La leçon d'intégrité de Fadhel Abdelkefi
Il a annoncé sa démission aujourd’hui. Fadhel Abdelkefi, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale et ministre des Finances par intérim, a décidé de quitter le gouvernement, contraint par une éthique qu’il a toujours clamée haut et fort. Il se présentera ainsi le 4 septembre prochain devant la justice comme un citoyen ordinaire comme il l’a souhaité. Derrière cette démission, une polémique qui a suivi la publication de documents faisant état d’un jugement à son encontre en tant que représentant légal de la société Tunisie Valeurs.
Fadhel Abdelkefi n’a pas sa langue dans sa poche, et s’il est de ceux dont le comportement en tant que ministre est exemplaire, son franc parler aura sans doute participé à sa « chute ». Le ministre est compétent, il tient par intérim l’un des portefeuilles les plus sensibles, les Finances, et il dérange car il est indépendant. Sa récente tirade sur le « sans-gêne » qui qualifie bon nombre de politiciens ne passera pas ! Dans le collimateur, il est devenu en quelques jours l’homme à abattre et pour cela, rien de plus simple que de déterrer une affaire et de relancer un procès.
Le ministre l’a appris sur les réseaux sociaux, un jugement par contumace en première instance est émis à son encontre en tant que représentant de la société Tunisie Valeurs. Depuis, les versions abondent. On ira jusqu’à affirmer que Fadhel Abdelkefi a été attrapé à l’aéroport la main dans un sac de devises étrangères illégales, l’équivalent de 250 mille dinars en dirhams marocains. Fadhel Abdelkefi aura beau répéter qu’il s’agit d’une affaire de transfert de capital « en nature » le concernant en tant que représentant légal de Tunisie Valeurs, les rumeurs sont tenaces.
Aujourd’hui encore, le ministre qui annonçait sa démission sur les médias, essayait de l’expliquer une énième fois. Il s’agit d’une question de régularisation d’un transfert de capital « par apport en nature » entre une société mère : Tunisie Valeurs et sa filiale au Maroc : Integra Bourse. Cet apport concerne le transfert du système d’exploitation informatique tunisien (VALORIX) de Tunisie Valeurs à Integra Bourse. « Ce transfert a été inscrit, dans un premier temps, au débit de la société Integra Bourse pour ensuite être intégré au capital de la société. Le montant fixé par les commissaires aux apports concernant cette transaction est de 250.000 dinars. La BCT nous a demandé de régulariser la situation et nous l’avons fait pour nous rendre compte, il y a quelques jours, qu’une affaire a été intentée contre Tunisie Valeurs par la direction générale de la douane » a souligné Fadhel Abdelkefi, précisant qu’une opposition a été émise par les avocats de Tunisie Valeurs pour suspendre le jugement émis par contumace.
En tant que ministre des Finances, il a estimé qu’il est de son devoir d’épargner au gouvernement toute accusation de conflit d’intérêt. « Il est d’usage qu’un ministre qui comparait devant la justice doive démissionner pour être jugé en tant que citoyen ordinaire. J’espère que cette nouvelle tradition puisse perdurer » a déclaré Fadhel Abdelkefi.
La démission du ministre survient toutefois dans un moment critique. En tant que ministre des Finances par intérim, Fadhel Abdelkefi se préparait à défendre le projet de Loi de finances 2018. Son départ obligera Youssef Chahed à procéder au remaniement ministériel auquel appellent depuis déjà quelque temps les détracteurs de son gouvernement. Il devra se résigner à nommer les trois ministres qui occuperont les vacances aux Finances et à l’Education nationale. Youssef Chahed avait pourtant tenu tête et tenté par tous les moyens de reculer l’échéance. A l’approche de la rentrée, le moment était pour le moins mal choisi.
Il va sans dire que le consensus qui devra être à l’origine de la nomination des ministres en question ouvrira le chemin aux calculs politiques les plus insidieux. Cette démission, bien que saluée par Youssef Chahed, représente un coup dur pour le gouvernement.
Le chef du gouvernement a affirmé aujourd’hui que Fadhel Abdelkefi « était un exemple de dynamisme et de compétence », soutenant son choix de comparaitre devant la justice hors du cadre de sa fonction de ministre ». Au-delà du discours politique, il faut cependant reconnaitre que cette démission donnera à Chahed bien du fil à retordre et devra précipiter un remaniement inévitable qu’il ne cesse d’ajourner.
« Avant de remanier, il faudra évaluer le rendement des ministres, corriger les défaillances et remplacer les postes vacants », avait déclaré le chef du gouvernement à Mosaïque FM le 18 juillet dernier. Youssef Chahed n’aura pas le temps nécessaire pour l’évaluation souhaitée en ces temps de crise. Le départ de Fadhel Abdelkefi s’ajoute à la liste des ministres à remplacer après celui de Lamia Zribi et de Néji Jelloul.
Ajouter à cela, l’approche d’une échéance de taille : celle de la loi de finances 2018. Un projet de loi très attendu et sur lequel pèsent de nombreuses pressions notamment celles des recommandations émises par le FMI en cette période où l’économie ne se porte pas très bien.
Fadhel Abdelkefi aura été le bouc émissaire de tiraillements politiques qui le visent depuis des mois déjà. Ces tiraillements ne visaient, cependant, pas que lui mais tout le gouvernement Chahed qu’on essaye de faire échouer dans sa mission. Le ministre, pourtant aux compétences avérées, a choisi de se sacrifier pour l’image de son équipe qui ne pouvait affronter une période de crise, mais aussi préparer une loi de finances, alors que l’un des siens est accusé de malversations. Acte héroïque ou renoncement ? Les semaines à venir nous le diront certainement.