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Chroniques
La politique tunisienne ne manque ni de chefs, ni ''d'initiatives''. Elle manque d'idées…
19/06/2012 | 1
min
La politique tunisienne ne manque ni de chefs, ni ''d'initiatives''. Elle manque d'idées…
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Par Samy Ghorbal


Incarner l’homme providentiel, à 86 ans bien sonnés ? Il fallait le faire, et Béji Caïd Essebsi l’a fait ! Rien que pour cette raison, sa performance politique mérite d’être saluée. Le plus talentueux disciple de Bourguiba est en passe de réussir son pari : structurer, autour de sa personne, le rassemblement le plus large et le plus inclusif possible, faire cohabiter, à l’intérieur d’une même mouvance, ex-communistes, RCD-istes repentis et centristes déboussolés. Et entretenir l’espoir d’une alternative crédible à Ennahdha.
Comme à son habitude, BCE a endossé les habits de « Grand-père de la Nation » venu sauver le pays du naufrage. Et comme à son habitude, BCE a su se montrer, à la fois, drôle et grave, caustique et persuasif.
Sur la forme, rien à dire : sa prestation a été convaincante. Mais sur le fond ? Que faut-il retenir de son discours, au-delà des sempiternels appels à l’union, au rassemblement et à la défense des sacro-saints acquis républicains ? Pas grand-chose : toujours le même sentiment d’une parole politique terriblement convenue, terriblement creuse et inconsistante…
La politique tunisienne manque cruellement d’idées. Le constat vaut malheureusement pour l’ensemble des leaders du pays, plus prompts à prendre des postures qu’à apporter ne serait-ce que des ébauches de solutions. Il doit nous interpeller. Et il ne faut peut-être pas chercher ailleurs les raisons de l’abstention massive enregistrée lors des élections du 23 octobre. Le scénario pourrait se reproduire et s’amplifier lors des prochaines consultations...

Le plus inquiétant dans cette affaire est le sentiment que nous n’avons pas progressé d’un iota depuis 8 mois. Ennahdha et ses alliés convoquent régulièrement les fantômes du passé et les fantasmes du sacré pour cristalliser le débat public. L’opposition tente comme elle peut de les contrer. Mais on serait bien en peine de citer une seule idée nouvelle, une seule proposition opérationnelle ayant réellement émergé des discussions à la Constituante, dans quelque domaine que ce soit.
La campagne électorale avait donné un avant-goût : la prolifération des partis et des listes n’avait pas permis de masquer la grande faiblesse programmatique de la plupart des grandes écuries politiques. Le fait, à l’époque, n’avait pas vraiment retenu l’attention. Car chacun comprenait confusément que les partis, désorganisés par la dictature et surpris par la Révolution, avaient d’autres priorités que ficeler un programme : se structurer, gérer l’afflux des militants, collecter des fonds, investir des candidats et quadriller le terrain. Ils ont préféré capitaliser sur le parcours et l’image de leurs leaders.
On pensait, on espérait, que la Constituante allait ouvrir une nouvelle séquence de réflexion et de débats. La nature de l’Assemblée devait s’y prêter. C’est exactement l’inverse qui s’est produit. Le débat politique s’est enfoncé dans une médiocrité vertigineuse, alors que le pays est pratiquement à l’arrêt. Déchiré par les inégalités sociales et territoriales, ravagé par le chômage de masse, son modèle économique est obsolète. L’université s’est transformée en usine à fabriquer des chômeurs et de la frustration. L’administration et les services publics, incapables de se réformer, restent d’une inefficacité préoccupante. Confrontée à d’immenses défis, en raison de l’évolution de la courbe de la démographie, l’architecture de notre système de santé et de protection sociale est entièrement à repenser.
La Révolution de la liberté et de la dignité était censée accoucher d’un nouveau contrat politique et social. Nous sommes très, très loin du compte. Les partis de la troïka paraissent incapables de prendre la mesure des défis et des urgences. Ils ont confisqué la thématique de la rupture, qu’ils brandissent comme un paratonnerre, mais n’ont pas voulu ou pas réussi à lui insuffler un contenu positif. Leur seule obsession semble être de défaire et de déconstruire. Ils se comportent en liquidateurs. Les partis modernistes se veulent plus pragmatiques. Mais ils le sont trop. Engoncés dans un discours terriblement prosaïque, aux accents technocratiques, ils ont jusqu’à présent échoué à donner un contenu actualisé à l’idée de modernité tunisienne. Et n’ont guère de solutions percutantes et audibles à proposer.
Ainsi, par exemple, la question de la fiscalité n’est jamais abordée, par personne. Il s’agit pourtant du levier essentiel de toute politique économique. De l’instrument par excellence de la solidarité, de la redistribution, de la correction des inégalités ou de l’incitation économique. Les orientations données au système fiscal reflètent et traduisent des choix politiques. Aux Etats-Unis, en Angleterre, en France, le débat politique s’organise d’abord, de manière presque caricaturale, autour de la fiscalité. En Tunisie, non.

