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Chroniques
La République, c’est moi !
22/10/2018 | 15:59
5 min

Par Nizar Bahloul

 

Il s’appelle Jean-Luc Mélenchon, il est une grande figure de la gauche française, un grand ami d’une certaine gauche bobo tunisienne, il a été député européen et il est actuellement député à l’Assemblée française et leader du Mouvement « La France insoumise ». Mardi dernier, son domicile ainsi que celui de plusieurs de ses collaborateurs et le siège de son parti ont fait l’objet de perquisitions judiciaires. Des perquisitions qui se sont mal passées pendant et à la suite desquelles Mélenchon s’est survolté contre la Justice, le pouvoir et les médias.  

« La République c’est moi », s’est écrié Jean-Luc Mélenchon devant les policiers et les représentants de la procureure avant de leur dire « Ma personne est sacrée, je suis parlementaire ».

Tout au long de la semaine, l’Insoumis s’est lâché contre les magistrats qui seraient à la solde du pouvoir politique, des politiques qui manipulent le parquet et des médias vendus. Haro contre tous ! Les magistrats : « est-ce encore l’Etat de droit ? », s’interroge-t-il. La macronie : « Aujourd'hui, le pouvoir politique dispose de toutes les informations sur la vie du Parti de gauche depuis sa création en 2008 ». Les médias seront ceux qui ont été les mieux servis par Mélenchon et cela dure depuis des années avec lui à vrai dire : « Pourrissez-les partout où vous pouvez […] les journalistes de France-Info sont des menteurs, des tricheurs, des abrutis ». Il s’en prend particulièrement à Mediapart dont le président Edwy Plenel est « le chef de tout ça », les autres journalistes étant « juste des pantins qui font ce qu'il dit ».

 

Jean-Luc Mélenchon est aux médias français ce que Moncef Marzouki est aux médias tunisiens. Aussi bien de ce côté de la Méditerranée que de l’autre, les relations entre ces hommes politiques de gauche et les médias sont tendues. Et quand on les touche, ils atteignent le sommet de la dramatisation et de la victimisation. Tous les deux sont spécialistes de la paranoïa et de la complotite. Quand la justice va perquisitionner chez Fillon en pleine campagne électorale, c’est normal. Mais quand ce sont eux qui sont concernés, c’est le drame. Quand c’est la vie privée de François Hollande qui est touchée, Mélenchon répond qu’il y a un impact public et que ça l’intéresse. Mais quand c’est la vie privée de Mélenchon qui est touchée, il parle d’ignominie.

En termes d’hypocrisie et de « deux poids deux mesures », Mélenchon et Marzouki méritent tous les deux des médailles d’or.

 

Si Mélenchon est évoqué dans une chronique qui s’est souvent intéressée exclusivement à la politique tunisienne, c’est pour attirer l’attention sur les similitudes qu’ont les hommes politiques tunisiens avec leurs homologues français. Culturellement et historiquement, nous restons de (mauvais) clones de la France. Quand Mélenchon dit « la République c’est moi », il est utile de nous interroger combien y a-t-il d’hommes politiques tunisiens capables de prononcer sérieusement cette phrase et de se comporter comme tels. Combien parmi nos hommes politiques ont ces relations tendues, sournoises et insidieuses avec le pouvoir politique, judiciaire et médiatique ? Rien qu’avec les événements de cette semaine, on en a un lot.

Interrogez Hafedh Caïd Essebsi et il vous dira « la République, c’est moi ! ». Interrogez Youssef Chahed et il vous dira « la République, c’est moi ! ». Interrogez Slim Riahi et il vous dira « la République, c’est moi !». Interrogez Béji Caïd Essebsi et il vous dira « la République, c’est moi !». Interrogez Sihem Ben Sedrine et elle vous dira « la République, c’est moi !». Interrogez Moncef Marzouki et il vous dira « la République, c’est moi ! ». Interrogez Noureddine Taboubi et il vous dira « la République, c’est moi !».

 

Des exemples pour illustrer ? Il y en a à la pelle. Il suffit de voir leur comportement et leurs propos quand leurs adversaires subissent des déboires judiciaires et les comparer à leurs propres déclarations quand ils sont eux-mêmes face à la justice. Celle-ci est juste et aveugle quand il s’agit de leurs adversaires et elle est aux ordres du pouvoir et manipulée quand ils la subissent. Les médias sont transparents, indépendants et honnêtes quand ils chantent leurs louanges, mais les mêmes médias deviennent vendus (en contrepartie de l’argent britannique) quand ils déballent leurs casseroles.

Hafedh Caïd Essebsi est estomaqué par la justice quand elle s’en prend à Borhen Bsaïs et Chafik Jarraya, mais il est satisfait quand elle ménage ses affaires ou celles de Slim Riahi.

Sihem Ben Sedrine trouve normal que la justice examine de nouveau des affaires déjà jugées (ce qui est contraire à la Constitution et aux droits internationaux), mais elle envoie cette justice balader quand elle prononce des jugements contre elle. La République c’est elle, la présidente de l’IVD a même envoyé l’Assemblée balader en continuant à traiter des dossiers et en surenchérissant sur le dos des victimes et des martyrs, alors que les députés ont voté l’arrêt immédiat de ses activités.

Noureddine Taboubi trouve normal de s’immiscer dans les affaires de l’Etat et imposer son avis sur la privatisation des entreprises publiques, alors que le peuple a élu 217 députés pour ce faire.

 

S’il y a bien une menace contre la Justice et contre la République, elle provient bel et bien de cette « race » des Mélenchon and co. De cette classe politique, notamment la gauche bobo pour qui le droit n’est applicable que contre leurs adversaires et qui considèrent la République comme étant là à leur service exclusivement. Que cela touche la France, passe encore, car la menace est insignifiante vu l’âge de la République française et sa démocratie, mais en Tunisie (dont les politiques sont des suiveurs de leurs homologues français) la menace est grave, car c’est tout l’édifice qui risque de s’écrouler. En France, les garde-fous sont nombreux, en Tunisie ils sont quasi inexistants. En France, il n’y a que quelques fous-mauvais-joueurs qui gesticulent et vocifèrent, en Tunisie ces fous-mauvais-joueurs sont au pouvoir et dans l’opposition. En France, la République est « menacée » par les postillons de Mélenchon. En Tunisie, la République est réellement menacée par sa classe politique dont la droite islamiste qui veut la transformer en califat.

22/10/2018 | 15:59
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