de la rémunération des salariés à laquelle on additionne l’excédent brut d'exploitation, le revenu mixte et en déduisant les impôts nets sur la production et les importations.
Sachant que la masse salariale globale notamment dans le secteur public a augmenté d’environ 30% durant les deux dernières années dans la fonction publique pour plusieurs raisons, ce qui justifierait en quelque sorte les raisons de la «performance» tunisienne exceptionnelle à l’échelle mondiale sur le plan de la croissance.
Quant à l’inflation, son taux, selon les chiffres de la Banque Centrale de Tunisie, était de 5,6% à fin décembre 2012 et de 6% au terme du mois de septembre 2013. Dans la Zone Euro et aux Etats Unis, le taux de l’inflation était successivement aux alentours de 1,6% et de 2% à la fin du mois de juillet de l’année 2013 et pourtant la Tunisie affichait une croissance soutenue qui ne doit pas coller à une inflation supérieure par rapport à des économies en récession généralisée, sauf miracle.
Un taux élevé d’inflation est en corrélation, selon les normes analytiques de la comptabilité nationale, avec une sous-exploitation significative des facteurs de production et un déséquilibre économique général sur les marchés de biens et services, du capital et de l’emploi donc avec un rythme de croissance faible voire même proche de zéro, Mieux encore, il faut préciser que la méthode de calcul de l’indice des prix à la consommation familiale en glissement mensuel est biaisée en Tunisie puisqu’elle se base sur le suivi du rythme de consommation semestriel d’un échantillon de 13.000 ménages sur seulement 3351 points de ventes et par rapport à 1001 produits classés en six groupes sans tenir compte numériquement des indices des disparités régionales et sociales.
Le taux d’inflation enregistrée au niveau des comptes de la nation ne traduit pas son niveau réellement ressenti vu sa logique numérique abstraite ce qui a mené plusieurs instituions bilatérales de développement à inviter les autorités actuelles à adopter de nouvelles méthodes de calcul du taux d’inflation conformes aux normes mondiales pour pallier à cette insuffisance méthodologique flagrante.
Côté emploi, les enjeux pour l’actuel gouvernement, à ce niveau, sont de taille puisqu’ils n’ont jamais cessé d’annoncer que grâce à leur «bonne» gouvernance, 85 mille postes d’emploi auraient été créés en 2012 et 59,1 mille autres postes durant le premier semestre de l’année en cours. Ceci veut dire que si la Troïka poursuit le déploiement de ses louables efforts, à ce rythme, le problème du chômage dont le taux actuel est de 15,9% touchant une masse des 628,4 mille tunisiens non occupés de la population active, selon les chiffres de l’Institut National de la Statistique arrêtés à fin juin 2013, sera résolu d’ici quatre ans et trois mois et ce, selon un modèle simple de transposition mobile.
Mais ce qui intrigue les experts tant contestés par les officiels est que, selon les données de la Banque Centrale de Tunisie, le taux d’investissement public et privé par rapport au produit intérieur brut aux prix constants est quasi bloqué, depuis deux ans, à 21% et que la formation brute du capital fixe qui traduit la richesse produite par une économie a baissé, durant les trois dernières années, dans notre pays de 3,9%.
Ceci laisse perplexe, à plus d’un titre, quant à la cohérence de l’ensemble des chiffres présentés par le gouvernement dont l’interprétation normale et logique de point de vue économique ne peut être faite que dans deux sens : le premier est que la Tunisie est prête à atteindre son équilibre de plein emploi très prochainement ce qui constitue l’objectif ultime de tout gouvernant économique, le second est que notre pays est déjà un modèle en matière d’harmonisation financière, économique et sociale et que les notations revues en baisse de l’économie nationale par les maisons de rating se sont basées, parait-il, sur des arguments très peu fondés voire même subjectifs et injustes.
Enfin, le chiffre très optimiste avancé par les autorités sur le chômage (15,9%) et le taux d’inflation estimée à 6% ne s’accordent en aucun cas de figure avec le taux de croissance officiel estimé à environ 4%.
Cette incohérence des chiffres plus qu’éloquente exprime l’approche surréaliste de la crise que vit réellement le pays.
À croire les chiffres officiels indiquant les performances chinoises de l’économie nationale, tout va bien, malgré tout, sous le ciel bleu de notre belle Tunisie.
*Spécialiste en gestion des risques financiers
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