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Feuilletons, publicité et mesure d'audience, chronique d'une saga ramadanesque

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La « ménagère de moins de cinquante » jette sa télécommande dans un geste de dépit, se lève de son canapé et lâche : « je me serais mieux occupée à faire la prière des traouih, ça dure moins longtemps ». Anecdote véridique d’une téléspectatrice agacée par l’interminable page publicitaire charcutant son feuilleton préférée. Ramadan est la grand-messe télévisuelle annuelle et ramadan 2011 ne déroge pas à la règle.
Une occasion pour les chaînes publiques et privées de renflouer leurs caisses en vendant aux annonceurs du « temps de cerveau humain disponible »pour emprunter un célèbre « aphorisme » de Patrick Le Lay ancien patron de TF1. Les agences de mesures d’audience se font mousser à coup d’enquêtes rarement ressemblantes. Et le reste des médias font leurs choux gras en chroniquant la guéguerre que se font les différents acteurs. Les acteurs d’une saga au canevas inchangé depuis plusieurs saisons.
Ramadan 2011 on reprend les mêmes et on recommence. Ou presque. Le « héros » des années précédentes a disparu. Sami Fehri, patron de Cactus Prod n’a pas survécu à la révolution. Jadis, producteur de fadaises cathodiques joliment mises en boîte qui assurait la suprématie de la première chaîne publique, l’ancien wonder boy de la télévision tunisienne a succombé à son statut d’homme lige de Belhassen Trabelsi. Hier adulé par la moitié d’un pays, aujourd’hui homme à abattre. Miracle de la révolution.
Ses rivales d’hier n’ont pas trop attendu pour organiser la curée et se partager le gâteau. Nabil Karoui patron de Nessma TV jubile. Lui qui, à la même époque l’année dernière, rouspétait contre les taux d’audience en-deçà de la réalité accordés à son succès de scandale Nsibti Laâziza. Des accusations à peine voilées contre les agences de mesures d’audience (agences qualifiées d’épiceries par Tarek Ben Ammar) qui auraient été inféodées à Cactus Prod.
Sami Fehri neutralisé, nullement la peine de se creuser les méninges et de proposer aux téléspectateurs des grilles originales. Nessma et Hannibal se sont reposées sur leurs acquis et s’accaparent les parts de marché avec de nouvelles saisons de Nsibti Laâziza et Njoum Ellil.
Nsibti Laâziza programmé la première quinzaine, première dans les annales, sera rediffusé dans la seconde quinzaine. On coupe court aux mauvaises langues, ce n’est pas du réchauffé, le chef-d’œuvre n’a même pas eu le temps de refroidir.
Le grand perdant, vous l’aurez deviné, est la télévision publique. Leur syndicat qui a, également, cassé du sucre sur le dos de Cactus Prod, avait rassuré sur les capacités du personnel de la télévision publique à produire des émissions d’une qualité égale sinon supérieure. Nous constatons le résultat. A défaut de productions qui accrochent, la Nationale s’est rabattue sur son 20h en l’entrecoupant d’une page publicitaire. Les péripéties de l’actualité politique et sociale tiennent en haleine le spectateur. En tout cas plus que leurs fictions.
Serons-nous gratifiés d’un rocambolesque retour de Sami Fehri lors de la prochaine saison comme savent le faire les séries US. En tout cas, il hante encore l’esprit de Nabil Karoui qui, tels les romains dispersant du sel sur les ruines de Carthage, parle d’un recours en justice en compagnie d’Hannibal TV et de La Nationale pour interdire la diffusion de chaîne Attounsia. Vaut mieux prévenir que guérir. Et la truculente réponse de Sami Fehri à son détracteur via un épisode des Guignols a visiblement agacé.
