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Tunisie – La religion dans la Constitution, deux camps s'opposent à l'Assemblée

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Il ressort de la plénière, tenue le mardi 28 février 2012, que les visions des différents blocs de la Constituante dans les grandes lignes de la Constitution, ne sont pas aussi divergentes que le laissent présager quelques chaudes empoignades concernant des sujets polémiques, comme la séparation de l’Etat et de la religion.
En effet, dans les présentations faites aujourd’hui, les concordances sont beaucoup plus importantes et plus nombreuses que les discordances, et les observateurs trouvent très plausibles que la rédaction de la Constitution ne prenne pas plus de six mois, encore faut-il que toutes les parties fassent preuve d’un sens développé du consensus.
Quelles sont donc les points qui unissent les forces politiques et qu’est-ce qui les sépare à la lumière des premières propositions ?
Il va sans dire que les propositions de tous les blocs parlementaires insistent sur tout ce qui est en rapport avec l’exécution des objectifs de la révolution du 14 janvier 2011 dans la Constitution et, notamment, l’impératif d’y inclure les droits économiques et sociaux des citoyens, ainsi que toutes les garanties d’un pouvoir démocratique, traduisant les choix du peuple et les fondamentaux de la transition démocratique, comme des élections libres, une justice indépendante et la séparation des pouvoirs, législatif et exécutif.
Par ailleurs, certaines propositions étaient carrément les mêmes dans toutes les lectures, à l’image de l’institution d’un Tribunal constitutionnel, l’indépendance de la Cour des comptes, l’élection des conseils régionaux et l’élargissement de leurs prérogatives. Lesquels principes sont des fondamentaux de la démocratie et augurent d’un socle élevé des concordances.
Un autre principe très important réunit tous les blocs. Il s’agit de l’adhésion à une approche consensuelle dans la rédaction de la Constitution. Les interventions ont été unanimes à déclarer que la Constitution doit être consensuelle et ne saurait refléter une vision partisane. L’esprit de la rédaction doit traduire une culture démocratique, cherchant à réunir toute la population tunisienne, plutôt que de créer des dissensions.
Ce large spectre de points de concordance ne fait pas oublier aux observateurs l’existence de discordances qui pourraient constituer des obstacles, si jamais les blocs politiques ne font pas preuve d’un sens affiné du consensus. A ce titre, on peut commencer par la nature du régime. Sur ce point, Sahbi Atig, porte-parole du bloc d’Ennahdha, a souligné que «son parti opte pour un régime parlementaire monocaméral», propos partagé par les députés du Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT), alors que les autres blocs défendent plutôt un régime équilibré, où le président de la République est élu au suffrage universel, avec des prérogatives pouvant constituer un contre-pouvoir, face au parlement.
La problématique du rapport entre la politique et la religion constitue également un objet de discordance. En effet, dans les propos d’Ennahdha, telle que présentés par Sahbi Atig, il est clairement souligné que «la religion ne saurait être une question privée», que «la séparation entre la politique et la religion n’a rien d’islamique» et que «celui qui prêche cette séparation, touche au fondement de la religion musulmane, qui est en rapport avec la vie sociale de l’être humain».
Le représentant d’Ennahdha a toutefois nuancé ses propos en affirmant que, pour son parti, «l’Etat est civil, pas religieux» et que «la légitimité provient du peuple», se référant à l’Imam Mohamed Abdeh, qui «renie tout pouvoir religieux dans l’Islam» et affirme que «c’est le peuple qui désigne son gouverneur, civil sous tous les angles».
En opposition à ces propos, les autres blocs ne veulent pas de ce mélange entre la politique et la religion et pensent que la Constitution «ne devrait pas s’étaler dans de telles explications, pouvant toucher à l’aspect civil de l’Etat et nuire à la liberté du culte, annoncée dans d’autres affirmations».
Fadhel Moussa, représentant du bloc démocratique, et Mouldi Riahi, porte-parole du bloc d’Ettakatol, ont insisté sur la civilité de l’Etat et ses structures et sur la séparation de l’Etat et de la religion.
Pour Ettakatol, «l’article premier de la Constitution, dans sa formule actuelle, est suffisant. Il garantit la référence arabo-musulmane du pays, tout en évitant à la Tunisie des dissensions inutiles. Par contre, si on procède à la référence à la religion comme unique fondement, il y a un risque que l’on parte vers de multiples divergences», a affirmé Mouldi Riahi.
Quant à Fadhel Moussa, il a insisté sur la nécessité d’éviter les spéculations sur la question d’identité arabo-musulmane de la population, pour obtenir un consensus. Car, «la Constitution, c’est fait pour réunir, non pour diviser», a-t-il expliqué.
Cette problématique du rapport entre la politique et la religion constitue, selon les observateurs, le principal objet de divergence entre les blocs parlementaires, car il peut se répercuter sur certains fondamentaux de la Constitution, comme la justice.
Par contre, d’autres divergences peuvent être facilement surmontées. A titre d’exemple, si le bloc de la Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement (Al Aridha) demande à insérer la gratuité de la prise en charge de la santé et du transport pour les couches démunies dans la Constitution, ceci ne saurait constituer un objet incontournable de discordance, dans la mesure où tous les blocs sont unanimes pour inclure les droits sociaux dans la Constitution. Le bloc démocratique va plus loin en voulant inclure dans la Constitution la possibilité de poursuivre l’Etat devant la justice, si jamais il ne remplit pas ses obligations sociales vis-à-vis de la population.
Il y a donc des variétés de divergences. Tout dépendra de l’angle sous lequel la Constituante va les aborder et quelle logique consensuelle va-t-on adopter. Si les groupes politiques s’en tiennent à ce qu’ils ont annoncé comme sens développé du consensus et éloignement de toute surenchère politicienne, les divergences ne seraient nullement insurmontables et la Constitution pourrait voir le jour dans moins d’un an.
Mais, si les spéculations prennent le pas sur le sens consensuel, la solution n’est pas pour demain. Les craintes sont réelles de ce côté, si l’on sait qu’Ennahdha, qui se targue de vouloir privilégier le consensus, notamment durant la période d’avant les élections au sein de l’Instance d’Iyadh Ben Achour, a toujours opté pour le mode du vote à l’Assemblée nationale constituante, pour la simple raison qu’il était sûr d’avoir raison selon ce procédé, vu la majorité dont dispose la Troïka.
Mounir Ben Mahmoud
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