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Chroniques
La culture de la démission
Par Synda Tajine
09/06/2020 | 15:59
4 min
La culture de la démission

 

Inutile d’aller plus loin dans cet article, si vous avez la flemme de lire, je vous le dis d’emblée : cette culture, nous ne l’avons pas. C’est comme ça ! Ce n’est pas parce que nous sommes un pays sous-développé ou que notre expérience démocratique n’est pas au point (je vous entends rire au fond de la salle). C’est juste parce que le fait de quitter par la grande porte, alors que nous sommes en pleine possession de nos moyens, n’est pas dans notre culture. Il faut du courage et une bonne dose de détachement des choses futiles de la vie pour oser démissionner alors que nous sommes dans une situation encore confortable. Qualités, dont plusieurs d’entre nous (beaucoup d’entre nous) sont dépourvus.

 

Vous vous rappelez de Abid Briki, syndicaliste et secrétaire général du mouvement la Tunisie en avant, qui avait promis de quitter la vie politique s’il obtenait un score inférieur à 3%. Le monsieur n'a récolté que 0,17% à un scrutin présidentiel qui était perdu d’avance pour lui. Et pourtant, avec un rétropédalage des moins habiles, il décide de rester. Il annonce sa démission en faisant croire qu’il a tenu parole et fait ensuite une volte-face qui est passée inaperçue, dans le but de faire croire que le parti réclame à cor et à cri son retour. Parti qu’il est le seul à diriger. Passons.

 

Plusieurs d’entre nous (naïfs que nous sommes) ont cru que le grand et puissant Rached Ghannouchi allait se faire petit, se remettre en question (c’est lui qui l’a dit) et peut-être même (miracle !) démissionner après la plénière de la honte qui a permis aux élus de l’opposition de le lyncher (et de s’offrir le spectacle jouissif et orgasmique de lui dire le fond de leurs pensées). Il n’en est rien. Sept heures d’une plénière qui s’est achevée au petit matin et au cours de laquelle il a essuyé les critiques les plus acerbes.

Menteur, fourbe, impoli…Des qualificatifs qui se sont enchaînés pour qualifier l’homme fort du Parlement tunisien, attaqué sur ses positions politiques et diplomatiques mais aussi ses costumes, sa dentition, et ses cravates. Quatre jours après, il est invité sur une des chaînes privées du pays pour distiller sa science et dire aux Tunisiens quel homme magnanime et sage il est (!) Celui qui avait été accusé d’avoir « détruit la Tunisie » est aujourd’hui celui qui appelle au calme et à la raison de la classe politique.

Difficile d’imaginer que Rached Ghannouchi envisage de revoir ses positions, ou même de partir en Grand Seigneur, lui qui estime que cette plénière est « une belle expression de la démocratie et a permis de donner une image exceptionnelle de l’expérience tunisienne ».

 

Dans les démocraties qui se respectent. Les gens partent pour moins que ça. Symptomatique de notre expérience démocratique et politique naissante, l’art de la démission (ou plutôt sa totale absence) montre cette classe politique incapable de se remettre en question, et de céder la place à d’autres.

Appareil sécuritaire secret, assassinats politiques, plainte pour harcèlement sexuel, blanchiment d'argent, scores dérisoires aux élections…tous des motifs qui auraient dû coûter la tête (politique) de plus d’un. Pourtant, malgré ces affaires devant la justice qui remettent en cause la probité de ces hommes politiques et la confiance que les Tunisiens peuvent placer en eux, les principaux accusés sont encore en poste et officient encore dans la plus grande désinvolture.

 

Le syndrome Ahmed Néjib Chebbi, celui d’un homme qui a raté le coche en 2011 et qui refuse toujours d’admettre son échec, en est l’un des exemples les plus parlants. Alors qu’il ne pèse plus rien sur la scène politique nationale, il envisage même aujourd’hui de créer son propre parti.

Démissionner pour une certaine idée de la République, de la démocratie et de la justice, il faut avoir le courage (et la suite dans les idées) nécessaire pour le faire. Que serait la France aujourd’hui sans les démissions de Charles de Gaulle en 1946 ou d’Emmanuel Macron en 2016? Tous les deux sont revenus par la grande porte et ont changé l’histoire de leur pays. Il y a ces démissions qui marquent un tournant politique et une rupture et d’autres qui s’imposent, suite à une bourde ou à un scandale.

