En Tunisie, tout semble aller de travers sauf peut-être l’incohérence du pouvoir en place. Cette incohérence est au beau fixe et un avenir bien « irradieux » l’attend. L’Histoire nous l’a pourtant bien appris. On ne peut diriger un pays tout en baignant dans la confusion et en étant déconnecté des réalités du moment historique, politique, social, économique, technologique, etc. Ceci reste irréalisable en étant, en somme, dans l’incapacité de saisir la marche du monde et de vivre dans un modèle passé, révolu à jamais.

L’incohérence, elle, est palpable à tous les niveaux et touche tous les domaines, même les positions de principe clamées au grand jour et avec force conviction. Que n’a-t-on pas déjà entendu le candidat puis le Président Saïed dénoncer l’injustice subie par les Palestiniens ? Il avait même forcé l’admiration des électeurs en 2019 en clamant haut et fort que normaliser était de la haute trahison. Ses électeurs s’attendaient donc à des décisions fermes et courageuses quand il aurait accédé à la magistrature suprême. Survient le 7-Octobre et le carnage israélien contre les populations civiles qui se poursuit en ce moment même. Les premières prises de position du régime ont été saluées par une majorité de Tunisiens, même ses opposants les ont qualifiées d’honorables.

Toutefois, en avançant dans le temps, la malédiction de l’incohérence qui frappe ce pouvoir, s’est immiscée dans l’affaire. On l’a observé notamment lors du voté de la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, fin octobre, qui demandait une trêve humanitaire et la protection des civils à Gaza. Le projet de résolution, présenté par la Jordanie et soutenu par le groupe des pays arabes ainsi que par les Palestiniens, a reçu 120 voix pour, 14 contre et 45 abstentions. La Tunisie s’était abstenue suscitant sur le moment les interrogations, les Tunisiens ne comprenant pas les motivations d’une telle décision. Faisant fi de ce que symbolise un tel vote, de l’urgence de la situation ou de l’appel lancé par les Palestiniens, la Tunisie avait choisi la surenchère et se l’est jouée plus royaliste que le roi. En s’abstenant, c’était comme si on cautionnait les massacres en cours, bien installés dans nos confortables sièges à théoriser sur un lointain conflit. Le plus drôle, ou plutôt le plus affligeant, c’est que quelques semaines plus tard, à la mi-décembre, la Tunisie votera pour pratiquement la même résolution lors d’une deuxième session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’ONU. Affligeant d’incohérence.

Après, on a eu le palpitant épisode de la proposition de loi sur la criminalisation de la normalisation. C’était du grand spectacle, de ceux qui contiennent des retournements de situation inattendus. Examen express du texte en commission, fixation d’une date pour la plénière, report sans donner de raison… La polémique battait son plein, lorsque la plénière consacrée au vote avait débuté. Les élus avaient commencé le vote de certains articles, quand le président du Parlement se retire puis revient pour dire que tout était suspendu et que c’est parce que le président de la République considérait que la proposition de loi était une atteinte à la sûreté et aux intérêts extérieurs de la Tunisie. Camouflet ! Mais où est passé le monsieur qui haranguait les masses avec des histoires d’honneur et de trahison ? Cet épisode résume à lui seul les contradictions qui sous-tendent ce régime.

Les électeurs du Président s’attendaient à des actes forts et courageux en ce qui concerne la cause palestinienne. Ils devront encore attendre, puisque depuis des mois il n’y a que le verbiage qui prime et des logorrhées à l’impact négligeable. L’action viendra de l’Afrique du Sud qui a déposé, il y a de cela une semaine, une requête contre Israël pour génocide devant la Cour internationale de Justice. Le 11 et 12 janvier se tiendront des audiences publiques au Palais de la Paix à La Haye. Le but de cette requête est de reconnaître les crimes israéliens et pousser la cour à prendre des mesures. Et cette requête, en dépit de la longueur des procédures, inquiète réellement l’État sioniste. Une condamnation pour génocide, même ignorée, poserait un gros problème pour Israël notamment au niveau de l’opinion internationale.

L’action, qui aurait concrétisé les positions de principe du Président, n’est donc pas venue de l’État tunisien. Et ça continue à servir de bien belles paroles au peuple qui continue, lui aussi, à les gober tout béat en applaudissant des exploits chimériques.