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Betterave sucrière : des performances modestes face à l'ampleur des besoins
25/12/2023 | 12:00
7 min
Betterave sucrière : des performances modestes face à l'ampleur des besoins


En moyenne, le Tunisien consomme trente kilos de sucre par an, sous différentes formes. Cette moyenne dépasse légèrement la moyenne mondiale estimée à 25 kilos et est largement au-dessus de la moyenne recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui est de neuf kilos par an par personne. Cette grande consommation de sucre fait de la Tunisie un pays importateur de ce produit de première nécessité. Le budget qui y est consacré pèse lourd sur les caisses vides de l’État, surtout que le sucre est subventionné et que la production nationale est loin de satisfaire l’appétence des Tunisiens pour ce produit dont l’abus de consommation n’est pas sans danger sur la santé.

 

Dans ce contexte de crise économique, des voix s’élèvent appelant à promouvoir la production nationale de sucre et à réduire les importations avançant un fort potentiel de la filière de betterave sucrière et la nécessité de préserver les réserves en devises du pays.

La filière sucrière nationale

Selon l’observatoire national de l’agriculture (Onagri), la capacité nationale de raffinage du sucre est de l’ordre de 670 mille tonnes (dont 450 mille chez Tunisie sucre offshore, 180 mille chez la STS et 40 mille chez GINOR), toutefois, la quantité de sucre raffiné par la STS et destiné pour la commercialisation locale varie de 92 mille à 160 mille tonnes (chiffres de 2018). En 2022, l’usine de raffinage n’a produit qu’environ la moitié des besoins nationaux en sucre. L’Office du commerce a, alors, importé 244,1 mille tonnes de sucre pour 414 millions de dinars. La quantité de sucre importée à presque doublé en 2023 avec 370,2 mille tonnes de sucre pour 713,6 millions de dinars, sachant que le prix du sucre à l’importation a augmenté de 13,4%.

En dépit de cette augmentation, l’État a préféré continuer dans la même approche et importer ses besoins en sucre pour pallier les pénuries occasionnelles et les perturbations de l’approvisionnement, au lieu d’investir davantage dans la filière de betterave sucrière. Le ministère de l’Agriculture a adressé, récemment, une note aux exploitants de cette filière leur interdisant la culture de la betterave sucrière pour la campagne 2023-2024, dans une logique de préservation des ressources hydriques, de plus en plus rares dans une Tunisie en proie à des épisodes successifs de sécheresse.

Le président de l’Association des producteurs de betterave sucrière, Charfeddine Touati, nous a confirmé la nouvelle, non sans déception. À son sens, il existe des solutions pratiques qui permettent d’économiser de l’eau. Il suffit d’une récolte en avance en juin au lieu de septembre. Pour défendre cette culture, il ajoute qu’en comparaison avec d’autres légumes ou fruits qui consomment de grandes quantités d’eau telle que la pastèque, pour un mètre cube d’eau, nous aurons non seulement les cosettes dont l’industrie sucrière a besoin, mais également plusieurs autres produits tels que la mélasse et de l’ensilage.

 

La betterave sucrière, une mine d’or

Une tonne de betterave sucrière peut fournir en moyenne jusqu’à 150 kilos de sucre naturellement blanc, même si son rendement reste tributaire de la qualité des sols et des facteurs climatiques ou encore les procédés de culture. Ce qui n’est point contraignant, en partie, car la qualité des sols en Tunisie est propice et l’expérience marocaine prouve qu’il existe des alternatives pour remédier à la problématique de la sécheresse comme les systèmes de nano-irrigation. Pour que les performances escomptées de cette culture soient atteintes, il faut tout de même, qu’elle soit accompagnée des techniques culturales appropriées.

En outre, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et la nutrition, la pulpe de betterave et la mélasse sont utilisées « pour la fabrication d’une vaste gamme de produits incluant (...) les aliments pour animaux, les bioproduits destinés à l’industrie (produits pharmaceutiques, plastiques, textiles et produits chimiques) et l’éthanol ». Les déchets de la betterave sont transformés en fourrage qui permet, à titre d’exemple, une économie de 200 kg d’aliments concentrés par vache laitière. Ses valeurs nutritionnelles ne sont pas à négliger surtout que les éleveurs souffrant de la hausse des prix de fourrage (la tonne de fourrage se vendait à 300 dinars en 2022) commencent à bouder la filière et à abandonner leur cheptel.

La betterave sucrière est aussi un élément important de la rotation des cultures. Elle libère, dans le sol, des matières organiques qui contribuent à améliorer le rendement des cultures de blé. Selon une déclaration du commissaire régional au développement agricole à Kairouan, Mourad Ben Amor, à Mosaïque FM, la culture de la betterave sucrière permet d’augmenter le rendement des céréales de dix à quinze tonnes par hectare.

