Les débats du Pacte de Carthage sont biaisés dès le départ
Par Sofiene Ben Hamida
Dans la France monarchique, peu avant la révolution, des cahiers de doléances sont mis à la disposition des populations pour consigner leurs revendications. On y rencontre souvent l’expression que le roi était bon par nature et que ce sont ses ministres qui sont mauvais pour expliquer les injustices, les inégalités, la pauvreté et l’humiliation que subissent le tiers état. En effet, le roi, l’oint de Dieu sur terre, puise sa bonté naturelle de la bonté divine et si ses serviteurs vivent dans des conditions misérables, c’est par la faute de ses ministres injustes et cupides. La révolution de 1789 est venue pour instaurer la République et redonner à son président son caractère humain.
La situation politique actuelle rappelle à s’y méprendre cette situation de fin de règne monarchique en France. Les débats enclenchés depuis plus de deux mois déjà sur les performances du gouvernement Chahed, ses résultats et ses déboires, ainsi que sur les compétences de Youssef Chahed lui-même et l’opportunité de le confirmer ou de le démettre de son poste, semblent tous focaliser sur la personne de Chahed sans jamais s’attarder sur le rôle et la responsabilité du président de la République qui a été à l’origine de sa nomination.
En termes clairs, les dizaines d’heures de débats dans le cadre du pacte de Carthage, les tergiversations des uns et des autres, leurs magouilles et leurs manœuvres sont biaisés dès le départ parce qu’ils ne vont pas au fond des choses, ne posent pas les vraies questions et se complaisent dans des approches et des analyses tronquées. Il est peut-être temps de rafraichir les mémoires, même si les dés semblent définitivement jetés.
Après les élections législatives de 2014, le parti gagnant, Nidaa, avait affirmé qu’il disposait de suffisamment de cadres pour composer quatre gouvernements. Mais contre toute attente, le président de la République Béji Caïd Essebsi, qui avait assuré auparavant que Nidaa et Ennahdha sont deux lignes parallèles, choisit un indépendant, grand commis de l'Etat, pour conduire un gouvernement de coalition avec les islamistes. Quelques mois après, Habib Essid a été démis de ses fonctions d’une manière humiliante, sur insistance du président de la République, avec la complicité active de tous les partis politiques au pouvoir, comme dans l’opposition.
En juin 2016, c’est toujours le président de la République qui a présenté son initiative de gouvernement d’union nationale et a parrainé le pacte de Carthage. C’est encore lui qui, tel un prestidigitateur, a fait sortir la carte de Youssef Chahed de ses manches et l’a imposé au forceps à tous. Occulter ces vérités, refuser de voir la responsabilité originelle du président de la République dans la situation économique, sociale et politique actuelle, relève de la myopie politique, sinon du déni pathologique de la réalité.
Aujourd’hui, on pourrait disserter longuement sur les ratés du gouvernement, sur les erreurs de Chahed et même sur son incompétence. Mais ce discours, néanmoins légitime compte tenu de la situation dans le pays, n’est politiquement et éthiquement recevable que s’il est accompagné par une évaluation profonde qui dénude les raisons profondes de la déroute et pointe courageusement du doigt les responsables, tous les responsables.
Qui t’a fait roi ? Tels sont les mots attribués à Adalbert de Périgord en réponse au roi Hugues Capet qui a cherché à introniser roi son fils de son vivant pour assurer la pérennité de la dynastie capétienne. Au vu de ce qui se passe dans le pays, et à l’intérieur même de Nidaa, il serait bon de rappeler que Béji Caïd Essebsi est le président de la République. Il n’est pas le roi. Ce sont ses courtisans, uniquement eux , qui le font roi.