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Chroniques
La Tunisie à la recherche de ses leaders
21/02/2011 |
min
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Par Nizar BAHLOUL


On est à cinq mois des élections et aucun leader politique n’a réussi jusque là à émerger du lot des politicards défilant sur nos petits écrans.
Ceux qui observaient la scène politique le savaient depuis des années. S’il y avait réellement un leader politique, cela se saurait. Mais il n’est resté que ceux qui se prenaient pour des leaders.
La majorité des « militants » ont pris la poudre d’escampette pour vivre à l’étranger en toute quiétude. Ils sont aujourd’hui rentrés, sous les vivats de quelques militants, et se prennent pour des héros ayant été harcelés par Ben Ali.
Bourguiba doit se retourner dans sa  tombe et Mandela bien soupirer. Hier, les héros vivaient en total isolement dans leur prison.
Aujourd’hui, il suffit de défiler sur le plateau d’Al Jazeera et de France 24 pour devenir héros.
Il suffit d’appuyer sur le bouton « j’aime » et « partager » de Facebook pour devenir révolutionnaire.
Il suffit de balancer les noms de quelques personnes (qu’on qualifiera de « Benalistes » au passage) pour devenir militant.

Pendant que chacun est occupé à se créer sa propre « gloire », le pays va droit au mur oubliant le rendez-vous électoral de dans cinq mois (et non plus six).
Avec ses 11 millions d’habitants et ses hautes compétences, la Tunisie n’arrive pas à trouver un leader politique, et ce plus de cinq semaines après avoir réalisé l’objectif premier de sa révolution en éjectant Ben Ali dehors.
Face à l’absence de vrai leader, d’un véritable homme fort qui anime les débats, l’actualité est occupée par de petits leaders. Des politicards qui se prennent pour de véritables hommes politiques. Trois catégories sont identifiées.

La première est celle des opportunistes qui profitent de la révolution.
Je pense à tous ces syndicalistes qui ont réussi le tour de force de bloquer la bonne marche de plusieurs entreprises et, de là, l’économie du pays.
Je pense à tous ces islamistes qui ont gueulé pour fermer les maisons closes.
Je pense à tous ces terroristes crapuleux qui se sont attaqués aux lieux de culte juifs et égorgé le Père Marek Rybinski, l’économe polonais de 34 ans de l’école Salésienne de la Manouba à Tunis.
Où étaient-ils tous avant le 14 janvier ces révolutionnaires ? Terrés chez eux, peur du bâton du premier flic de Ben Ali.

La deuxième catégorie est celle des membres de partis d’une gauche prolétarienne et d’islamistes. Des partis à dogme, comme les qualifiera le grand chroniqueur revenant du quotidien La Presse, Abdelhamid Gmati. « Or, dit-il, les partis à dogme ne sont fondamentalement pas démocrates : les uns nous promettent "une dictature du prolétariat qui se résume en une dictature d’un parti" ; les autres aspirent à une société où il n’y aurait qu’une seule loi : la chariâa, donc une autre dictature, avec un émir et une église "musulmane". Tous nous jouent la musique démocrate, mais ils mentent et nous prennent pour des idiots. »

Reste la troisième catégorie, laquelle on s’est mis tous d’accord pour détester : les RCDistes.
En résumé, on aura tout changé pour que rien ne change.
Le hic (et le comble), c’est qu’il n’est même pas sûr que cette troisième catégorie puisse convaincre, quand bien même on aurait arrêté de la détester, quand bien même on aurait identifié les RCDistes corrompus pour ne sélectionner que les RCDistes intègres.
Aucun visage politique de ce parti n’a réussi à s’imposer sur la scène, après le 14-Janvier, en osant défier les violentes critiques publiques et populaires pour dire : je serai votre homme.
Comment dès lors peut-on faire confiance à quelqu’un pour guider le pays durant cinq ans et affronter les gros orages à venir, alors qu’il n’a pas pu affronter, par ses idées, une population qui lui est hostile ?

Dans cette troisième catégorie, il y a deux hommes dont le nom circule dans les salons : Kamel Morjane et Mohamed Jegham.
Le premier a rapidement jeté l’éponge en quittant le gouvernement. Il a été violemment critiqué, certes, mais pourquoi a-t-il facilement lâché au lieu d’affronter ses détracteurs, surtout quand les attaques sont infondées et la mauvaise foi manifeste ?
On vise son appartenance RCDiste, comme s’il y avait des ministres qui ne pouvaient pas adhérer à ce parti. On tance son mariage avec une femme, comme si celle-ci pouvait choisir de ne pas figurer dans la famille Ben Ali. Un jour on le dit complice des Américains, un jour on le dit pion des Israéliens. Et ses détracteurs n’ont même pas peur du ridicule en dressant « son CV » où l’on lit qu’il réside au même moment aux Etats-Unis en étant membre du HCR, alors que le HCR est à Genève.
Passons. On croyait que Kamel Morjane est bien plus fort que ces « néo-révolutionnaires » et qu’en quittant le gouvernement, il allait prendre son bâton de pèlerin pour redorer son blason en se faisant connaitre auprès des gens du fin fond du pays. Il n’en fut rien ! Même pas d’apparitions dans des débats télévisés ou radiophoniques (A l’exception d’une petite interview).

Le second nom, Mohamed Jegham, s’est muré pour sa part dans un silence trouble avant de donner une interview samedi dernier à Echourouq pour dire qu’il va créer, avec Ahmed Friâa, un parti (Al Watan) se positionnant au centre.
Passons le fait qu’Ahmed Friâa a perdu toute sa popularité à la suite de quelques déclarations publiques. Supposons qu’on va oublier son long passage au ministère des Technologies où il a mis en place tout le système du muselage et de flicage de l’Internet et de la téléphonie. Passons le fait que l’idéologie centriste a de très faibles chances de gagner, comme on le constate un peu partout dans le monde.
Mais peut-on passer le fait que M. Jegham dise qu’il n’a pas lu les journaux depuis dix ans ? Qu’il trouve les chaînes de télévision tunisienne d’après le 14-Janvier, alarmistes et ne reflétant pas la véritable réalité du pays et qu’il a, de ce fait, cessé de les regarder ?
Le comble, c’est lorsqu’il interrogera la journaliste Racha Tounsi si la pauvreté montrée par les télés est bel et bien réelle. Lorsqu’elle lui a dit oui, il a soupiré !
Voilà donc un homme totalement déconnecté de la réalité du pays, qui n’hésite pas à montrer son total mépris aux médias et qui s’apprête à créer un parti ! Il oublie juste un point : sans médias, il ne peut lorgner aucun succès ! Ni avant, ni après la présidentielle.

Entre les politicards, les prolétariens, les islamistes et les RCDistes en mal de reconnaissance et de tact politique, c’est le choix qu’on nous offre à cinq mois des élections. Et sans que personne, de tout ce beau monde, ne daigne présenter un vrai programme, voire un semblant de programme.
Il existe de grands hommes qui travaillent actuellement dans l’ombre en attendant que la tempête se calme, diriez-vous ? Peut-être. C’est certain, même, et on connaît beaucoup de ministres très compétents sous Ben Ali et qui sont actuellement cloîtrés chez eux. Mais ce vide est inquiétant et on en a horreur.
En attendant, le peuple s’amuse comme il peut en chassant les sorcières, en tirant sur tout ce qui bouge et en partageant l’info et surtout l’intox sur Facebook.
21/02/2011 |
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