L'annulation des 20 % au baccalauréat, un pas dans la réforme éducative ?
La réforme tant attendue en Tunisie est annoncée; après l’annulation des 5% l’année dernière, le ministre de l’Education, Néji Jalloul, finit par annuler les 20 % dans la moyenne de l’épreuve du baccalauréat à partir de l’année prochaine 2016-2017, entamant ainsi la mise en application des 100 mesures qu’il a déjà évoquées en 2015 prévues pour l’année 2016. Toutefois, le cheminement des réformes parait assez difficile face à multiples problèmes structurels qui sont en train d’entraver l’optimisation du système éducatif.
Depuis la révolution, plusieurs réformes ont été adoptées au sein du système éducatif qui étaient parfois saluées et beaucoup d’autres rejetées par les parents et les enseignants. Annuler la semaine bloquée une fois, fusionner les trois trimestres en deux semestres une autre et annuler une fois pour toutes le 20 % dans la moyenne de l’épreuve du baccalauréat ont suscité plusieurs réactions. Les 100 mesures du ministère, qui paraissent assez difficiles et complexes à mettre en place, semblent aller bon train sous le feu de critiques venant de la part des parents et des enseignants.
Des considérations relatives à l’infrastructure de nos écoles et lycées, la baisse du rendement de nos élèves, et la disparité régionale et sociale à laquelle fait face l’élève tunisien mettent la lumière sur une situation grave.
Le ministre de l’Education n’est pas pour autant inconscient de la situation. Suite à plusieurs visites à des lycées des régions intérieures, le ministre a parlé d’une situation « catastrophique », et d’une « lamentable » infrastructure des établissements scolaires. Il a également affirmé que « le ministère s’est trouvé face à deux solutions : attendre le trésor qui n’a pas les moyens ou recourir à la société civile et aux parents d’élèves ». Il y a unanimité sur le fait que le secteur éducatif souffre d’une crise sans précédent. Par conséquent, la qualité de l’enseignement et le rendement de nos élèves marquent une baisse incontestable.
L’annulation des 20 %, une décision qui est, à l’origine, l’initiative de l’ex-ministre Abdellatif Abid sous le gouvernement de la Troïka, vise à améliorer le niveau global des élèves tunisiens. « Les 25% nuisent à la crédibilité des examens du baccalauréat et au niveau de nos futurs étudiants. Le baccalauréat a perdu son aspect élitiste et sa crédibilité depuis l’adoption des 25 % » avait déclaré une enseignante du secondaire.
« Il fallait prendre cette décision depuis des années et depuis qu’on a constaté la détérioration du niveau de nos élèves. Beaucoup passent à la faculté grâce à des moyennes gonflées. Les lycées privés ont mis la cerise sur le gâteau avec des moyennes gonflées qui atteignent 17/20 pour un élève qui ne mérite pas, dans le meilleur des cas, 7 de moyenne. Les 25%, liées à l’ère de Ben Ali, est le résidu d’un régime qui a tout fait pour avoir la mainmise sur le système éducatif. En tout état de cause, on est face à un système en décadence » a déclaré un enseignant de secondaire.
Pour en revenir à la détérioration du système éducatif en Tunisie, dans le dernier classement triennal du programme PISA, « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » (2013), les élèves tunisiens obtiennent des résultats largement inférieurs à la moyenne et ils se classent parmi les derniers. La Tunisie est désormais classée 56ème sur 65 pays. Par conséquent, on n’est plus surpris de voir nos universités, qui jusqu’au années 90 avaient reçu les meilleurs chercheurs internationaux, ne figurent plus dans les comparaisons internationales, donnant lieu, en fin de boucle, à la montée du chômage chez les diplômés de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, 5 ans après la révolution, Le nombre de diplômés chômeurs de l’enseignement supérieur est estimé à 242 mille au troisième trimestre 2015 et à 212,4 mille au deuxième trimestre 2015, ce qui correspond respectivement à un taux de chômage de 32% et de 28,1%.
