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Pour que l’erreur ne triomphe pas : tendre plaidoyer pour la Commission tunisienne d’analyses financières
11/09/2023 | 12:40
5 min
Pour que l’erreur ne triomphe pas : tendre plaidoyer pour la Commission tunisienne d’analyses financières

 

Par Samir Brahimi*

 

L’incompréhension autour du rôle de la Commission tunisienne d’analyses financières (Ctaf), longtemps entretenue dans la sphère politique et les médias, gagne aujourd’hui la plus haute autorité de l’État. La remontrance est sans modération et risque, l’histoire récente aidant, de faire mal. « La Ctaf ne serait pas en train d’accomplir sa mission convenablement. Elle aurait dû vérifier la provenance de l’argent objet des transactions effectuées vers le gouvernorat de Sfax au profit des immigrants africains à travers la Poste tunisienne (33 milliards de millimes) durant la période allant du 1er janvier au 1er juin. Elle ne vérifierait pas non plus les financements reçus par certaines associations. Et beaucoup d’argent provenant de l’étranger est injecté dans ces associations, mais il est par la suite transféré à des partis politiques. Il faut qu’il y ait un contrôle sur cet argent provenant de l’étranger ». 

La vérité est toutefois, totalement différente, car la Ctaf n’assume aucune responsabilité au titre de ces reproches pour cette raison pourtant si simple qu’elle n’a reçu des lois de la République aucune compétence, aucune prérogative, aucun pouvoir ni pour gérer les opérations ou les transactions financières qui se déroulent sur le territoire tunisien, ni pour les contrôler. Les juristes en général et les publicistes en particulier, n’ignorent pas en effet, que l’État et l’ensemble de ses émanations sont tous soumis au principe de compétence. Ce principe fondateur est si important qu’il relève de l’ordre public et que sa violation encourt la punition de la part soit du juge constitutionnel, soit du juge de l’excès de pouvoir, selon le cas. C’est la compétence, ainsi définie par le texte qui la fonde, qui détermine si la personne publique attributaire est responsable ou non.

Qu’est-ce-que la Ctaf et quelles sont ses compétences ?

La Ctaf est une cellule de renseignements financiers (CRF), au sens des normes internationales relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBA/FT). Suivant la Recommandation 29 du Groupe d’Action Financière (GAFI), le rôle essentiel d’une CRF réside dans « la réception et l’analyse des déclarations d’opérations suspectes et des autres informations concernant le blanchiment de capitaux, les infractions sous-jacentes associées et le financement du terrorisme, et la dissémination du résultat de cette analyse ».

En tant que CRF, la Ctaf n’est pas, il est si clair, une plateforme où se déroulent les opérations financières et n’a de ce seul fait, aucun moyen pour détecter les irrégularités affectant ces opérations.

La Ctaf n’est pas non plus une autorité de contrôle sur les institutions financières (banques, compagnies d’assurance, Poste tunisienne, associations, etc.), car ce rôle est confié par la loi à des autorités désignées : la BCT, le CGA, le CMF, le ministère en charge des communications, etc.).

La Ctaf n’intervient que lorsqu’elle est saisie d’une opération ou transaction autour de laquelle plane une suspicion et que cette suspicion porte sur un prétendu blanchiment d’argent ou un prétendu financement du terrorisme.

Les personnes habilitées à déclarer les soupçons à la Ctaf sont limitativement énumérées par la loi. Il s’agit des institutions financières qui s’adonnent aux commerces de banque, de bourse ou d’assurance et de certaines entreprises et professions non-financières désignées par les normes internationales, en l’occurrence, les agences immobilières, les casinos, les négociants de métaux ou d’objets précieux et dans certaines situations, les professions du droit et du chiffre.

La Ctaf ne s’autosaisit pas des comportements qui pourraient nourrir un soupçon de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme, car comme expliqué plus haut, faute d’en avoir les moyens, la loi ne l’y a pas habilité.

