A la Une
Tunisie - L'arabisation, une fierté dogmatique ou un autisme intellectuel ?

{legende_image}
Au beau milieu des débats autour des articles de la Constitution en cours de vote et d'adoption par l'ANC, figurent des articles visant à confirmer plus que jamais l'appartenance de la Tunisie à la nation arabe et à la Oumma islamique. Plusieurs articles tournent, en effet, autour de la question identitaire. L'article premier, 15, 32 et 38 de la Constitution touchent, tous de près ou de loin, l'identité du peuple tunisien et le rapport entre cette identité et le système éducatif, étant donné que l'enseignement semble être l'outil idéal pour l'ancrage de cette identité.
Bien qu'étroitement liée à la question identitaire, la précision de la généralisation de l'arabisation stipulée dans l'article 38 de la Constitution a suscité plusieurs réactions défavorables notamment parmi les académiciens et universitaires. Pourquoi généraliser l'arabe? Serait-ce un ancrage de l'identité arabo-musulmane ou bien est-ce un repli sur soi, une régression civilisationnelle, scientifique et pédagogique?
Il est utile de rappeler que l'article premier de la Constitution tel qu'adopté mentionne bien que "la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime. Il n'est pas permis d'amender cet article".
Jusque là, l'identité est consensuelle et ce, en dépit des minorités ethniques et religieuses existantes dans le pays. La majorité des Tunisiens ne dénient aucunement la composante religieuse et linguistique de leur "Tunisianité". Bien au contraire, on est presque tous fiers de nos origines et de notre identité arabo-musulmane. Même les politiciens ont vite compris que cette identité est la carte électorale que tous les Tunisiens prônent et que personne n'oserait toucher, ni mettre en doute.
Pourtant, la polémique a de suite démarré avec l'article 38, car il s'agit d'un article qui fait le lien direct et indissociable entre cette identité arabo-musulmane et le système éducatif. En effet, cet article stipule que "l'enseignement est impératif, jusqu'à l'âge de seize ans. L’État garantit le droit à un enseignement public et gratuit dans tous ses cycles et veille à fournir les moyens nécessaires pour réaliser la qualité de l'enseignement, de l'éducation et de la formation. L'Etat veille aussi à ancrer l'identité arabo-musulmane et la langue arabe, la promouvoir, et généraliser son utilisation".
Cet article, dans sa formulation première en début de ce mois, a suscité une vive réaction chez le juriste et universitaire Yadh Ben Achour qui a, rappelons le, qualifié la journée du 7 janvier, jour de l'adoption dudit article comme étant "une journée noire pour le pays".
Il a estimé que cet article suppose qu’il existe un problème d’identité et que pour le résoudre il faut le spécifier dans la Constitution. Or, ceci n'est absolument pas vrai et les Tunisiens, depuis toujours, apprécié leur appartenance. L'identité n'a jamais été menacée, selon lui, trouvant que le texte de l’article 38 traduit une véritable volonté de refuser la progression et une manière franche et directe de contrer la modernité et l'ouverture sur le monde.
Iyadh Ben Achour a même considéré l’adoption de l’article 38 comme étant "une réelle catastrophe, en l’occurrence, pour les futures générations qui seront cantonnées dans le milieu arabo-musulman".
Bien qu'amendé partiellement en date du 20 janvier par la commission des consensus au sein de l'ANC, cet article n'en reste pas moins polémique.
L'élu à l'ANC et le juriste Fadhel Moussa a effectivement posté "les retouches " apportées à cet article qui, en fait, ajoute une dernière phrase à l'ancienne formulation, à savoir :
"L'Etat veille à enraciner la langue arabe, la conforter, généraliser son utilisation et ancrer chez les jeunes générations leur identité arabo-musulmane, leur appartenance nationale, ainsi que leur ouverture sur les langues étrangères, les civilisations humaines et la culture des droits de l'Homme".
Cet article, même après son amendement reste, de l'avis de l'universitaire Néji Jalloul, un article "dangereux". Il est même allé jusqu'à qualifier la portée de cet article de "constitutionnalisation de l'ignorance er du renfermement sur soi!".
