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La Poste de Tozeur : Retour sur une affaire qui a ébranlé la justice
23/06/2016 | 16:59
6 min
La Poste de Tozeur : Retour sur une affaire qui a ébranlé la justice

Jean Paul Sartre parlant de la fonction de la police disait : « Il ne s’agit pas tellement d’appliquer la loi que d’obtenir un comportement normal, conforme des individus ».

En refusant de violer les procédures administratives, lorsqu'un un agent relevant du tribunal de Tozeur voulait retirer un courrier administratif sans être muni d'un titre de délégation administrative délivré à cet effet,  Ahmed Ben Othman a eu un comportement « anormal », il a dit « non » au procureur de la République, il est donc passé en quelques heures de son bureau à la poste à la case prison sans passer par la maison pour prévenir sa femme et ses trois enfants.

 

Nous sommes le 15 juin 2016, le chef du bureau de poste de la ville de Tozeur, Ahmed Ben Othman reçoit un coursier missionné par le procureur de la République près du Tribunal de Tozeur pour récupérer du courrier. A défaut de présenter une procuration spécifique, et conformément à la loi, l’agent postal refuse de remettre le courrier. Le procureur furieux, le fait alors convoquer puis le fait traduire devant le juge cantonal qui émet immédiatement un mandat de dépôt. Quelques heures plus tard, M. Ben Othman est arrêté et placé en garde à vue.

 

La réaction de l’administration générale de La Poste tunisienne fut immédiate. Dans un communiqué officiel, l’administration a fait savoir qu’à partir du moment où elle a eu connaissance des faits, elle a commencé à travailler avec les différentes parties et a entamé les procédures juridiques pour le faire acquitter. Pour l’administration, le problème pouvait être résolu administrativement en appliquant les procédures d’usage.

 

Une première demande de libération fut alors formulée par l’avocat en charge de l’affaire en date du 16 juin 2016, elle fut rejetée le jour d’après. Une deuxième a donc été présentée le 20 juin.

Cette arrestation qui survient en plein mois de ramadan fut un choc pour la famille du postier. Assez déstabilisante pour empêcher le jeune fils de l’employé d’aller passer l’épreuve de la sixième année de base.

 

L’UGTT monte alors au créneau et annonce qu’une grève générale des agents de la poste sera ouverte dans les différentes régions du pays jusqu'à régularisation de la situation.

« La forme de la grève ainsi que les moyens de militantisme à adopter lors de la période à venir seront décidés à la lumière de la réunion des syndicats régionaux de la poste prévue ce 21 juin », avait alors déclaré le secrétaire général du syndicat de la Poste de l'UGTT, Habib Mizouri à l'agence TAP.

 

Face à cette réaction de l’UGTT, l’instance provisoire de l’ordre judiciaire a lancé un appel aux magistrats, via un communiqué publié le 19 juin, les incitant à ne pas céder « aux pressions illégitimes qui sont de nature à nuire à l’indépendance de leurs décisions ». Le ministre de la Justice a été également appelé à respecter le principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la magistrature. L’instance a fait savoir qu’elle réfute toute pression visant à changer le verdict concernant l'agent de la Poste en question.

Kalthoum Kennou, ancienne présidente de l'association des magistrats tunisiens a commenté l’affaire comme suit : « Quoiqu'il arrive, grève ou pas, je ne changerai jamais mon verdict, sauf dans le cas de révélation d'autres éléments dans le dossier pouvant le justifier »

Un bras de fer entre les deux corporations, celle des magistrats et celle de la Poste, qui n’a pas empêché certains juges, d’exprimer leur désapprobation face à la décision du juge cantonal de placer Ahmed Ben Othman en état d’arrestation.

« L’article 315 du code pénal stipule que le refus d’obtempérer aux ordres, comportera une infraction avec une sentence maximale de 15 jours de prison » a déclaré le juge Ahmed Souab, lors d’une allocution sur la radio Shems FM, après avoir spécifié que les éléments qu’il a pu étudier du dossier montrent un non-respect de la constitution qui stipule la présomption d’innocence et la prise en compte des intérêts de la famille.

