Nicolas Sarkozy à Tunis : le mal-aimé entame sa campagne
L’ancien président français et actuel président du parti « Les Républicains », Nicolas Sarkozy, entame une visite de trois jours en Tunisie, durant lesquels il devrait rencontrer Béji Caïd Essebsi, Habib Essid et un certain nombre de ministres. Il rencontrera également les Français de Tunisie qui ne l’apprécient pas vraiment, tout comme les métropolitains du reste. Les élections en France auront lieu dans moins de deux ans et, par sa visite en Tunisie, M. Sarkozy n’entend pas qu’affuter sa politique étrangère.
Nicolas Sarkozy sera à Tunis dès ce soir du dimanche 19 juillet. La visite n’a pas vraiment été ébruitée et il a fallu un écho dans Nice Matin pour l’apprendre. Les services officiels des « Républicains », tout comme leurs homologues de «Nidaa Tounes » observent un étrange silence à propos de cette visite de trois jours. Le mutisme sur cette visite sonne étrange pour une personnalité qui a toujours apprécié être aux devants de la scène. Et ça l’est encore davantage quand on constate qu’elle n’est pas accompagnée par la classique interview exposant les motifs de la visite et ses objectifs. Ce ne sont pas les médias souhaitant l’interviewer qui manquent, pourtant, mais ces interviews ont été annulées à la dernière minute, alors que tout était fin prêt pour les réaliser.
Qu’est-ce qui cloche dans cette visite dont les habituelles « sources bien informées » dans les sphères du pouvoir étaient incapables de nous parler ?
Rappelez-vous, c’était il y a moins de cinq ans, la Tunisie était en pleine révolution. Michèle Alliot-Marie, alors ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Sarzkoy propose son aide pour qu’il n’y ait pas d’abus et de morts dans les confrontations entre la police tunisienne et les manifestants. Grande amie de la Tunisie et du pouvoir de l’époque, tout comme Nicolas Sarkozy, la proposition passe mal. Très mal. Les Tunisiens lui en voudront beaucoup. Cette proposition d’aide a été considérée comme une volonté d’étouffer la révolution. Quelques semaines plus tard, tentant de rectifier le tir, Nicolas Sarkozy nomme un nouvel ambassadeur, Boris Boillon qui démarre très mal sa mission par un incident avec une journaliste de Mosaïque FM. Les Tunisiens iront, en masse, à la chancellerie pour lui crier « dégage », tout comme ils l’ont fait avec Ben Ali. Boillon a dû présenter ses plates excuses au Journal de 20 Heures d’Al Wataniya pour calmer les ardeurs.
Quelques mois plus tard, les milieux politiques laïcs, de gauche et ceux proches de l’ancien pouvoir constatent, non sans surprise, que Boris Boillon soutenait mordicus les islamistes d’Ennahdha dans les coulisses. Le 23 octobre 2011, ce sont eux qui ont remporté les élections faisant entrer la Tunisie, depuis, dans une chute vertigineuse.
L’intervention de Nicolas Sarkozy en Libye a été très mal perçue également et il est rendu responsable du chaos qui y règne actuellement. Un chaos dont les conséquences se font terriblement sentir en Tunisie. Son « ambassadeur » Bernard Henry Levy a dû quitter précipitamment le pays en novembre dernier, après les manifestations hostiles à sa venue, et le nom de Sarkozy n’était pas absent des slogans alors brandis. Rentré en France, et n’ayant pas digéré cette humiliation, BHL use de termes arrogants et insultants à l’encontre de ceux qui ont réclamé l’ouverture d’une enquête sur sa visite en Tunisie. Il les traite carrément de « crétins ».
Avec un tel passif, Nicolas Sarkozy tente de gagner quelques points de popularité en débarquant en plein été à Tunis, au lendemain d’un attentant terroriste spectaculaire ayant généré la mort de 38 personnes. Mais la chose semble plus difficile que prévu.
Le 15 juillet, Lotfi Ben Sassi, rédacteur en chef de Lapressenews, journal électronique public, publie une tribune intitulée « Monsieur Sarkozy, vous n’êtes pas le bienvenu ». M. Ben Sassi revient sur l’Irak, la Libye, BHL…
Ce ne sera pas l’unique article cinglant. Dans son édition d’aujourd’hui, dimanche 19 juillet 2015, Russia Today revient sur cette visite avec un tribune de René Naba, directeur éditorial du site madaniya.info. Titre de l’article : « Nicolas Sarkozy en Tunisie : retour sur un des fours majeurs de sa diplomatie » Sa conclusion ? « De l’électoralisme pur sous couvert de compassionnel. Du pur Sarkozy. »
Cet électoralisme est-il efficace pour autant ? Martine Vautrin Jedidi, élue française locale, conseillère à l’Assemblée des Français de l’étranger, dans une publication sur sa page FB, s’interroge sur cette visite. « A quel titre? Il vient vérifier les conséquences du bourbier libyen et nous vendre sa politique économique et migratoire ? ».
A la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy a obtenu 28,97% chez les Français de Tunisie. Au vu des différents échos recueillis auprès de cette population, il est très difficile de croire que sa popularité ait connu une quelconque croissance ces derniers temps.
Même topo en France, d’ailleurs. Selon le baromètre OpinionWay pour Metronews et LCI, Nicolas Sarkozy enregistre sa cote de popularité la plus faible depuis sa défaite de 2012 à la présidentielle, avec à peine 30% de satisfaction pour son action politique. Nettement loin de l’ancien Premier ministre Alain Juppé qui a 58%.
En dépit de ce constat, et bon gré mal gré, Nicolas Sarkozy continue à bénéficier d’une bonne popularité auprès d’un pan de la société tunisienne. La preuve, on se bouscule pour être à la rencontre-débat, prévue demain lundi, entre les cadres des instances dirigeantes de « Nidaa Tounes » et des « Républicains ».
Bon à souligner, les cadres de Nidaa qui aiment le plus rencontrer Sarkozy sont les adeptes d’une politique de droite et de fermeté en Tunisie. Et cette aile est loin d’être majoritaire au sein de Nidaa et encore moins dans le pays.
Nicolas Sarkozy viendra à Tunis depuis Nice et sera accueilli par Mohsen Marzouk, avec tous les honneurs certainement. N’empêche ! Si le secrétaire général de Nidaa ne montre aucun embarras de cette visite, il ne montre pas non plus de joie excessive et sa relative discrétion en témoigne.
Tout comme Marzouk, Béji Caïd Essebsi apprécie Nicolas Sarkozy et le préfère sans aucun doute à son successeur. On ne compte plus le nombre d’entretiens, publics et confidentiels, qu’ils ont eus tous les deux, depuis la révolution. Fin politique, BCE n’exclut pas du tout que Sarkozy soit le vainqueur de la présidentielle française dans moins de deux ans. Pour des raisons politiques, mais également pour des raisons d’affinité personnelle, Nicolas Sarkozy sera en terrain ami à Carthage. C’est cependant insuffisant pour le futur candidat et il lui en faudra beaucoup plus pour (re) gagner l’amitié des Tunisiens et le vote des Français de Tunisie.
Nizar Bahloul