 

L’importation coûte moins cher

Ces avantages ne semblent point convaincre l’État qui, selon le président de l’Association des producteurs de betterave sucrière, applique encore les mêmes mesures incitatives élaborées dans les années 80 au lancement de la filière. Selon l’Onagri, « les surfaces des emblavures de betterave à sucre ont varié durant les années 70 jusqu’aux années 90 entre 3 mille ha et 6 mille ha, pour rechuter à 500 h en 1999 ». Actuellement, les producteurs cultivent entre 500 et 1.800 hectares par campagne depuis 2012 avec un rendement moyen de 60 à 70 tonnes par hectare. Or, selon Charfeddine Touati, l’usine de transformation de sucre à partir de la betterave sucrière (Ginor) aurait besoin d’un minimum de 4 mille hectares cultivables pour assurer sa rentabilité et tourner à pleine capacité. En 2020, cette usine assurait 5% des besoins nationaux en sucre.

Si les surfaces cultivées demeurent minimes en comparaison avec les besoins de cette usine, c’est parce que les agriculteurs, eux-mêmes, semblent préférer d’autres cultures maraîchères, plus rentables ; les mesures incitatives de l’État n’étant pas suffisantes. La filière a même été totalement abandonnée en 2000. « La décision d’abandonner la pratique de la culture de betterave à sucre a été prise (...) pour des raisons notamment liées à la non-justification économique de l’activité et à la forte concurrence des prix à l’importation de sucre blanc », lit-on dans un rapport de l’Onagri.

Elle a été relancée plus tard en 2012 sous la pression sociale. Charfeddine Touati nous explique que la filière assure certes des emplois, mais reste peu profitable. Pour un hectare de betterave sucrière, il faut compter pas moins de neuf mille dinars de dépenses tous frais inclus, selon le président de l’Association des producteurs de betterave sucrière. L’Onagri affirme dans ce sens en se basant sur un rapport du ministère de l’Agriculture et de la GIZ, qu’ « il serait nécessaire (...) de prévoir le réajustement des mesures incitatives pour les différents acteurs ».

 

Un investissement lourd

En ces temps de crise, l’investissement serait, cependant, lourd. Si l’on se réfère aux chiffres avancés par M. Touati, les 4 mille hectares dont la Ginor a besoin pour assurer une bonne production, ne fourniraient en tout que 36 mille tonnes dans le pire scénario (4 mille hectares x 60 tonnes de betteraves par hectare x 150 kilos de sucre) et de 72 mille tonnes de sucre dans le meilleur scénario (4 mille hectares x 120 tonnes de betteraves par hectare x 150 kilos de sucre), sachant que la Ginor a une capacité maximale de production de 40 mille tonnes par an. Cela équivaut dans le premier cas de figure à 1/10 des besoins nationaux en sucre et dans le second à ⅕. Si l’État devait prendre en charge la production de betterave sucrière, cela lui coûterait pour les 4 mille hectares en question l’équivalent de 36 millions de dinars, sans parler du coût de transformation de la Beta vulgaris en sucre. En d’autres termes, en cas de mauvaise récolte, l’État aurait à dépenser pas moins de 360 millions de dinars pour assurer uniquement le 1/10 des besoins nationaux en sucre alors que l’importation de l’ensemble de ces besoins lui coûte, selon les chiffres de 2023, 730 millions de dinars.


De plus, si l’on prend en considération l’expérience marocaine, dans le meilleur des scénarios, la production de betterave sucrière ne pourrait assurer que la quart des besoins nationaux en sucre. Au Royaume chérifien, la culture de la betterave à sucre occupe annuellement une superficie de 65 mille hectares environ et permet de produire près de 26% des besoins du pays en consommation de sucre. Pour le cas de la Tunisie et selon l’Onagri, l’extension des superficies emblavées en betterave à sucre à 4.500 ha pourrait assurer une production escomptée de betterave à sucre estimée à 400 mille tonnes ce qui assurerait à la Ginor un fonctionnement à pleine capacité et une production de 40 mille tonnes de sucre blanc. Des chiffres loin, bien loin de couvrir ce dont le pays a besoin pour nourrir les bouches avides de sucreries. 

 

Nadya Jennene

25/12/2023 | 12:00
7 min
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Commentaires
Fatnassi
Culture betteraves
a posté le 27-12-2023 à 21:35
Je vous en prie, arrêtez de pousser la culture de betteraves sucrière pour la fabrication de sucre. Ce n'est pas rentable. La société tunisienne de sucre de beja produisait en 3 mois 15000 tonnes environ pour toute une culture saisonnière de betteraves. Ce n'est pas rentable et la tonne de sucre coûte horriblement chair. Cependant on peut cultiver la betterave à sucre, du mais et de la colsa uniquement pour fabriquer la nourriture pour le bétail car cela favorise la lactation et en même temps cela enrichi la terre pour les cultures céréaliers. Je suis ingénieur en retraite de la société tunisienne de sucre et j'etais dans le domaine. Prière arrêter d'induire les néophytes dans l'erreur. L'avenir de l'économie tunisienne sera dans l'erreur.
Camus
Subventions
a posté le 26-12-2023 à 08:49
Je ne vois pas personnellement que le sucre soit subventionné. Ce n est pas une denrée de première nécessité
En plus son prix relativement bas encourage la consommation excessive
Le pain et le lait sont prioritaires
DHEJ
Qui est GINOR?
a posté le 25-12-2023 à 17:28
Qui ne veut pas sa réussite?