Plus concrètement, pour ce qui concerne d’abord, les transferts en provenance des pays d’Afrique subsaharienne au profit des ressortissants de ces pays résidant en Tunisie, c’est la Poste tunisienne qui devrait alerter la Ctaf des opérations que ses services pourraient y déceler un soupçon au sens de la loi. Les considérations sécuritaires ou autres inhérentes à la présence de ces personnes sur le territoire national ne sont pas du regard de la Poste tunisienne, un fonds de commerce somme toute, ni de la Ctaf, faute de saisine et d’auto-saisine.

Sur le fond, les transferts en provenance de l’Afrique subsaharienne, ne semblent pas pouvoir nourrir chez la Poste tunisienne, ni du reste, chez les banques de la place, de soupçon de blanchiment d’argent, eu égard en particulier, au fait que ces transferts portent sur des sommes d’argent de faible montant, s’opèrent en monnaie écrite et donc traçable, et sont diligentés par des institutions financières initiées au devoir de vigilance, relatif à la clientèle et plus généralement à l’ensemble des mesures internes en rapport avec la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Maintenant, pour ce qui concerne le financement des partis politiques à travers les associations à but non lucratif (OBNL), le constat également est que la Ctaf ne peut intervenir que si elle est alertée par les personnes déclarantes sur des soupçons, cette fois-ci, de financement du terrorisme. Le plus souvent en effet, on ne blanchit pas l’argent en abusant des OBNL, mais on les utilise plutôt pour financer le terrorisme ou pour commettre d’autres infractions financières. Ce n’est pas d’ailleurs un hasard que la norme internationale relative aux OBNL ne figure pas parmi les fameuses quarante Recommandations du GAFI dédiées à la lutte contre le blanchiment d’argent, mais plutôt parmi les neuf Recommandations dites spéciales, intervenues dans la foulée des évènements du 11 septembre 2001.

Les risques inhérents aux OBNL sont attribuables beaucoup plus à l’inadéquation du dispositif de contrôle mis en place au regard des enjeux nés en 2011 de l’abandon du régime juridique de l’autorisation et la consécration de celui de la déclaration. La Tunisie a d’ailleurs été épinglée par le GAFI, à cause entre-autres de défaillances stratégiques en rapport avec les OBNL.

Pour toutes ces raisons, la Ctaf doit plaider non coupable. Mieux, elle est en droit d’opposer un parcours, le sien, globalement honorable, qui l’a conduit notamment, à intégrer le « groupe Egmont » des cellules de renseignements financiers, une véritable reconnaissance internationale de sa conformité aux critères universels posés dans le domaine et à améliorer sensiblement les notations de la Tunisie au titre de son dispositif LBA/FT, aujourd’hui, l’un des meilleurs au monde au plan de sa conformité au standard international.

 

*Ancien secrétaire général de la Ctaf

*Ancien président du Groupe d’Action Financière Moyen-Orient/Afrique du Nord

 

11/09/2023 | 12:40
5 min
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Commentaires
MM
@Gardon
a posté le 12-09-2023 à 11:30
comment c'est possible que les quelques personnes habilitées à déclarer les soupçons à la Claf sont limitativement énumérées par la loi?
Gardons un minimum d'honnêteté!
@MM
a posté le à 15:22
Merci pour votre Feedback.

Je ne suis pas juriste, je suis mathématicien et j'essaye d'utiliser la logique mathématique un peu partout afin de tirer des conclusions / implications utiles.

Je reviens à votre question:
- Ce qui est ridicule d'après le texte de l'article ci-dessus est le fait que "les personnes qui pourraient déclarer les soupçons à la Ctaf sont limitativement énumérées par la loi:)
-->
ce qui signifie, si les personnes énumérées par la loi (afin de dénoncer la corruption / ou transmettre des soupçons auprès de la Claf ) étaient eux mêmes des corrompus, personne ne pourrait ainsi les dénoncer --> En effet, ils ne ne vont pas se dénoncer par eux mêmes, ce qui serait absurde:)
-->
Autrement dit, la loi dont parle Mr. Brahimi ne prévoit pas le cas où certains des contrôleurs (limitativement énumérées par la loi) sont eux mêmes des voleurs et que personne ne pourrait les dénoncer auprès de la Claf puisque cette dernière n'accepte pas de soupçons venant d'ailleurs.