M. Jalloul a expliqué sur les ondes de Radio Express Fm, que l'article 38 relève du discours d'islamistes tels que Hassan El Benna ou Rached Ghannouchi. "Leurs écrits en témoignent, c'est la même vision. C'est la diabolisation de l'Occident et cette éternelle phobie de l'invasion culturelle, a-t-il argué.
M. Jalloul a également rappelé les expériences semblables, avec la Syrie et même la Tunisie avec l'initiative de feu Mohamed Mzali dans les années 80. "On a tous vu les résultats catastrophiques que cette expérience a engendrés chez toute une génération!" Et d'ajouter : "Nous avons un acquis précieux qu'est le bilinguisme, alors pourquoi cherche-t-on à le perdre? Le monolinguisme naît des dictatures comme sous Franco en Espagne ou Ataturk en Turquie. Et le résultat, les peuples de ces deux pays souffrent aujourd'hui de l'handicap de la langue unique et peinent à communiquer avec les étrangers!".
Par ailleurs, en dépit des libertés académiques mentionnées dans l'article 32, l'article 38 est considéré comme une contrainte et une régression. L'article 32, stipule, en effet, que "Les libertés académiques et la liberté de la recherche scientifique sont garanties. L’État fournit les moyens nécessaires au développement de la recherche scientifique et technologique".
Néanmoins, ces libertés académiques ne sont garanties que théoriquement, car l'Etat veille en parallèle, conformément à l'article 38, à ancrer et à généraliser l'utilisation de la langue arabe dans le système éducatif. Il ne s'agit donc plus d'une consolidation de la langue en tant que telle. Il s'agit d'en faire usage dans toutes les disciplines, matières et domaines, y compris par exemple, celui des sciences et des technologies. La langue arabe devient l'unique outil de travail, des scientifiques comme des littéraires, des poètes comme des astronautes, des ingénieurs comme des philosophes…
Ainsi formulé, le texte de l'article 38 de la Constitution, ouvre béante la porte à une arabisation totale et systématique de l'enseignement tunisien. C'est dire qu'au nom de cette constitutionnalisation de la langue, le Tunisien sera contraint de ne s'exprimer qu'en arabe, à n'enseigner qu'en arabe et à ne communiquer qu'en arabe. Une sorte de sacralisation de la langue, et la communauté, en devient les pieds et poings liés!
Alors à quoi bon servira de constitutionnaliser la langue d'enseignement, disposant d'une identité déjà ancrée, vieille de plusieurs siècles?
Caricature : Brahim Bougharraf
Bien qu'étroitement liée à la question identitaire, la précision de la généralisation de l'arabisation stipulée dans l'article 38 de la Constitution a suscité plusieurs réactions défavorables notamment parmi les académiciens et universitaires. Pourquoi généraliser l'arabe? Serait-ce un ancrage de l'identité arabo-musulmane ou bien est-ce un repli sur soi, une régression civilisationnelle, scientifique et pédagogique?
Il est utile de rappeler que l'article premier de la Constitution tel qu'adopté mentionne bien que "la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime. Il n'est pas permis d'amender cet article".
Jusque là, l'identité est consensuelle et ce, en dépit des minorités ethniques et religieuses existantes dans le pays. La majorité des Tunisiens ne dénient aucunement la composante religieuse et linguistique de leur "Tunisianité". Bien au contraire, on est presque tous fiers de nos origines et de notre identité arabo-musulmane. Même les politiciens ont vite compris que cette identité est la carte électorale que tous les Tunisiens prônent et que personne n'oserait toucher, ni mettre en doute.
Pourtant, la polémique a de suite démarré avec l'article 38, car il s'agit d'un article qui fait le lien direct et indissociable entre cette identité arabo-musulmane et le système éducatif. En effet, cet article stipule que "l'enseignement est impératif, jusqu'à l'âge de seize ans. L’État garantit le droit à un enseignement public et gratuit dans tous ses cycles et veille à fournir les moyens nécessaires pour réaliser la qualité de l'enseignement, de l'éducation et de la formation. L'Etat veille aussi à ancrer l'identité arabo-musulmane et la langue arabe, la promouvoir, et généraliser son utilisation".
Cet article, dans sa formulation première en début de ce mois, a suscité une vive réaction chez le juriste et universitaire Yadh Ben Achour qui a, rappelons le, qualifié la journée du 7 janvier, jour de l'adoption dudit article comme étant "une journée noire pour le pays".