 

Le juge Souab a ajouté que la détention préventive est indiquée dans des crimes graves afin, notamment, d’éviter une fuite ou une récidive et que dans le cas présent, il s’agit au pire d’une infraction, comme déjà relevé.

Le journaliste et militant des droits de l’Homme, Zied El Heni a lui aussi réagi, sec, face à ce qu’il a qualifié d’injustice en déclarant : « L’ère où le juge mettait les gens en prison selon son gré et sans rendre des comptes, est révolue. On ne va plus permettre son retour. Nous n’allons pas nous résigner ! ».

Il a été aussi l’un des premiers à annoncer la libération provisoire du citoyen Ben Othman, mercredi 22 juin au soir, dans un post sur sa page Facebook. Il s’est, en effet, félicité de la libération du postier qu’il considère comme étant une victoire pour tous les Tunisiens et pour le prestige de la magistrature fondée sur l’objectivité et l’équité.

Une libération décidée par le tribunal cantonal de Tunis, qui n’est que provisoire. Basée, juridiquement, sur le fait que l'agent a un casier judiciaire vierge avec une adresse et un emploi connus.

 

Le postier, libre depuis mercredi donc a donné sa première interview au journal « Echaâb », dans laquelle il a exprimé l’état de choc qui s’est emparé de lui lors de son arrestation : « Je n’imaginais nullement qu’on me mettrait en prison pour mon obstination à appliquer la loi. Je pensais qu’on m’avait invité au bureau du procureur de la République pour me féliciter de ne pas m’être plié à des ordres contraires à la loi ».

M. Ben Othman a ensuite souhaité rendre hommage à ses collègue « les mots me manquent pour exprimer ma joie face l’engouement dont ont fait preuves mes collègues et amis. Je sens que je fais partie aujourd’hui d’une grande famille ».

 

A travers un post publié ce jeudi 23 juin, sur sa page officielle, l’UGTT fait savoir que le juge a décidé de renvoyer le verdict dans cette affaire au 11 juillet 2016. Entre temps, les enfants Ben Othman peuvent à nouveau avoir leur « papa » à la maison. D’ailleurs, toute la famille du postier de Tozeur a été reçue aujourd’hui au siège de l’UGTT par le secrétaire général Houcine Abassi.

 

Cet incident aura mis aux prises deux corps puissants en Tunisie, celui du syndicat et celui des magistrats. Ces derniers se sont rangès derrière leur confrère de manière massive. Quant à l’UGTT, elle a apporté un soutien décisif qui aura permis, au moins, de faire transférer le dossier à un tribunal cantonal de Tunis. La question aujourd’hui est de savoir si l’Etat compte prendre le relais dans cette affaire sachant que le procureur de la République dépend directement du ministère de la Justice…

 

 

Sofiene Ahres

 

23/06/2016 | 16:59
6 min
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Commentaires (24)

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Monday
| 27-06-2016 10:39
Pourquoi jusqu'à présent le juge n'a pas été puni pour son acte et son dépassement de la loi? Pourquoi?

Que fait cette Kannou dans cette situation? pourquoi il n'ont pas traduit ce juge au conseil de discipline?
c'est quoi cette mascarade et ce dépassement de l'autorité conféré par le citoyen lui même à ce corps? ils se croient au dessus des lois et de tous le monde?

Et le droit du postier, qui va le guarantir et le lui rendre ? ou est son dédommagement pour cette "tbahthila" et cette atteinte à son intégrité physique et morale? "bhim gudem kar3aa", c'est ca?

Bravo (malgrè le désagrément causé) à la poste qui a démontré qu'ele est du coté de la lutte pour la justice, puisque cette dernière s'est avérée incapable de gérer et surtout de donner l'Exemple à suivre.

"W itha hamiha haramiha, fa 3ala eddeniya Essalèm"!

Givago
| 26-06-2016 08:12
Depuis le 14/01/11 nous attendons que les lois soit appliqués dans la vie de tous les jours,pourquoi? Pour ne pas se retrouver dans cette situation,d'une manière générale le tunisien n'aime pas les règlement, les lois,la dicipline,et c'est pour ça qu'on se retrouve dans une merde sans nom partous.alors moralitée,pour que ça marche il faut des responsables sans pitiée et tous les échelles. Et pour finir ce procureure doit étre révoqué un point et c'est tout.