Juridiquement, Mr. Brahmi n'a aucune responsabilité pour cette limitation absurde par la loi. Par contre éthiquement, on pourrait lui reprocher le fait qu'il n'a rien fait, d'après son article ci-dessus, afin d'améliorer / optimiser le fonctionnement de la Claf en tant que haut-fonctionnaire. Il était très bien payé à la Claf afin entre autre d'optimiser son fonctionnement...

Si tous nos hauts-fonctionnaires agissaient comme Mr. Brahimi en reproduisant la médiocrité des années passés et en la justifiant par des articles sur Buinsess News TN, la Tunisie irait directement vers le collapse socio-économique.

bonne journée
'Gardons un minimum d'honnêteté!
@Mr. Brahimi
a posté le 11-09-2023 à 16:01
Tout en restant objectif, l'article ci-dessus est confus et plein de contradictions.

A la fin de la lecture de l'article ci-dessus, je me suis dis: voilà une institution publique qui ne fait rien d'utile et nous coûte trop d'argent: En effet, la Claf ne soupçonne pas, ne contrôle pas, et pratiquement personne n'a le droit de lui "parler", je cite "[les quelques] personnes habilitées à déclarer les soupçons à la Ctaf sont limitativement énumérées par la loi."

Puis, Mr. Brahimi nous dit: "le constat également est que la Ctaf ne peut intervenir que si elle est alertée par les personnes déclarantes sur des soupçons," -->
alors que quelques lignes auparavant il écrivait "La Ctaf ne s'autosaisit pas des comportements qui pourraient nourrir un soupçon de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme"
-->
il y a quelque chose qui ne va pas dans ce texte:)

Fazit: Mr. Brahimi s'est trop concentré sur le coté linguistique (un français de certains tunisiens oligarques) et il a complètement négligé le coté cognitif et la continuité dans ses idées....

Bonne journée

PS: l'art n'est pas d'écrire un article (je dis bien article) ayant un texte à la Heidegger (trop difficile à lire et à comprendre par les gens simples --> "Etre et Temps"), mais plutôt de transmettre ses idées d'une façon claire et compréhensible afin d'atteindre le maximum de lecteurs.

Ok
Ce monsieur a raté l'occasion de se taireé l'occasion de se taire
a posté le 11-09-2023 à 15:47
Si j'ai compris, cette commission dont il fut secrétaire général avec tous les avantages y afférant, ne servait à rien.
ABC
'?a a, au moins, le mérite d'avoir été explicité !!!
a posté le 11-09-2023 à 13:25
Il est aberrant qu'un président, se point à l'improvisyt un matin à la BCT avec une pile de dossiers sous le bras pour disserter pendant 45 mn et pour dire des choses qu'il ne maitrise pas.
L'article est bien explicite à cet effet pour expliquer, qui doit faire quoi ? et surtout qui à le droit de faire quoi ?
jilani
Du n'importe quoi ?
a posté le 11-09-2023 à 13:22
Ce monsieur a oublié de dire quels sont les avantages qu'il avait quand il était secrétaire général de la ctaf (voiture, chauffeur, secrétaire, ...) et pour faire quoi. J'avait une société exportatrice et à chaque fois que je reçois un paiement, ma banque me demande à travers la bct une copie de facture pour vérifier l'origine du paiement. Quand tu as une société off shore, le virement passe sans aucun contrôle. On comprend mal comment les islamistes et ghannouchi a amassé toute sa fortune sans passer par aucun contrôle et cela nous étonne que la bct ce monsieur et surtout ce abbassi ne sont pas au courant de ces malversations. Ce monsieur mérite d'être mis en prison.