Notre débat public brille par son indigence et sa platitude.
Comment l’expliquer ?
L’écriture engendre la réflexion et donne de la substance et de l’épaisseur, cette substance qui manque cruellement à notre débat politique.
Winston Churchill, qui fut l’un des plus grands dirigeants du XXème siècle, est aussi un lauréat du prix Nobel de littérature (en 1953). Barack Obama a lancé sa candidature en signant Dreams from My Father, qui a connu un retentissant succès de librairie, aux Etats-Unis et dans le monde. En France, l’écriture reste un rite de passage pour ceux qui se destinent aux plus hautes fonctions. Charles de Gaulle, avant de lancer son célèbre Appel du 18 juin, s’était fait connaître par ses écrits sur la stratégie militaire (Le Fil de l’Epée). Léon Blum et François Mitterrand étaient des écrivains accomplis. Plus près de nous, Philippe Séguin, qui a revisité la vie de Napoléon III, François Bayrou, qui a étudié celle d’Henri IV, et même Nicolas Sarkozy, qui a consacré un opuscule à Georges Mandel, se sont essayés au genre de la biographie historique.
Faut-il le rappeler ? C’est grâce à ses articles, virulents, incisifs et souvent prémonitoires que Bourguiba s’est affirmé comme l’étoile montante du nationalisme tunisien, à la fin des années 1920.
Aujourd’hui, nos hommes politiques sont volontiers prolixes en interviews. Mais la plupart écrivent peu. Combien de livres ? Combien d’articles ? Combien de tribunes dans les journaux ? On peut compter sur les doigts d’une main. Et, quand il leur arrive de prendre la plume, ils préfèrent se raconter au lieu de raconter. Les « mémoires » constituent en effet, de loin, le genre le plus prisé. Beaucoup d’anciens ministres de Bourguiba ont cédé à la tentation autobiographique. Béji Caïd Essebsi, bien entendu, mais aussi Mansour Moalla, Tahar Belkhodja, Chedli Klibi, Ahmed Ben Salah, Ahmed Mestiri, Mustapha Filali, ou feu Mohamed Mzali, pour ne citer que les plus illustres. Mohamed Sayah vient de signer un livre d’entretiens. Des œuvres qui ne sont pas dénuées d’intérêt, et qui constituent des témoignages irremplaçables pour l’historien. Mais qu’on ne saurait à proprement parler qualifier de livres politiques.
Seules deux personnalités contemporaines font exception, et sortent du lot. Elles comptent à leur actif plusieurs ouvrages de réflexion, dans des styles très différents et peuvent être créditées d’une pensée. Elles ont pour nom Moncef Marzouki et Rached Ghannouchi. On peut ne pas être d’accord avec leurs idées, avec les orientations qu’elles défendent. On est cependant obligés de reconnaître qu’aujourd’hui, ce sont elles qui dominent le paysage, politiquement et institutionnellement. Et ce n’est peut-être pas complètement le fruit du hasard…

19/06/2012 | 1
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