Comparses attitrés des chaînes télé : les agences d’audience. Après des différences marquées entre le nouveau venu 3C Etudes et Sigma Conseil durant les premiers jours, les seconds se sont alignés sur la tendance relevée par l’outsider. Les enquêtes placent Nessma en tête des chaînes regardées et Nabil Karoui a canonisé 3C Etudes unique sondeur fiable du marché. Reconnaissance facultative, leur DG Hichem Guerfali s’était, déjà, autoproclamé pape du sondage en Tunisie, excommuniant ses concurrents et déclarant à nos confrères de WebmanagerCenter que « les sondages tels qu’ils sont faits en Tunisie sont une offense à l’intelligence des Tunisiens ». Hichem Guerfali va jusqu’à réclamer par mesure de salubrité démocratique l’interdiction des sondages d’opinion jusqu’à la tenue des élections de la Constituante.
L’unique issue pour mettre tout le monde d’accord ? Développer une solution de tv-métrie comme ça se fait sous d’autres cieux. Depuis le temps que cette possibilité est évoquée voire acclamée, l’agence tunisienne d’audience et de monitoring cartographique 3Bmétrie a osé sauter le pas.
Une solution déjà prête à l’emploi : un boîtier-récepteur de fabrication britannique, un soft développé en interne, un panel de 350 foyers (sur la base d’une enquête préliminaire de 5000 questionnaires menée par le bureau d’études ISTIS) avec un objectif de 650 la troisième année, mise en place d’un comité de pilotage représentant tous les intervenants (chaînes de télévision, annonceurs, agences médias…)… le tout pour un budget annuel de 1,6 MD. Une copie parfaite de prime abord sauf que sur les dix plus importants annonceurs locaux seuls trois ont accepté jusqu’à présent de mettre la main à la poche. La réussite du projet est tributaire de la participation financière d’au moins 7 ou 8 gros annonceurs, nous avoue Maher Ben Salem, general manager de 3bmétrie. Affaire à suivre.
Et le spectateur qui languit pendant onze mois pour satisfaire son désir de consommer des émissions locales dans tout cela ? En prime d’une cuvée 2011 jugée décevante, ils ont, encore, droit au traditionnel gavage publicitaire. Les chaînes qui font le gros de leur chiffre d’affaires pendant le mois de ramadan ne font pas dans la demi-mesure et profitent comme il le faut de cette manne. Les « intermèdes » publicitaires charcutant les feuilletons à succès égalent presque en longueur la durée du programme. « Regarder un feuilleton jusqu’au bout est devenu un calvaire, on se sent pris en otage », témoigne une téléspectatrice.
Une absence de réglementation de la publicité comme il en existe partout dans les pays développés est un agacement grandissant des téléspectateurs qui avaient poussé les autorités à intervenir l’année dernière. Oussama Romdhani, à la tête du désormais oublié ministère de l’Information, avait promulgué un arrêté limitant la durée des spots publicitaires à la télévision. Un arrêté qui est entré en vigueur le 1er octobre 2010. Sauf qu’entretemps la révolution est passée par là. Et nos chaînes de télévision nourries des sacro-saints idéaux de la révolution ont allègrement ignoré cet arrêté. Ce n’est pas « un symbole du régime déchu », disciple notoire d’Abdelwaheb Abdallah qui leur dictera leur ligne de conduite.
Au final, révolution ou pas, la télévision pendant ramadan c’est du pareil au même. Les chaînes s’en mettent plein les poches en assurant le minimum syndical en ce qui concerne la qualité de la programmation. Des chiffres qui donnent le tournis : selon Sigma Conseil pendant la première quinzaine de ramadan, 5422 spots ont été diffusées (761 pour la première chaîne publique, 1853 pour Hannibal TV, 2626 pour Nessma TV) pour une durée de 158 255 secondes soit à peu près 44 heures (29.955 s pour El Wataneya, 52.9925 s pour Hannibal et 60.725 s pour Nessma). Le montant des investissements publicitaires s’élève, ainsi, et toujours selon Sigma à 15,1 MD HT (49,6% pour Hannibal TV, 26,3% pour Nessma TV et 21,8% pour Al Wataneya 1). Et c’est toujours le téléspectateur qui trinque en attendant de réglementer, une fois pour toutes, le secteur de l’audiovisuel.
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