Youssef Chahed, ballon d'essai ou véritable candidat ?
Fuité par Carthage, son nom a circulé comme une trainée de poudre ce lundi 1er août en fin d’après-midi. Bien qu’aucune source autorisée n’ait officiellement dit que Youssef Chahed est le nouveau chef du gouvernement, les hommes politiques ont rebondi immédiatement sur cette fuite médiatique pour approuver, désapprouver ou critiquer. Qu’en est-il réellement ?
Le Tunisien veut tout et son contraire. Cette vérité de La Palice s’est vérifiée encore une fois après la vraie fausse annonce de la nomination de Youssef Chahed en qualité de chef du gouvernement. Les mêmes qui évoquaient régulièrement les quadras Matteo Renzi et Justin Trudeau, pour dire que la Tunisie de l’après-révolution mérite un jeune chef de gouvernement, étaient au premier rang ce lundi 1er août pour dénoncer la nomination d’un inexpérimenté à la tête du gouvernement d’un pays en crise.
Les mêmes qui ne trouvaient aucun problème à ce que Rafik Abdessalem, gendre direct de Rached Ghannouchi, soit ministre des Affaires étrangères au gouvernement de la troïka 1, criaient au scandale que Youssef Chahed soit membre de la famille (lointaine et par alliance) de Béji Caïd Essebsi.
Et les mêmes qui exigeaient que le nouveau chef du gouvernement soit issu de Nidaa Tounes étaient remontés que l’on choisisse une personne ayant rejoint le parti sur le tard. En attendant que l’on trouve un remède définitif à notre schizophrénie, de plus en plus aigüe, qu’en est-il réellement de cette nomination qui pourrait n’être qu’un ballon d’essai ? Une tactique du président de la République pour évaluer les réactions et pousser les critiques à leurs derniers retranchements avant de leur présenter un candidat qui les confond dans leurs contradictions et leur retire toute objection. La formule a déjà été essayée par le passé, et avec succès, avec la nomination des deux derniers titulaires du poste, Habib Essid et Mehdi Jomâa.
Pour le moment, on n’en est pas là. Au vu des critiques ciblant le candidat, il n’y a pas vraiment de quoi fouetter un chat. Rien de sérieux en somme et beaucoup d’intox.
La critique principale concerne le lien de parenté supposé de Youssef Chahed avec Béji Caïd Essebsi. A propos de ce point, c’est le directeur de la communication de la présidence, Moez Sinaoui, qui donne la précision à Business News : « Le gendre du président est le frère de l’épouse de l’oncle de Youssef Chahed », nous dit-il. Que chacun essaie de trouver dans sa propre famille ce lien de parenté pour évaluer le degré de proximité...
L’autre argument est le fait que Youssef Chahed ait rejoint Nidaa sur le tard. Ce qui est vrai, mais ce n’est pas si tard que cela puisque l’intéressé a participé à toute la campagne de Nidaa Tounes et de la présidentielle. Auparavant, il était en effet à l’un de ces micro-partis nés comme des champignons après la révolution, « la voix du centre », avant de passer ensuite à Al Joumhouri. Après les différends assez sérieux entre les dirigeants d’un côté et la famille Chebbi de l’autre, Youssef Chahed a fini par rejoindre Nidaa, à l’instar de Said Aïdi et Selim Azzabi.
Dans la foulée, on évoque l’échec de sa médiation et sa feuille de route pour la résolution du conflit interne de Nidaa Tounes. Il avait déjà été mandaté par le président de la République pour constituer une commission (commission des 13) et régler les problèmes internes de Nidaa Tounes. C’était juste avant le congrès de Sousse. Un échec qui est enregistré pour Youssef Chahed mais les connaisseurs et les observateurs avérés savent qu’il n’a aucune responsabilité dans la bataille rangée qui fait rage au sein du parti.
Le dernier point relatif à l’expérience est de mauvaise foi puisque la scène tunisienne, et en raison de l’historique du pays, n’a pas vraiment de jeunes hommes politiques à la fois expérimentés et n’appartenant pas à l’ancien régime.
Une chose est sûre, c’est qu’il y a de l’ambiance depuis 24 heures sur la scène politique, aussi bien du côté du pouvoir que de l’opposition.
