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Tribunes
Torture en Tunisie : On ne change pas une recette qui marche
04/11/2013 | 1
min
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Par Olfa RIAHI

Dimanche 3 novembre, ils sont quelques milliers à arpenter les rues qui relient Bab Jdid – quartier populaire de la capitale tunisienne – au cimetière El Jallez. L’atmosphère est lourde et maussade. Au milieu de la foule flotte un cercueil, celui de Walid Danguir, 32 ans. Ses « frères de misère », sortis en masse pour l’accompagner à sa dernière demeure, scandent puissamment leurs invocations funèbres, dans un rythme soutenu. En fond sonore, quelques yoyos s’élèvent de temps à autre comme le veut la tradition lorsque l’on enterre un célibataire. Cependant, un détail tranche :
les quelques bouquets de fleurs que l’on agite, d’une poignée de main ferme, bien haut, autour du cercueil. Un détail bien particulier qui suggère à lui seul la particularité de la situation.

Samedi 2 novembre. Sur fond de crise et d’exaspération générale, les usagers des réseaux sociaux essayent de suivre, sans grande conviction, les espoirs et les déboires d’une classe politique tunisienne qui se tue à tenter de faire aboutir un dialogue national auquel presque plus personne ne croit. Les publications défilent, et entre infos, intox et pronostics, les esprits chavirent, perplexes, inquiets, usés. Soudain, une nouvelle sort du lot. Un jeune délinquant, arrêté la veille au poste de police Sidi Bachir, aurait succombé sous la torture pendant son arrestation.

Alors que les forces de l’ordre, à travers leurs syndicats, tentent de se refaire une virginité et d’instaurer auprès du peuple une confiance encore jamais acquise en se positionnant comme rempart contre le terrorisme dont la manifestation s’accentue de jour en jour et tandis que la présidence du gouvernement s’offre à un énième bras de fer avec l’opinion publique en interdisant le téléthon prévu sur la chaîne privée « Nessma » en vue de collecter des dons au profit des familles des agents de la garde nationale tombés lors des derniers affrontements avec les terroristes, la nouvelle fait tache. Tellement que les premières réactions se font attendre.

Les internautes tentent tant bien que mal de contenir leurs ardeurs « anti-police », « antisystèmes », probablement engloutis par un sentiment d’insécurité croissant qui aurait altéré leur perception des bavures policières. Le souffle en suspens, ils attendent une confirmation de la nouvelle, une preuve. Car non, ils ne se laisseront pas faire par une poignée de « comploteurs » qui visent à les remonter contre la police, cette police qui aurait changé pour devenir « républicaine », « indépendante » et « chaste ».

Sauf que les preuves ne tardent pas à venir et c’est Azyz Amami, blogueur de renom, qui donne le premier coup de pied dans la fourmilière de l’indignation muette. En début de soirée, il annonce sur son profil Facebook : « J'ai sous les mains des "photos" du jeune torturé à mort, de Bab Jedid. Une horreur indescriptible. La trace d'un acharnement quasi-animalier. Si vous croyez en avoir besoin pour un travail journalistique, ou militant, prière de me contacter par mail. La famille vous demande de faire du bruit. Le maximum de bruit. »

Les photos sont aussitôt sollicitées et diffusées par quelques profils audacieux. Elles circulent sur la toile. L’horreur éclate, dégoulinante d’inhumanité. Le corps inanimé de Walid Danguir, 32 ans, issu du quartier populaire de Bab Jedid, délinquant notoire, accessoirement grand supporter de l’Espérance Sportive de Tunis, affiche – sans équivoque – les marques de la torture que l’on lui a infligée pendant son arrestation. Les oreilles, la bouche, le nez sanglants, le corps couvert de bleus, le crâne qui ne semble plus tenir à sa place… Une horreur dégoulinante d’inhumanité.

Pourtant, lorsque les flics annoncent à la famille le décès de leur fils, ils leur parlent de cette fameuse « crise cardiaque ». Pire encore, et parce que chez « ces gens là » la misère et l’horreur ne suffisent pas, il faudra encore piétiner leur dignité. Et c’est la mère de Walid, abattue, qui devra régler la note en épongeant les insultes des agents de « l’ordre » : « Tu enfantes, tu délaisses puis tu fais payer les autres ! », ou encore « Sale p*** ! Combien de fois as-tu fait de la prison déjà ? ».

Mais il n’y a malheureusement pas que ces flics pour insulter la mémoire d’un jeune homme mort sous la torture, il y a aussi cette partie de Tunisiens embarqués dans leur nouvelle idylle avec leur nouveau rempart contre le terrorisme et pour qui rien ni personne ne devraient oser venir déranger leurs premiers émois amoureux. Pour eux, Walid n’est rien d’autre qu’un misérable délinquant, racaille sans rôle social pertinent, spécimen d’une frange qui n’adhère pas aux normes et valeurs sociales d’une société au summum du civisme et de l’émancipation. On n’allait tout de même pas lui faire l’amour lors de son arrestation… Quoique… Vous excuserez le sarcasme…

Walid Danguir, tout comme Abderraouf Khamessi décédé le 8 septembre 2012, après avoir été torturé au siège de la brigade de la police judiciaire de Sidi Hassine à Sijoumi, sont les icônes d’une autre Tunisie, une Tunisie qui, il y a trois ans, a daigné aspirer à des lendemains meilleurs, une Tunisie qui, hier, a offert aux flammes du rêve son charbon, charbon qui alimentera demain, inéluctablement, les flammes du cauchemar, si rien ne change. Parce que l’exclusion et la misère alimentent le ressentiment, que le ressentiment entraine la radicalisation et que la radicalisation est la sève du terrorisme…"
04/11/2013 | 1
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