TeTeM
| 24-06-2016 14:50
Pour une fois que l'UGTT a raison de faire grêve...

C'est un déni de justice car celui qui estime être lésé (la justice) et aussi celui qui instruit l'affaire. Il est donc juge et parti ce qui est contraire aux règles d'impartialité!

Le postier a appliqué la Loi et le Procureur de la République est également sensé l'observer. Or on voit clairement que ce n'est pas le cas... Ce procureur doit être rétrogradé et muté!

Reste une question : Qui va réparé le préjudice subit par le postier et sa famille?...

Quitus
| 24-06-2016 13:41
il faut exemplarité de la sanction; ce soi-disant magistrat doit être révoqué, c'est un danger public. Qu'est ce qui empêchera un de ses collègues de récidiver ?

tounsi
| 24-06-2016 13:38
*** falsifie des contrats est acquittée et le postier est arreté pour avoir appliquer la loi foutaises alors

MGH
| 24-06-2016 13:09
''A l'occasion de cette triste affaire, pourquoi le ministre de la justice ne donne pas ses instructions pour ne pas incarcérer les prévenus dans les délits mineurs de manière à préserver la présomption d'innocence .

dr mohamed sellam
| 24-06-2016 12:53
Un postier, à mettre un diadème sur sa tête !!
En vérité,je me sens mortifié de voir à quel degré de décadence est tombée la justice dans notre pays'
Un procureur de la République prétendait détenir à lui seul le monopole de la justice..Il croyait avoir le pouvoir de jeter en prison toute personne qui oserait lui dire qu'il n'était pas au-dessus des lois et qu'il n'est rien d'autre qu'un simple citoyen comme tous les citoyens de ce pays..Avoir l'impudence de jeter à l'ombre un homme parce qu'il est sérieux dans son travail,qu'il refuse de violer les règlements de son entreprise,qu'il refuse d'être prévaricateur,en faisant montre de beaucoup de volonté et de dévouement dans son métier,cela relève en fin du compte de l'absence chronique d'esprit de justice et d'intégrité'Le juge cantonal, qui a émis le mandat de dépôt, ainsi que le procureur de la République,outre leur limogeage immédiat,doivent être traduits devant une cour spéciale pour abus de pouvoir,incompétence, et absence de conscience professionnelle'
À voir absolument sur www.librairiedialogues.fr : La Gerbe de feu - Dr Mohamed Sellam - Edilivre ' Aparis http://www.librairiedialogues.fr/livre/8878665-la-gerbe-de-feu-dr-mohamed-sellam-edilivre-aparis

DHEJ
| 24-06-2016 11:36
Un référendum est un must pour éjecter le procureur de la république et le juge cantonal!!!

DHEJ
| 24-06-2016 11:03
Et si les deux juges cités dans l'article à savoir A.SOUAB et K. KENNOU nous disent si le juge cantonal a dans ses prérogatives d'émettre un mandat de depot ou non?


Encore mieux, le juge A. SOUAB a bien fait de parler de l'article 315 du code pénal et son 1° paragraphe!


Et je me demande si le Juge A. SOUAB insinue-t-il que le procureur est L'AUTORITE COMPETENTE du postier, un postier qui s'est conformer aux prescriptions des règlements et arrétes prix par SON AUTORITE COMPETENTE de tutelle?!



L'article de la loi dit:

Sont punis de quinze jours d'emprisonnement et de quatre dinars huit cent millimes d'amende :

1°- ceux qui, ne se conforment pas aux prescriptions des règlements et arrêtés pris par l'autorité compétente,



Non JE DIS LA VERITE il ne faut pas mettre cette erreur sur le dos de Bourguiba et de ZABA, nos juges ont-ils besoin de subir des tests psychologiques pour diagnostiquer la graine du pharaon???

le guetteur
| 24-06-2016 10:27
Voila ce qui arrive a un honnete employe qui veut appliquer la loi face a une horde de magistrats se croyant au dessus de cette meme loi qu'ils sont censes appliquer,pauvre Tunisie!!!