Les résultats du sondage effectué par le cabinet Emrhod Consulting sur le ressenti du Tunisien durant 2023 et ce qu’il attend de 2024, ont de quoi de surprendre. Une majorité de Tunisiens (55%) considère que 2023 fut une année plutôt positive et près des trois-quarts (71%) estiment que l’année 2024 sera meilleure. N’est-ce pas là un paradoxe compte tenu de ce qu’ils ont vécu au cours de l’année écoulée ? Les pénuries de toute sorte, les coupures d’électricité à répétition, la distribution de l’eau au compte-gouttes, l’inflation qui a érodé leur pouvoir d’achat, la petite corruption qui a envahit l’administration et les services publics, etc. Tout cela ne semble pas les avoir affectés, à moins qu’ils se soient faits une raison d’une situation qui risque de perdurer quelques années encore.
En tout cas, cette condition de vie s’apparente fort à de l’austérité. Sauf que celle-ci ne transparait pas clairement dans les statistiques macroéconomiques du pays. La baisse en valeur des importations de produits agricoles et agroalimentaires de plus de 7% en 2023 ne peut cacher l’augmentation en quantités.
Selon les données publiées par l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri), l’importation de blé dur a augmenté en volume de près de 85% durant les onze premiers mois de 2023, celle de l’orge de plus de 13%, de la pomme de terre de plus de 160%, du lait et dérivés de plus de 55% et du sucre de plus de 50%. On a bénéficié d’un effet-prix à la baisse des importations de 26,6% pour le prix au kg du blé dur, de 25,4% pour l’orge, de 50% pour la pomme de terre et de 4% pour le lait et ses dérivés.
La baisse en quantité des importations n’a concerné que le blé tendre, les huiles végétales et les tourteaux de soja, respectivement de 15%, 20% et 26% avec un effet-prix à la baisse de respectivement plus de 22% pour le blé tendre et les huiles végétales et de 3,5% environ pour les tourteaux de soja. Les quantités de viandes importées ont augmenté de plus de 30% avec un effet-prix au kg à la baisse de près de 2%. Dans ces conditions, il convient de chercher ailleurs les raisons des pénuries de produits alimentaires et particulièrement de première nécessité.
Il en est de même, mais dans une moindre mesure, des produits énergétiques. Le pays a enregistré une baisse en valeur des importations de près de 11%. Cependant, cela tient pour une bonne part à l’effet-prix et non à l’effet-volume. Estimé en début d’année 2023 à 89 dollars, le cours moyen du baril en année pleine affiche 83 dollars, soit une baisse de près de 10%. Quid alors de l’austérité ?
La conjoncture économique internationale en 2023 aurait-elle été favorable aux autorités du pays dans leur gestion des finances publiques ? Le solde des paiements extérieurs courants affiche un déficit de près de quatre milliards de dinars fin octobre 2023 contre un déficit d’environ douze milliards de dinars en 2022.
Cette éclaircie dans les finances extérieures, favorisée par la conjoncture internationale, ne peut masquer l’état d’endettement du pays et celui du déficit budgétaire. Le coefficient du service de la dette - service de la dette par rapport aux recettes extérieures courantes – demeure encore trop élevé, dépassant les 10%.
Certes, on est loin des ratios affichés en 2019, 2020 et 2021, années durant lesquelles ce ratio à oscillé entre 14% et 15% alors qu’il n’atteignait qu’à peine 5% en 2010. Idem du déficit budgétaire qui ne semble pas fléchir, tournant toujours aux alentours de 7% du PIB avec des besoins de financement budgétaire de près de 26 milliards de dinars, soit l’équivalent de plus de 16% de PIB. A titre de comparaison, les USA, pays le plus endetté de la planète, affiche un ratio besoins de financement par rapport au PIB de seulement 8,6%.
L’austérité, on en est loin.
