Comment voter en septembre ?
L’Instance supérieure indépendante des élections a opéré, le 14 août 2019, un premier tri dans la centaine de candidats qui s’étaient présentés à l’élection présidentielle. Notre prochain président se trouve forcément dans la liste des rescapés de ce tri purement administratif.
Il n’en reste pas moins que notre mission en tant qu’électeurs demeure compliquée car il faudra faire le meilleur choix possible pour la Tunisie et pour les convictions de chacun. Il existe deux options pour faire ce choix crucial : celui du rationnel et celui de l’émotionnel. Le choix du rationnel devrait se baser sur la comparaison des différents programmes en gardant en tête les prérogatives du président de la République. Le préalable essentiel à une telle réflexion est que les différents candidats aient, d’abord, un programme pour pouvoir ensuite l’expliquer et convaincre les électeurs. Les seuls qui sont dans cette démarche et qui proposent des solutions tout en affichant clairement leurs convictions sont Mehdi Jomâa, Saïd Aïdi et Mohsen Marzouk. Il est évident que le « combattre la pauvreté » de Nabil Karoui par exemple ne saurait se hisser au niveau d’un programme et reste enfermé au niveau du slogan.
A un mois du premier tour de l’élection présidentielle, on ne sait pas grand-chose sur les intentions et les actions qu’entreprendraient les candidats s’ils accédaient à la magistrature suprême. Et puis malgré le premier tri effectué par l’Isie, il reste des candidatures folkloriques dont le seul objectif est d’avoir le pouvoir et l’immunité qui va avec.
Cette absence ou méconnaissance des programmes exclut l’électeur de la sphère du vote rationnel et le pousse vers le vote émotionnel. On choisira, à ce moment-là, le candidat qui nous plait, qui nous est sympathique ou qui nous rassure en ces temps troublés. On commencera d’abord par juger ceux auquel on prête un bilan. Ce sera le cas de Youssef Chahed, chef du gouvernement et responsable, aux yeux de certains de tous les maux du pays. Selon ses partisans, il a quand même réussi à redresser la barre, certains indicateurs sont au vert et il n’a pas voulu céder au règne de la corruption et de la famille. L’un et l’autre jugeront le bilan de Youssef Chahed de manière subjective et l’on restera tout de même dans la sphère de l’émotionnel. Même chose pour Abdelfattah Mourou dont le parti, Ennahdha, est la seule formation politique à avoir été au pouvoir sans discontinuer depuis 2011. Idem pour Moncef Marzouki dont le passage à la présidence de la République ne fût pas une époque reluisante pour le pays. Ainsi, il est plus ou moins « facile » de faire le tri dans les candidats qui possèdent un bilan, que l’on pourra ensuite juger positif ou négatif. C’est ensuite à grands coups de communication et de pages sponsorisées que l’on essayera d’influencer l’électeur, positivement ou négativement, par rapport à ce bilan.
Il reste la majorité des autres candidats, ceux qui ne présentent pour l’instant aucun programme et qui n’ont aucun bilan sur la base duquel nous pourrions juger de leur performance. Ces candidats là nous astreignent au jugement purement émotionnel et donc à un vote dénué de toute rationalité. Si l’on a peur (du lendemain, de la situation actuelle, pour ses enfants etc…) on votera pour celui que l’on percevra comme le plus rassurant. Si l’on décide de faire payer ceux qui gouvernaient on ira vers le plus haineux, le plus hargneux. Si l’on a une grande estime de soi on votera pour celui qui nous ressemblera etc. Donc, en aucun cas ce ne sera un vote convaincu ou un vote d’adhésion à une vision ou à un programme.
L’élection présidentielle qui arrive dans un mois présente une autre particularité intéressante. Même le vote idéologique adressé à telle ou telle famille politique ne sera pas facile. A gauche, il y a trois candidats, l’ancien Nidaa Tounes présente pas moins de six candidats, même chez les islamistes il y plusieurs candidats. Par conséquent, même le « refuge » que pouvait représenter un vote idéologique pour une famille politique quel que soit son candidat n’a plus lieu d’être. Ceci brouille encore plus les cartes et donnera lieu à un éparpillement inédit des voix de chaque camp. Donc, tous les scénarios peuvent être envisagés pour cette élection qui, en plus, influencera profondément le vote pour les législatives. Seule certitude : à partir du 15 septembre prochain la Tunisie entrera dans une période décisive de son histoire.