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Chroniques
Samir Dilou, le ministre qui refuse de démissionner
01/07/2013 | 1
min
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Par Nizar BAHLOUL

Il s’appelle Samir Dilou et il figure dans l’aile dite modérée de son parti Ennahdha. Il est avocat et accessoirement ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle. Agé de 47 ans, il a passé plus de dix années de sa vie dans les prisons entre 1991 et 2001. Véritable indiscipliné, il n’a bénéficié d’aucune remise de peine. C’est même le contraire, puisqu’on a rallongé sa peine de deux mois et huit jours, en toute injustice et illégalité. C’est dire s’il connaît le sens de l’injustice et de l’illégalité. Refusant obstinément l’ordre établi, il continue son militantisme après sa sortie de prison. On le trouvera à l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques, comme un membre très actif, mais aussi parmi les grévistes de la faim du mouvement 18-octobre en 2005. Année durant laquelle il a récupéré son passeport et où l’on aurait pu s’attendre à ce qu’il mette un peu d’eau dans son vin. Mais non ! Samir Dilou n’est pas de cette trempe-là. Et, de toute façon, du vin, il n’en boit pas !

Cet exceptionnel parcours militant aurait dû faire de lui le parfait ministre capable de rendre la Tunisie une véritable référence en matière des Droits de l’Homme. Sa formation d’avocat et sa passion pour Nelson Mandela auraient dû faire de lui le parfait ministre capable d’offrir à la Tunisie une véritable justice transitionnelle, digne du XXIème siècle.
Mais le constat est là et il est amer, Samir Dilou a deux portefeuilles et il a échoué dans l’un et dans l’autre. Les Droits de l’Homme sont encore bafoués et la Justice transitionnelle n’a toujours pas été enfantée. On aura échoué à en imposer même l’esprit.
Sous son mandat, nos prisons continuent à abriter des prisonniers politiques, détenus en toute illégalité et en toute injustice, sans aucun procès.
Sous son mandat, on continue à mettre en prison des personnes, juste parce qu’elles ont des opinions différentes.
Sous son mandat, on continue à maltraiter les détenus, voire même à les torturer.
Sous son mandat, on s’apprête à faire passer une loi d’exclusion qui retirera tout son sens à la Justice transitionnelle.
Autant de claques, autant d’humiliations, mais Samir Dilou demeure à son poste, acceptant obstinément l’ordre établi. L’indiscipliné d’hier, celui qui ne dérogeait à aucun de ses principes, a fini par s’en enivrer. Mais comme il n’aime pas le vin, il ne cesse d’en rajouter de l’eau, depuis qu’il est ministre.
Samir Dilou est du genre à vous faire boire sa parole, à vous en faire perdre la tête. Il est plus laïc que les laïcs. Il est celui qui, quand il parle, est le plus grand défenseur des Droits et de la Justice. Seulement voilà, ses paroles n’ont pas été suivies par les actes souhaités. Le dernier à en témoigner, Sami Fehri qui, depuis sa cellule de prison, l’épingle, mais finirait presque par lui trouver des excuses, tant Samir Dilou dégage de la sympathie.
Dans sa célèbre lettre« je suis idiot », il dira : « je crois encore que le ministre Dilou et le chef du gouvernement Jebali ont fourni l’effort nécessaire. Mais je n’ai pas pensé un instant que la force qui gouverne le pays trompe même son ministre et son chef du gouvernement. »
Quelle est donc cette force qui gouverne le pays et qui a su tromper et battre un Samir Dilou ? Celui-même que Ben Ali n’a pas su vaincre par dix années de prison, de pression et de harcèlement.

Bien qu’il fût réputé par son indiscipline, Samir Dilou n’est finalement qu’un soldat discipliné au sein de son parti. Il peut critiquer les ordres de ce parti, mais il ne sait pas les contester et encore moins les enfreindre. Même si ces ordres l’humilient et le désavouent.
Ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle, il aurait pu réussir ses deux missions s’il avait fait preuve d’indiscipline, comme il avait su le faire durant toute sa carrière prérévolutionnaire.
Mais non ! Il a préféré l’échec à la désobéissance. Il a préféré l’humiliation à la rébellion, à l’insurrection. Il a préféré sauver son parti au lieu de sauver sa patrie. Il a préféré les principes rétrogrades aux principes universels qui l’avaient hissé, par le passé, au rang de militant. Il a préféré le poste à l’honneur d’une démission.

Samir Dilou est pourtant entouré de gens qui ont su dire non à l’obscurantisme. Qui ont su refuser l’ordre établi d’Ennahdha. Il y a Abdelfattah Mourou, Abou Yaâreb El Marzouki, Néjib Karoui, mais aussi et surtout Hamadi Jebali. Ils ont tous dit non pour rester en adéquation avec leurs parcours et leurs principes.
Dans son gouvernement et à la tête de l’Etat, Houcine Dimassi a dit non, Abdelkrim Zbidi a dit non, Rachid Ammar a dit non. Il y a des principes pour lesquels on ne doit jamais déroger, quitte à foutre en l’air sa carrière politique. On aurait pu croire que Samir Dilou est de la trempe de ceux qui se battent de l’intérieur, jusqu’à la dernière seconde, qui arrêtent d’acquiescer, dès lors que les principes fondamentaux qui motivaient leur bataille sont mis en péril. Soit.

Mais à un moment ou un autre, il faut se rendre à l’évidence et constater l’échec de sa démarche. On continue encore à mettre en prison des citoyens pour leurs opinions et on continue à multiplier les prétextes pour garder en prison d’autres citoyens. Où est la Justice dans tout cela ? Où est Dilou de tout cela ? C’est bien un échec !
La loi de l’exclusion, dite de l’immunisation, est sur la voie de passer, clouant au pilori la Justice transitionnelle. Mais Dilou est incapable de faire renverser la vapeur. C’est bien un échec !
Dans toutes ses déclarations, et je dis bien toutes, Samir Dilou paraît dans l’image du défenseur des Droits et de la Justice. Aujourd’hui, les faits sont là et ils sont têtus. Samir Dilou avait deux missions, il a échoué dans l’une et n’a pas réussi l’autre. S’il est conséquent avec lui-même, s’il est vraiment respectueux des principes universels, comme il l’a toujours dit, et s’il aime réellement son pays plus que son parti, il se doit de démissionner et de continuer à se battre de l’extérieur. Il se doit de suivre l’exemple de Hamadi Jebali et de combattre de l’extérieur cette force qui gouverne le pays et trompe ministres et citoyens. Il se doit de rejoindre, de nouveau, les forces démocratiques. Il y a un risque d’échec ? Peu importe, échec pour échec, il vaut mieux échouer en gardant son honneur.

Pensée à Sami Fehri et bien d’autres innocents, sous les verrous depuis des mois, en attente de leurs procès.

N.B. Ma chronique hebdomadaire prend congé le temps des vacances estivales. Rendez-vous en septembre avec quelques bonnes surprises à la rentrée pour nos fidèles lecteurs. Bonnes vacances à tous !


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