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Le drame de Kairouan soulève des interrogations sur la conservation du patrimoine
18/12/2023 | 14:55
7 min
Le drame de Kairouan soulève des interrogations sur la conservation du patrimoine

 

La Tunisie a été secoué samedi par un malheureux incident qui a coûté la vie à trois personnes et trois autres ont été blessées. Une partie des remparts de la vieille ville de Kairouan, site inscrit sur la liste du patrimoine culturel mondial, s’est effondrée et a enseveli les ouvriers qui travaillaient, depuis un mois, sur le chantier de restauration de la muraille.

 

Le désastre a ébranlé l’opinion publique qui n’a pas manqué de dénoncer des suspicions de négligence et de corruption. Les remparts font, en effet, l’objet d’interventions de réhabilitation tous les deux ans en moyenne. Un habitant de la ville affirme que des équipes aux moyens rudimentaires opèrent des réparations précaires et superficielles par endroit pour éviter l’écroulement des remparts. Les matériaux utilisés – du ciment blanc et des blocs de briques – sont loin de correspondre à ceux qui ont servi initialement à la construction de cette muraille vieille de douze siècles. C’est sous le règne du calife abbasside Al Mansour que les premiers remparts ont été érigés en briques cuites et en pisé, un procédé qui consiste à bâtir des murs en terre crue. Ils ont ensuite fait l’objet d’une reconstruction vers l’an 1054. Ils s’étendaient alors sur près de neuf kilomètres. Plus tard, après l’invasion de la ville par les Banu Hilal, l’étendue des remparts a été largement réduite. Les remparts tels que nous les connaissons aujourd’hui font 3,5 kilomètres de long et entre quatre et huit mètres en hauteur. Ils ont été construits sous la dynastie husseinite.

 

Avec ces 36 monuments, le site de la vieille ville de Kairouan qui s’étend sur 68 hectares environ a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial en 1988. Il bénéficie, selon l’Unesco, « d’un classement spécifique au titre de monuments historiques et (…) est protégé par la Loi 35-1994 relative à la protection du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels, par le Décret du 18 octobre 1921 relatif à la protection des souks et des quartiers pittoresques de la ville de Kairouan et par le plan d’aménagement urbain de la ville. Pour assurer la sauvegarde et la bonne gestion de l’ensemble historique de Kairouan, l’Institut national du Patrimoine l’a dotée d’une unité de gestion ».

Cette unité de gestion n’a pas pu, au vu des événements tragiques de samedi, éviter la catastrophe. Pourtant, les autorités locales ont bien été alertées à plusieurs reprises par un citoyen préoccupé par la nature des travaux effectués. Une enquête a été ouverte sur ordre de la ministre des Affaires culturelles pour comprendre ce qu’il s’est réellement passé sur ce chantier. Dans une déclaration aux médias, Hayet Guettat Germazi, a pointé du doigt « une erreur » et a imputé l’incident, en partie, à « des facteurs climatiques, les précipitations et l’humidité », notamment. Les causes demeurent méconnues et ne seront communiquées qu’à l’achèvement de l’enquête, selon la ministre.

Les circonstances floues et de nombreuses rumeurs au sujet de l’entreprise en charge des travaux de réhabilitation ont soulevé plusieurs interrogations sur la gestion de ce site historique emblématique porteur d’une symbolique de valeur universelle et les moyens déployés par l’État pour veiller à sa conservation. Pour en savoir davantage, nous avons tenté de joindre l’Institut national du patrimoine, en vain. Nous nous sommes donc référés au rapport de « la mission de conseil conjointe à la Médina de Sousse (Tunisie) Mission étendue à la Kairouan Médina de Tunis », réalisé par le Centre du Patrimoine mondial, le Conseil international des monuments (Icomos), et le Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (Iccrom), en janvier 2023, du moins pour avoir une plus ample idée sur l’état de conservation de ces biens. Le fait que la vieille ville de Kairouan soit inscrite sur la Liste du patrimoine mondial implique, notons-le, des missions d’inspection effectuées par les organismes précités.

 

Le rapport indique, au sujet des remparts de la ville de Kairouan, qu’« en mars 2021, le tronçon sud-est des remparts entourant la Médina a subi un affaissement de la partie haute (qui serait lié à l’impact de secousses sismiques sur des restaurations rigidifiées par l’utilisation du béton dans les années 60) qui a nécessité une intervention de restauration réalisée par l’INP avec un financement du Sultanat d’Oman. Les travaux sont presque achevés, plus de 300,000 briques ont été remplacées et les enduits repris avec un résultat satisfaisant. Un rapport détaillant les travaux effectués aurait été envoyé à l’INP-Tunis, mais le Centre du patrimoine mondial n’a pas reçu d’information à ce sujet ». Il précise, également, que « le gestionnaire de site a souligné qu’une Convention entre une briqueterie et l’INP était signée, mais que l’établissement d’une briqueterie par l’INP permettrait de réduire de deux-tiers les coûts de matériel pour un résultat meilleur ».

