Nidaa change, Ennahdha se transforme et le gouvernement reste figé
Cela ne se voit peut-être pas pour le grand public, mais il y a quelque chose qui se passe, ces jours-ci, sur la scène politique tunisienne dont les incidences pèseront lourd sur le pays pour la période à venir. Des incidences positives ou négatives, on est encore dans l’incapacité de le dire, mais il y aura bel et bien du changement. Politiquement parlant, le deuxième semestre de l’année 2016 ne ressemblera pas du tout à l’année 2015 et au premier semestre 2016.
Ce qui est en train de se passer ces jours-ci concerne les deux premiers partis tunisiens, à savoir Ennahdha et Nidaa. Des changements qui auront lieu à l’intérieur de ces partis, en ce mois de mai, dépendront les prochaines élections municipales et la composition gouvernementale d’ici là.
Tout cela se passe pendant que le Tunisien est préoccupé par les dépenses ramadanesques et estivales qui s’annoncent et occupé par la question de l’égalité de l’héritage et du boycott de la chaîne Al Hiwar Ettounsi auquel appellent les « révolutionnistes à deux sous ».
Pour le premier parti de Tunisie, qui est le parti islamiste d’Ennahdha (69 sièges), son congrès est prévu pour le week-end prochain du 20 au 22 mai 2016. Le congrès aura lieu à la salle couverte de Radès et on s’attend à la présence de quelque 15.000 personnes dont des dizaines d’invités internationaux prestigieux. Pour les élections du président du congrès, d’après ce que l’on sait déjà à travers les fuites savamment distillées, les congressistes d’Ennahdha entendent donner aux Tunisiens une véritable leçon de démocratie et de transparence. Les votes se feront à travers des tablettes numériques de telle sorte qu’il n’y ait aucune contestation. Toutes les opinions seront formulées durant le congrès, nous dit-on. Mieux que cela, on donnera même la voix aux «ennemis » d’Ennahdha pour s’exprimer et dire aux congressistes ce qu’ils reprochent au parti islamiste et comment ils aimeraient le voir afin de pouvoir « l’accepter » dans le paysage politique tunisien. Ceci pour la forme et l’apparence. Les néophytes et non-avisés apprécieront et applaudiront.
Pour le fond, et ce qui n’apparaitra pas au grand public, les dés sont déjà jetés à l’intérieur du parti. On sait déjà, avant même les votes, ce à quoi ce congrès aboutira et quel sera le camp gagnant.
Je ne vous dirai pas que Ali Laârayedh sera secrétaire général et que Abdellatif Mekki connaitra un échec cuisant. Je ne vous dirai pas non plus que le parti décidera du changement de sa dénomination et annoncera, au grand public et à ses militants, qu’il séparera le politique de la prédication. Une décision qui devrait laisser sur le bas-côté plusieurs grandes figures, parmi les faucons du parti. Ce sont d’ailleurs ces faucons qui mènent actuellement une campagne hostile contre des modérés (à l’instar de ce qu’a subi Samir Dilou la semaine dernière) puisqu’ils ont senti leur heure de sentence venue.
Ennahdha new-look version 2ème semestre 2016 sera civil et républicain et on ne devrait plus pouvoir le qualifier de parti islamiste. C’est du pipeau et il ne faudrait pas les croire ? Soit ! Mais en attendant, c’est la soupe qu’ils vont nous servir et il faudra composer avec. Qu’on le veuille ou pas, ce futur ex parti islamiste est le parti le plus puissant du pays et il est moralement interdit de lui dresser un procès d’intention.
Pour le deuxième parti du pays qu’est Nidaa (59 sièges au parlement contre 86 au moment des élections d’octobre 2014), il connait également de grandes transformations qui devraient l’emmener à l’organisation d’un nouveau congrès.
Ces transformations se sont illustrées cette semaine par la « démission » du président de son comité politique, Ridha Belhadj dans la foulée de l’éjection de Fadhel Omrane de la présidence du bloc parlementaire. Ce qu’il faut savoir est que Ridha Belhadj a été acculé à la démission après avoir constaté qu’il n’a plus de poids auprès des députés de son parti. On ne lui « obéit » plus, en d’autres termes. Même celle qu’il a désignée comme étant la « meilleure de toutes», Ons Hattab en l’occurrence, lui a tourné le dos. Cela s’est manifesté par le vote interne qui a consacré Sofiène Toubel aux dépens de Fadhel Omrane, poulain de Belhadj.
Qu’est-ce qui s’est passé en interne pour que l’on aboutisse à un tel résultat de vote ? Qui a été le marionnettiste derrière cette éjection et cette démission ? Quel est l’objectif final ?
Sur le court terme, ces deux « départs » ne seront pas les seuls au sein de Nidaa, d’autres suivront. L’idée étant de mettre à plat tout ce qui a été décidé au congrès de Sousse et ses échecs cuisants. Sur le long terme, il s’agit de redonner à Nidaa sa position d’avant-crise, lorsqu’il était leader avec 86 voix au lendemain des élections. Peut-être même davantage avec l’arrivée de trois députés élus sur les listes de l’UPL.
Il n’est plus un secret pour personne de dire que Ridha Belhadj est celui qui a travaillé le plus au rapprochement Nidaa-Ennahdha après les élections et que c’est lui qui a « mis » Habib Essid à la Kasbah. Il n’est également pas un secret de dire que Fadhel Omrane est celui qui travaillait le plus avec les députés islamistes.
A noter au passage que le parti de Slim Riahi est devenu 5ème bloc au parlement derrière le Front populaire.
La disgrâce de Ridha Belhadj, conjuguée aux décisions à venir prises par le Congrès d’Ennahdha et au changement de poids de l’UPL devrait changer totalement la donne politique, puisque les forces d’octobre 2014 ne sont plus les mêmes que celle de mai-juin 2016.
Comment sera dessiné ce paysage ? Les ministres de Slim Riahi resteront-ils là où ils sont ? Ceux proches de Ridha Belhadj, avec Habib Essid à leur tête, quitteront-ils le gouvernement ? Ennahdha new-look placera-t-il de nouvelles têtes dans ce gouvernement après son congrès ? Quel poids donner encore à Afek dans tout cela ?
Les transformations au sein des partis devraient, théoriquement du moins, en apporter d’autres au sein de l’exécutif.