Il a estimé que cet article suppose qu’il existe un problème d’identité et que pour le résoudre il faut le spécifier dans la Constitution. Or, ceci n'est absolument pas vrai et les Tunisiens, depuis toujours, apprécié leur appartenance. L'identité n'a jamais été menacée, selon lui, trouvant que le texte de l’article 38 traduit une véritable volonté de refuser la progression et une manière franche et directe de contrer la modernité et l'ouverture sur le monde.
Iyadh Ben Achour a même considéré l’adoption de l’article 38 comme étant "une réelle catastrophe, en l’occurrence, pour les futures générations qui seront cantonnées dans le milieu arabo-musulman".
Bien qu'amendé partiellement en date du 20 janvier par la commission des consensus au sein de l'ANC, cet article n'en reste pas moins polémique.
L'élu à l'ANC et le juriste Fadhel Moussa a effectivement posté "les retouches " apportées à cet article qui, en fait, ajoute une dernière phrase à l'ancienne formulation, à savoir :
"L'Etat veille à enraciner la langue arabe, la conforter, généraliser son utilisation et ancrer chez les jeunes générations leur identité arabo-musulmane, leur appartenance nationale, ainsi que leur ouverture sur les langues étrangères, les civilisations humaines et la culture des droits de l'Homme".
Cet article, même après son amendement reste, de l'avis de l'universitaire Néji Jalloul, un article "dangereux". Il est même allé jusqu'à qualifier la portée de cet article de "constitutionnalisation de l'ignorance er du renfermement sur soi!".
M. Jalloul a expliqué sur les ondes de Radio Express Fm, que l'article 38 relève du discours d'islamistes tels que Hassan El Benna ou Rached Ghannouchi. "Leurs écrits en témoignent, c'est la même vision. C'est la diabolisation de l'Occident et cette éternelle phobie de l'invasion culturelle, a-t-il argué.
M. Jalloul a également rappelé les expériences semblables, avec la Syrie et même la Tunisie avec l'initiative de feu Mohamed Mzali dans les années 80. "On a tous vu les résultats catastrophiques que cette expérience a engendrés chez toute une génération!" Et d'ajouter : "Nous avons un acquis précieux qu'est le bilinguisme, alors pourquoi cherche-t-on à le perdre? Le monolinguisme naît des dictatures comme sous Franco en Espagne ou Ataturk en Turquie. Et le résultat, les peuples de ces deux pays souffrent aujourd'hui de l'handicap de la langue unique et peinent à communiquer avec les étrangers!".
Par ailleurs, en dépit des libertés académiques mentionnées dans l'article 32, l'article 38 est considéré comme une contrainte et une régression. L'article 32, stipule, en effet, que "Les libertés académiques et la liberté de la recherche scientifique sont garanties. L’État fournit les moyens nécessaires au développement de la recherche scientifique et technologique".
Néanmoins, ces libertés académiques ne sont garanties que théoriquement, car l'Etat veille en parallèle, conformément à l'article 38, à ancrer et à généraliser l'utilisation de la langue arabe dans le système éducatif. Il ne s'agit donc plus d'une consolidation de la langue en tant que telle. Il s'agit d'en faire usage dans toutes les disciplines, matières et domaines, y compris par exemple, celui des sciences et des technologies. La langue arabe devient l'unique outil de travail, des scientifiques comme des littéraires, des poètes comme des astronautes, des ingénieurs comme des philosophes…
Ainsi formulé, le texte de l'article 38 de la Constitution, ouvre béante la porte à une arabisation totale et systématique de l'enseignement tunisien. C'est dire qu'au nom de cette constitutionnalisation de la langue, le Tunisien sera contraint de ne s'exprimer qu'en arabe, à n'enseigner qu'en arabe et à ne communiquer qu'en arabe. Une sorte de sacralisation de la langue, et la communauté, en devient les pieds et poings liés!
Alors à quoi bon servira de constitutionnaliser la langue d'enseignement, disposant d'une identité déjà ancrée, vieille de plusieurs siècles?
Dorra Megdiche Meziou
Caricature : Brahim Bougharraf
sur le fil
Dans la même Rubrique

L’incroyable traque de Ridha Charfeddine
02/05/2025
11
Commentaires