Dans ses observations, l’équipe mentionne que « Kairouan a été impacté par la dissolution des conseils municipaux dès 2011, et la réforme des associations de sauvegarde qui depuis cette date n’ont plus le droit d’intervenir sur les monuments historiques (L’ASM de Kairouan, dont le budget a été suspendu, a dû interrompre ses activités dans la Médina). Durant cette période, de nombreuses destructions et infractions ont eu lieu avec un fort impact sur l’état de conservation et l’intégrité du tissu urbain. Il semble qu’aujourd’hui le processus de transformation du tissu urbain continue, dans un contexte où la Municipalité n’exerce peu ou pas de contrôle pour donner suite aux notifications d’infractions communiquées par l’INP (87 infractions sont dénombrées depuis 2011), à travers un processus long qui passe par le gouverneur de la région de Kairouan, mécanisme ralenti davantage par des incohérences existantes entre les différents règlements. De plus, le bien, considéré comme zone défavorisée qui ne correspond pas aux exigences de la vie contemporaine se paupérise. Des lieux de cultes dans la Médina ou dans la zone des Bassins sont squattés par des familles défavorisées et se dégradent. Une fois récupérés, ils sont laissés sans maintenance en raison du manque de ressources ».

Le rapport présente aussi un ensemble de recommandations que la Tunisie a été invitée à appliquer pour la bonne préservation du site et de ces différents monuments. Ces recommandations incluent, entre autres, « l’élaboration d’un plan de gestion et d’un PSMV, le contrôle des infractions et la question des immeubles menaçant ruine, le renforcement des capacités humaines et financières, afin de mitiger les risques d’altération de l’état de conservation du bien ».

 

Si l’on se tient à ce rapport, aucun plan de gestion de site n’a été mis en place. Pourtant, en décembre 2020, le Centre régional arabe du patrimoine mondial (ARC-WH) a annoncé, dans un communiqué, un partenariat entre l’ARC-WH, le World Monuments Fund et l’Institut national du patrimoine, pour la préparation d’un plan de gestion du site du patrimoine mondial de Kairouan.

Nous noterons, également, que comme le site de la vieille ville de Kairouan fait partie du patrimoine mondial, la Tunisie peut bénéficier d’un financement du Fonds du patrimoine mondial de l’Unesco. Établi en 1977 en vertu de l’Article 15 de la Convention du patrimoine mondial, ce fonds qui s’élevait à 5,9 millions de dollars pour l'exercice biennal 2022-2023, plus 0,4 million de dollars pour l'assistance d'urgence telle que définie dans l'article 21.2 de la Convention du patrimoine mondial, peut être sollicité par les États parties de la Convention du patrimoine mondial. Ce fonds sert à appuyer les Organisations consultatives, le Rapport périodique, le suivi réactif, les activités en lien avec les sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial en péril, ou encore l’assistance internationale, selon le site dudit fonds. Cette assistance consiste, selon la même source, en une aide financière accordée aux États parties à la Convention du patrimoine mondial, afin de les aider à protéger les sites du patrimoine culturel ou naturel inscrits sur la Liste du patrimoine mondial ou la Liste du patrimoine mondial en péril. Elle n’est, toutefois, accordée qu’aux États parties qui se sont acquittés de leurs dus auprès du fonds, c’est-à-dire les contributions obligatoires qu’ils se doivent de verser chaque année, soit l’équivalent de 1% de leurs contributions au budget ordinaire de l’Unesco.

En attendant les conclusions de l’enquête du ministère des Affaires culturelles, nous ne pouvons que dénoncer le sort de notre patrimoine qui se précipite vers l’effondrement dans un pays en chaos.

Nadya Jennene 

18/12/2023 | 14:55
7 min
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Commentaires
JJ
Financement
a posté le 18-12-2023 à 23:33
Ce que retiens, c'est que non seulement la Tunisie n'est pas capable d'entretenir ses monuments, non seulement elle compte sur des étrangers (Oman), mais en plus elle n'est pas capable de gérer un chantier somme toute modeste. Qu'ajouter ?
Jilani
Que font les organes de contrôle dans le ministère
a posté le 18-12-2023 à 22:30
Qd on voit nos ancêtres cqu'ils ont fait en Egypte, Andalousie, Tunisie avec les moyens limités qui existaient et ce que nous faisons maintenant. On n'a pas pu mettre en bon état un mur. La on s'étonne vraiment de leur intelligence face à notre bêtise et cupidité. Kairouan n'est plus une jolie ville. La médina est envahie par les produits chinois et l'architecture des bâtiments n'a pas suivi le modèle ancestral, c'est laid ajouté à la saleté des lieux. La ministre doit démissionner.
SALIM
IL FAUT REVOIR LA NOTION DU PATRIMOINE ET SA CONSERVATION DANS LE DOMAINE DES EDIFICES.
a posté le 18-12-2023 à 21:31
Il ne suffit pas de voir le volet patrimoine et culturel. Il faut voir aussi le volet structurel et technique et d'une façon purement technique et scientifique. Et ça serait absurde de tenter de conserver ce qui n'est pas conservable et menace ruine, surtout en utilisant des moyens primitifs sans appel à des EXPERTS , et meme des EXPERTS INTERNATIONAUX (les CHINOIS ONT LEUR MURAILLE DE CHINE). Et surtout avant de décider 'toute réparation' il faut diagnostiquer l'ouvrage à tous les niveaux (fondations, état actuels des materiaux de la construction avec des essais,, évaluation des travaux exécutés antérieurement sur l'ouvrage, les ACTIONS EXTERIEURES EXERCEES SUR L'OUVRAGE, écoulement des eaux, hydrologie du sol, séismicité du site, absence ou non d'entretien, agression ou meme sabotage sur l'ouvrage....).