« Il est temps de tirer la sonnette d’alarme sur la situation du système éducatif » nous a confirmé une retraitée de l’enseignement secondaire. « La situation est alarmante depuis l’adoption des 25 % qui a boosté « l’industrie des cours particuliers », la fainéantise de certains enseignants à assurer la bonne formation à leurs élèves, la dépendance de l’élève aux cours particuliers qui sont suivis par des notes plus au moins gonflées et ainsi de suite» a-t-elle souligné. Entre les « barons » des cours particuliers, et la pression de certains professeurs qui harcèlent leurs élèves pour rejoindre les groupes de cours particuliers, la crédibilité de système éducatif est perdue. Toutefois, la situation, telle qu’elle est, suscite de nombreuses questions sur l’efficacité de cette quantité de réformes.
La réforme du système éducatif parait plus difficile à mettre en œuvre face aux disparités entre les milieux socioéconomiques. En dépit de toutes ces réformes successives adoptées et parfois rejetées, le système éducatif a besoin de plus que des mesures quantitatives qui touchent uniquement à l’innovation pédagogique et à la refonte des programmes. « Le ministère de l’Education doit passer d’abord à la réforme qualitative et recourir à l’évaluation du milieu socioéconomique de l’élève. Plus la performance de l’élève empire, plus c’est lié à la qualité de l’enseignement mais essentiellement à la qualité de l’infrastructure du système scolaire, et la disparité entre les milieux socioéconomiques des élèves qui engendrent l’abandon scolaire dans certaines régions intérieures. Aujourd’hui en 2016, une majorité d’écoles, collèges, lycées ne disposent pas des outils et des moyens indispensables à la formation » nous a confié un jeune chercheur en sociologie.
Revenant sur l’infrastructure des établissements et le milieu socioéconomique, un nombre d’incidents à plusieurs lycées et écoles ont dernièrement provoqué la polémique sur les réseaux sociaux. Un sanglier s’introduit dans un collège dans la cour du collège de Zaouiet Jedidi à Beni Khaled dans le gouvernorat de Nabeul et attaque un élève. Blessé à la jambe, l’élève est transféré à l’hôpital Tahar Maâmouri où il reçoit les soins nécessaires et un traitement d’insuline. Juste après ses déclarations d’annuler les 20 % du baccalauréat, le ministre de l’Education, Néji Jalloul, est intervenu aujourd’hui 2 février 2016 sur Mosaïque sur le plateau de Linda Rahali pour déclarer que le ministère se chargera d’enquêter sur l’incident et s’assurera du traitement de l’élève.
Quoique des incidents de ce genre fassent l’objet d’un suivi particulier de la part du ministère de l’Education, d’autres incidents continuent à faire polémique dans les journaux et les plateaux de télévision, notamment, la fermeture de quelques lycées suite à la propagation de la pédiculose entre les élèves. Mieux encore, L’effondrement d’une partie du toit de l’école primaire dans la région d’El Ghaba Sawda dans la délégation de Saïda au gouvernorat de Sidi Bouzid a suscité la rage des habitants de la région qui ont décidé de porter plainte contre les responsables. Les parents s’indignent contre les conditions lamentables des établissements secondaires et jugent incongru l’absence de l’encadrement administratif et psychologique pour les élèves.
Pour sa part, le ministère n’endosse pas à lui seul la responsabilité de rétablir l’équilibre scolaire, et invite les décideurs, les parents et la société civile à mettre en œuvre les réformes et les mesures nécessaires pour améliorer l’infrastructure des établissements scolaires afin de ré inculquer l’esprit de performance dans les milieux scolaires. Le ministre de l’Education, Néji Jalloul, s’est montré flexible aujourd’hui 2 février 2016 sur les ondes de Mosaïque Fm en soulignant la nécessité de mettre en œuvre un débat national autour des mesures pédagogiques et problèmes qui résident au sein du système éducatif.
N’empêche, le cheminement des réformes se trouve face à des problèmes structurels qui entravent le système éducatif. Il est impératif de recentrer l’éducation dans le débat politique tant que ce secteur touche un axe primordial dans le développement de notre pays. L’annulation des 20 % et le fusionnement des trimestres font un pas dans le cheminement de la réforme éducative. Cependant, il est temps de localiser et mettre le doigt sur les problèmes en entamant les projets nécessaires de restructuration et en reformulant les objectifs et la dynamique de l’enseignement de base et secondaire.
Emna Bedhiafi