Et voilà, on y est, le jour J, la séance d’ouverture de l’Assemblée Constituante s’est tenue en cette date historique du 22 novembre 2011, un événement tant attendu mais également tant redouté car il s’agit d’un grand défi, celui de réussir le démarrage des travaux de la Constituante. Mais saura-t-on le relever? Difficile d’y répondre tellement cette séance inaugurale a été émaillée d’incidents et marquée par des tâtonnements et des dérapages…

Un flux considérable de citoyens commençait, dès 8h30 du matin, à se rassembler devant le siège de l’Assemblée au Bardo, formant un sit-in pacifique, avec des slogans réclamant l’Etat civil, réfutant le Califat et revendiquant l’intégrité et la souveraineté de la Tunisie.
La présence massive des forces de l’ordre reflétait une grande inquiétude et des craintes inavouées de débordement ou de troubles. Fort heureusement, les manifestants ont fait preuve d’un grand sens du civisme et d’un grand respect de la discipline.

Au même moment, les élus, les invités et les représentants des médias commençaient à envahir l’enceinte du siège. Des visages plutôt souriants et enthousiastes s’échangeaient des salutations, des embrassades, des discussions. Des figures familières et des célébrités de la scène politique font leur entrée. On aperçoit Rached Ghannouchi, Mustapha Ben Jaâfar, Moncef Marzouki, Ahmed Nejib Chebbi...Des invités d’honneur tels que Ahmed Mestiri, Ahmed Ben Salah, Yadh Ben Achour, Kamel Jendoubi se sont installés au beau milieu de la salle aux places qui leur étaient réservées. Alors que les chefs des partis ayant remporté des sièges dans la Constituante étaient eux aussi parmi les invités de cette cérémonie.

La disposition de la salle a réservé la droite à Ennahdha, le milieu au CPR et Al Aridha, ensuite Ettakatol et à gauche à l’opposition avec le PDP, le PDM et Afek.
Avec une petite heure de retard, la séance est entamée peu après 11h, avec l’arrivée du président de la République par intérim Foued Mebazaâ, du Premier ministre provisoire, Béji Caïd Essebsi et des membres de son gouvernement
Après la déclamation de l’hymne national dans un moment de recueillement et de grande émotion, la «Fatiha» a été récitée en hommage aux martyrs de la révolution.M. Mebazaâ a ensuite ouvert le bal avec un discours de bienvenu mettant en exergue l’importance du moment et la fierté de voir naître la deuxième République.

Après ce cérémonial protocolaire d’ouverture, le doyen de la Constituante, Tahar Hmila, membre du CPR a présidé la séance en sa qualité de membre le plus âgé de l’Assemblée, conformément à la réglementation en vigueur. M. Hmila, a prononcé un discours dans lequel il a demandé à ce que le siège de la Constituante soit désormais appelé « »mihrab » de la liberté» et a étayé ses déclarations par plusieurs sourates coraniques. La connotation religieuse évidente de son discours a suscité la protestation de plusieurs membres de la Constituante notamment ceux du PDP, qui ont refusé l’orientation du discours et réclamé sa clôture, n’ayant pas de raison d’être et ne figurant pas à l’ordre du jour de la séance.

Les protestations ont vite pris de l’ampleur créant une vive tension dans la salle. Moncef Marzouki a eu de la peine à prendre la parole dans le brouhaha ambiant et a finalement tenté de calmer les frictions en demandant à Tahar Hmila d’interrompre son discours et d’enchaîner avec l’étape suivante. Son intervention n’a pas réellement apaisé les protestations, le président ayant tout de même insisté pour terminer avec « Dieu, j’ai transmis le message » rappelant étrangement et clairement le discours du prophète Mohamed lors du pèlerinage de l’Adieu.
Sur proposition de Noômen Fehri, un élu d’Afek Tounes, et afin de calmer les esprits, les noms des martyrs ont été énoncés imposant ainsi le silence et le recueillement.

Les travaux ont repris après la pause-déjeuner en vue d’entamer les élections relatives au président de la Constituante ainsi que de ses deux vice-présidents. Entre temps, quelqu’un a eu la maladresse de distribuer des copies du magazine mensuel «Le Maghreb», dans lequel figure une caricature de Hachmi El Hamdi ainsi qu’un article satirique sur « Al Aridha » dont les membres élus ont perçu, en une atteinte à leur mouvement et ont lancé des cris de colère considérant la distribution de ce magazine comme un signe de dénigrement et de provocation tout en réclamant que les exemplaires soient entièrement retirés de la salle. Leur vœu a été exaucé puisque le président de la séance a donné l’ordre de les ramasser, sauf qu’il n’a pas omis de déclarer à l’adresse des élus d’El Aridha : « Je ne permets pas à cette opposition d’être une opposition de rue et sans le sang des martyrs, vous ne seriez pas ici ».

Tahar Hmila n’était pas à son dernier dérapage puisque lors d’une déclaration faite à Assabahnews, il a accusé Abid Briki, SG adjoint de l’UGTT, d’avoir fauté à l’encontre du peuple tunisien dans le sens où il se vante d’avoir le soutien de la Confédération syndicale internationale (CISL), ce qui constitue, selon M. Hmila une haute trahison, d’où la réclamation d’excuses de la part de M. Briki auprès Tunisiens. En tout cas, M. Hmila président de la Constituante pour une journée, n’est pas passé inaperçu.

Vient ensuite le moment de l’annonce des candidatures à la présidence de la Constituante. Comme prévu Mustapha Ben Jaâfar, leader d’Ettakatol, s’est porté candidat. Il a été rejoint par Maya Jeribi du PDP. Un troisième candidat s’est présenté avant de se désister laissant la place à un duel : Mustapha Ben Jaâfar/ Maya Jeribi.
Et comme attendu et convenu entre les trois partis alliés, les urnes ont donné M. Ben Jaâfar en tant que président de la Constituante avec 145 voix sur 213, soit plus des deux tiers des voix contre 68 voix à Maya Jeribi. Un constat s’impose ici, même s’il était prévisible, à savoir que la majorité des élus d’Al Aridha, sinon la totalité, ont voté pour la candidate du PDP, donc pour l’opposition.