Il y a ceux qui, comme de coutume et pour ne pas changer, en profitent pour descendre la présidence en transmettant les fausses informations. Ainsi donc, le cas d’Irada, d’Attayar et d’un bon pan d’islamistes radicaux, qui crient sur tous les toits que Youssef Chahed est le gendre du président. Les démentis successifs n’ont naturellement aucun remède pour des gens dont la mauvaise foi et l’absence totale de crédibilité n’est plus à démontrer.
Il y a par ailleurs ceux qui disent une chose aujourd’hui et son contraire le lendemain. C’est le cas de l’UPL étonné lundi de cette désignation et approbateur mardi.
Du côté des gens sensés, on relève la question de l’expérience et la nécessité que le président de la République élargisse ses consultations avec les partis prenant part au gouvernement d’union nationale à cette question de l’identité du chef du gouvernement. Entendez par là, nous avons notre candidat qui est meilleur et plus expérimenté que celui du président. A la tête des propositions intéressantes de noms supposés être expérimentés, on peut citer pêle-mêle, Ahmed Néjib Chebbi, Yassine Brahim, etc.
Pour ce qui est des cadres de Nidaa, on réfute ce parachutage (présenté mezza voce comme familial) et on insiste à ce que l’on mette Néji Jelloul ou, à la limite, Khemais Jhinaoui.
Depuis la médiatisation de l’information, ou du ballon d’essai, Béji Caïd Essebsi observe l’effervescence de la scène politique tunisienne avec intérêt. Faut-il en rire ou en pleurer ?
Avant d’en arriver là, le président de la République a eu une longue série de consultations avec les partis, d’abord, mais aussi avec des personnalités politiques et des leaders d’opinion parmi les hommes et femmes de médias. Ces consultations ont duré de longues heures, parfois épuisantes, et ont permis à Béji Caïd Essebsi de confirmer son idée sur cette Vérité de La Palice : non seulement le Tunisien veut tout et son contraire, mais il lui arrive aussi de dire tout et son contraire. Ainsi donc, parmi les hommes de médias présents à l’un des trois petits déjeuners offerts par le président, nous avons eu à constater que certains figurant parmi les virulents critiques du président et les donneurs de leçons chevronnés, se montrer soudain dociles face à lui. Tellement dociles qu’on lui a carrément dit : « nous sommes tes enfants ! », alors que publiquement ils ne cessaient de lui donner des leçons et de dénigrer sa politique. L’inverse est toute aussi vrai, les hommes de médias parmi ceux catalogués être proches de BCE se sont soudain montrés critiques face à lui.
C’est la même chose du côté des partis politiques, ils se taisent devant le président de la République, mais deviennent violemment critiques devant l’opinion publique.
La nouvelle étape pour Béji Caïd Essebsi est de lancer le pavé dans la mare ce lundi avec le nom de Youssef Chahed. Tout dépendra du degré d’acceptation ou pas de l’idée. La règle première établie pour cette nomination est que le candidat soit accepté par tous. Ou, du moins, qu’il ne soit pas rejeté. C’est ce qu’il a en tout cas dit et répété lors du petit-déjeuner organisé avec les hommes de médias.
Après avoir bien analysé ce brainstorming, observé les hypocrisies des uns et les contradictions des autres, Béji Caïd Essebsi va prendre sa décision. S’il n’est pas fortement critiqué, Youssef Chahed passera.
Autrement, il va proposer le nom caché dans son chapeau, depuis des mois avant même l’entame du processus d’éjection de Habib Essid. Il aura pris soin, au préalable de pousser tout le monde à sa propre contradiction afin que le nom-mystère fasse l’objet de consensus ou, au pire des cas, ne fasse l’objet d’aucun rejet.
A l’heure de la rédaction de ces lignes, et au vu des informations en notre possession et des différentes réactions des principales forces pesant sur la scène (Nidaa, Ennahdha, Afek, UGTT et Utica), le nom de Youssef Chahed n’a vraisemblablement rien d’un ballon d’essai. Ce sera lui le nom qui devrait être dévoilé mercredi 3 août 2016 coïncidant avec le 113ème anniversaire du leader suprême Habib Bourguiba.
Raouf Ben Hédi