GHORBEL Naïm
apporter des précisions
a posté le 25-12-2023 à 15:41
Bonjour
Je vous remercie pour cet article qui traite un sujet très important pour l'économie du pays et sa sécurité alimentaire. Ce pendant je souhaite apporter les précisions suivantes :
Les emblavures sont plus importantes que les subventions. L'erreur et de supposer qu'en augmentant les surfaces le coût supporté par la Tunisie augmentera aussi. Au contraire et à partir de 3000 hectares de betterave à sucre l'activité d'extraction du sucre atteint son équilibre et n'a plus besoin de subvention. La subvention doit aller à l'agriculteur pour l'encourager à pratiquer la rotation des cultures et garantir la fertilité des sols.
L'usine de Jendouba (GINOR) peut traiter la betterave de 4 500 hectares et peut aller à 5000 hectares avec une durée de campagne de 90 jours et l'usine de Beja peut traiter 2500 hectares soit au total 7500 Hectares de betterave ce qui permet à la Tunisie d'assurer 100 000 tonnes de sucre soit plus de 25% de ses besoins en sucre blanc. Le reste des besoins peut être raffiné dans ces deux usines en dehors des campagnes de transformation de la betterave et assurer plus d'emplois à Béja et à Jendouba.
La culture des 7 000 Hectares de betterave assurera des coûts de production en dessous des coûts d'importation du sucre blanc en plus des autres avantages en termes d'assolement et de gain en productivité des céréales l'année suivante, l'autosuffisance en mélasse pour la production de la levure boulangère et en pulpe de betterave pour l'alimentation des vaches laitières.
L'Europe donne une importance capitale à la protection de la filière betterave à sucre en assurant des encouragements aux agriculteurs et en imposant une taxe douanière à l'entrée de ses frontières de 419 euros par tonne de sucre blanc et 339 euros par tonne de sucre roux.
L'Egypte a encouragé la culture de la betterave à sucre (moins consommatrice d'eau que la canne à sucre) et bien qu'elle consomme 3.2 millions de tonnes de sucre par an (soit presque 10 fois la Tunisie). L'Egypte a inauguré en 2023 deux nouvelles usines de production de sucre de betteraves.
L'Algérie est en phase d'assurer son autosuffisance en produisant ses besoins en sucre à partir de la betterave et a réservé un budget de deux milliards d'euros pour la betterave à sucre.
Le Maroc assure son autosuffisance de cette matière en cumulant la production du sucre à partir de la betterave et de la canne à sucre en plus du raffinage de sucre roux localement.
Rappelons que quand la Tunisie importe du sucre les marges vont aux agriculteurs et aux industriels Brésiliens, indiens ou Thaïlandais et par conséquent la Tunisie subventionne des producteurs étrangers alors qu'elle peut produire localement et faire profiter les agriculteurs Tunisiens.

Espoir!
Oui, vous l'avez bien deviner, je suis paysan et je suis fier de l'être....
a posté le 24-12-2023 à 12:44
Je ne prends jamais de sucre ou de gâteaux sucrés, je ne bois pas de café, au petit déjeuner je mange des figues fraîches ou séchées , je ne mange pas de viande, je ne bois pas d'alcool, je n'ai ni télé, ni computer, ni téléphone et ni smartphone, je marche les pieds nus, je travaille la terre du levée au couchée du soleil afin de nourrir les Tunisiens... Oui, vous l'avez bien deviner, je suis paysan et je suis fier de l'être....

bonne journée
Fehri
Bull shit
a posté le à 15:33
Tunisie=sucre=pain
Espoir!
Errata
a posté le à 14:04
vous l'avez bien deviné,
Jilani
Le Tunisien doit changer ses habitudes alimentaires
a posté le 24-12-2023 à 12:21
Je connais des personnes qui mettent plus de 5 morceaux de sucre dans un express ou capuccino. Il faut alerter sur la consommation de sucre et ses méfaits en maladie et autre. Le Tunisien dit apprendre à boire son café sans l'ajout de sucre devenu une habitude en Europe depuis les années. N'oublions pas ces fêtes et mariages ou le sucre est consommé à gogo. Il faut aussi arrêter la subvention de ces produits pour encourager d'autres alternatives.