 

Les démissions qui ont du sens sont uniquement celles qui font mal. Pour qu’une démission ait un véritable impact, il faut qu’elle soit cohérente et qu’elle prouve l’engagement réel de la personne qui quitte et la force de ses convictions. Mais lorsque les convictions ne valent rien et les valeurs s’évaporent, aucune démission n’aura un réel sens et ne pourra faire date dans l’esprit collectif. Encore faut-il que ceux qui devraient démissionner en aient d’abord le courage…

 

 

 
Par Synda Tajine
09/06/2020 | 15:59
4 min
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Commentaires
abc
Mais avant la culture de la démission
a posté le 15-06-2020 à 08:27
Mais avant la culture de la démission il vaut avoir la culture de la responsabilité.
Quand on a cette culture que lorsque l'on a le sentiment d'avoir gaffé ou échoué c'est à ce moment qu'intervient la culture de ma démission.
Je tire un grand chapeau à l'ex ministre de la santé qui à démissionné suite à l'affaire des bébés de l'hôpital de Bab Saadoun. Bien que concerné de loin, son sens de la responsabilité l'a mené à présenter sa démission. (les autres directement impliqués ne l'on pas fait)
hamadi
bon retour chez toi
a posté le 11-06-2020 à 11:17
un plaisir de vois lire et relire.
DHEJ
Mais il faut avant tout...
a posté le 10-06-2020 à 08:53
Avoir la culture de la mission

Une fois investi par une mission, il goûte l'honneur et le prestige de la Mission

Et l'Arabe ou le tunisien ne valant rien sans les avantages de la mission, il s'accroche malgré l'échec dans la mission...

Alors oui nous avons la culture des honneurs de la mission.
Espoire
L'erreur est humaine
a posté le 10-06-2020 à 08:03
Laurence Sterne: "La persévérance est une bonne chose et l'obstination une mauvaise."
Faut juste savoir doser... mais l'erreur est humaine non?
DHEJ
Hello again...
a posté le 09-06-2020 à 20:44
Ah j'ai pensé...

Heureusement que tu es encore là pour nous " torturer " philosophiquement parlant.

A+
zamharir
Le bashing ne porte pas loin
a posté le 09-06-2020 à 17:10
Votre site s'est spécialisé dans le Ghannouchi bashing, qui ne mène pas très loin. Ghannouchi n'a jamais mis sa démission dans aucune balance. Certains cherchaient à le destituer par un vote démocratique, ils n'y sont pas parvenus. Il a gardé son poste le plus démocratiquement du monde. Qu'y-a-t-il de bizarre ? Il a été insulté, mais outre que les crachats envoyés au ciel retombent fatalement sur la figure de ceux qui les y envoient, les cracheurs auront prouvé qu'ils pataugent dans les caniveaux. En refusant de leur répondre sur le même terrain et avec les mêmes arguments -- ils ne sont pas blancs comme neige -- Ghannouchi, leur a prouvé qu'il était à sa place au perchoir. La Tunisie est très loin encore du débat démocratique serein dans une Assemblée qui doit être respectée.
Gg
Bonjour, Synda!
a posté le 09-06-2020 à 16:55
"Inutile d'aller plus loin dans cet article, si vous avez la flemme de lire..."
Mais si, mais si! Vous nous avez manqué, nous avons craint de vous perdre. Aviez vous démissionné après nous avoir dit adieu? Vous en auriez bien le courage, vous!
Tout ce que vous dites est vrai, et participe grandement au malheur de ce pays. C'est le peuple qui devra forcer à la démission tous les malfaisants qui s'accrochent au pouvoir comme la moule à son caillou!
DIEHK : Nous sommes heureux de vous relire de nouveau!!!
1 seul mot :welcome back!!!!!!!
a posté le 09-06-2020 à 16:17
Heu reuuuuuuux!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Je savoure votre article et je commenterai, sinon je commenterai le prochain..
Si NB : Bravo..... pour le retour de notre Prodige Nationaleeeeeeee