Pour le cas d'espece , il faut répondre à la question fondamentale: le remblai derriére le mur qui est la cause de l'effondrement ,existait il à la construction du mur ,ou il s'agit d'un apport récent sur le mur.Je pense que les responsables du patrimoine connaissent la réponse. Car je ne pense pas que IBN AL ACHAATH qui a construit le mur a mis le REMBLAI derrièe le mur et a construit la chaussée et les maisons derrière le mur. IBN AL ACHAATH est plus intelligent pour remblayer derrière le mur et permettre à l'ennemi a installer ses artilleries (AL MANJANIK) et bombarder directement la ville. Et si le remblai a été ajouté après la construction du mur , il serait absurde de chercher à 'réparer' ce mur de cette manière, car il n'a pas été conçu comme UN MUR DE SOUTENEMENT, mais comme une muraille pour la défense de la ville. Appelez les GRANDS HISORIENS et cherchez dans leurs livres (HSINE FANTAR, CHENNOUFI, CHIBOUB et d'autres..).
takilas
D'abord!
a posté le 18-12-2023 à 20:47
Il faut vérifier s'il n'y a pas eu un sabotage, comme d'habitude., de la part de nahdha les massacreur. C'est des bas qui n'ont aucune dignité ni respect au patrimoine ni à quoi que ce soit.
Eux ce qui les intéresse c'est de s'enrichir et de recueillir plus d'argent et ce our gâter leurs familles qui vivent en nabab à Paris ou même en Tunisie dans les meilleurs endroits et résidences.
Bdouz
PATRIMOINE A L'ABABAN
a posté le 18-12-2023 à 18:45
Tout d'abord dieu ait leurs âmes pour les trois personnes disparu, et un bon rétablissement pour les blessés.
En observant la photo prise de l'incident il y'a de quoi se poser des questions....ni du côté de la sécurité des employés, ni des passants, rien de tout ça.
Cet échafaudage n'est pas digne d'une entreprise sérieuse pour ce type de travaux, comme si il s'agissait d'un ravalement d'une simple bâtisse.
Aucun panneau ne figure autour de cette muraille qui annonce une quelconque mise en '?uvre ou autre chose pour la rénovation de ces remparts.....rien.
Quant aux responsables ils sont absents, ces pauvres ouvriers ils sont abonnés à eux mêmes, sans surveillance sans conseils et sans analyses de l'état des lieux.
Revenant à notre patrimoine, la médina de Tunis regorge d'édifices en ruine, des maisons entièrement abandonnées dans état désespérant.
Bien sur que certains édifices résulte des problèmes d'héritages, mais la mairie et les autorités conservatrices du patrimoine national que font-ils...., non ils sont aux abonnés absents, derrière leurs gobelets de café et encore....
Notre richesse patrimoniale se délabre sur l'ensemble du territoire aussi bien par le vol, que par l'oubli tout simplement.
Nous espérons que la Ministre de la culture et les responsables de ce pays fassent quelques choses pour sauver cette richesse que la Tunisie pocède au plus vite.







Citoyen
Conception fragile des l'origine
a posté le 18-12-2023 à 18:31
Au vu de la coupe du mur du rempart cest un miracle quil ait tenu tout ce temps. La faute incombe aux ingénieurs du ministère de l'équipement qui auraient dû alerter sur cette fragilité et aurait dû proposer un renforcement ou un remplacement depuis longtemps. Comment un mur peu large sans renforts a pu retenir tout cet amas de terre durant des années.....à mediter
elfribo
La faillite...
a posté le 18-12-2023 à 15:52
Des murs qui ensevelissent les citoyens, des routes inondees aux 1eres pluies, des autoroutes où les pasagers se font massacrer par milliers,, des ponts qui ne se soulevent pas, bref , une infastructure vieilissante.. Et que fait les Gouvernement, le President en tete? il mesure la longueur de la baguette.
Sachant que la reelection du Rais sera dans l'ordre de 99.99 % des suffrages, au moins Al Sissi a eu la pudeur de se faire réelire par seulement 86%.!