La bombe à retardement Chafik Sarsar
Parfois la décision la plus dure consiste à partir. C’est parfois aussi la seule solution qui se présente. Chafik Sarsar a démissionné ce matin. « Une véritable catastrophe !», se sont empressés de commenter les acteurs de la scène politique, dans leur majorité. La démission du président de l’instance indépendante pour les élections, ainsi que deux de ses membres, à peine le calendrier électoral annoncé, ne pouvait laisser de marbre. Après moult tergiversations, les dates des élections municipales ont enfin été rendues publiques vendredi. Mais il est clair aujourd’hui, que si cette démission est maintenue, il faudra chambouler tout le calendrier. Les élections tant attendues n’auront pas lieu en décembre 2017. Ceci est un fait.
Les électeurs devront commencer à s’enregistrer sur les listes électorales à partir du 19 juin, mais comment faire s’il n’y aura pas de capitaine pour guider le navire ? Est-ce que Chafik Sarsar a choisi le bon timing pour démissionner ? Tout porte à croire en tout cas qu’il n’avait pas de meilleur choix.
S’il a refusé de s’exprimer en détail aujourd’hui sur les véritables raisons qui l’ont poussé, lui et deux des membres de l’instance, à présenter leur démission, ces raisons ne sont pas totalement inconnues. Chafik Sarsar se retrouve aujourd’hui au sein d’une équipe qui « ne lui convient plus », une équipe «dont les principes et valeurs sont éloignés des siens » et au sein de laquelle il appartient désormais à « la minorité ».
Chafik Sarsar affirme qu’il « ne pouvait pas faire autrement », que les démissionnaires étaient « obligés » de partir. On évoque ainsi des problèmes de fonctionnement au sein du conseil de l’instance. Des problèmes qui ne dateraient pas d’hier mais qui seraient tellement graves qu’ils représenteraient « une véritable menace sur le processus démocratique ».
L’instance des élections qui a réussi, depuis 2011, à mener un travail titanesque à travers l’organisation des élections de la constituante de 2011, suivies de celles législatives et de la présidentielle de 2014, se retrouve aujourd’hui face à un écueil. Un écueil tristement connu.
Des problèmes de fonctionnement interne, on en a connu chez le parti au pouvoir Nidaa Tounes en pleine crise de leadership depuis 2014 n’arrivant toujours pas à organiser son congrès. On en a vu aussi au sein de l’instance de la justice transitionnelle, la tristement célèbre IVD, dont les membres n’arrêtent pas de tirer à boulets rouges sur sa présidente Sihem Ben Sedrine appelant même à son départ. On en a vu aussi au sein même du gouvernement, dit pourtant d’union nationale, où les ministres sont limogés au gré des déclarations et des pressions et où les violons sont tous sauf accordés.
Prémices d’une véritable crise au sein d’une instance clé de la transition démocratique tunisienne, ces démissions « surprise », si toutefois elles sont maintenues, compromettront à coup sur la tenue des élections qu’on attend depuis des mois et dont les dates n’arrêtent pas d’être décalées. Mais cette crise serait profitable à bien des parties, des parties qui n’ont pas du tout intérêt à ce que les élections se tiennent à l’heure actuelle et qui ne sont pas encore prêtes à les affronter car, dans l’état actuel des choses, ce serait la défaite assurée.
Les élections municipales, même si elles ne déchaînent pas vraiment les passions, sont vitales aujourd’hui dans la mesure où elles permettront de redonner de l’ordre à des municipalités complètement défaillantes. Les indicateurs économiques seront directement impactés par le résultat de ces élections et le changement qu’elles apporteront. C’est donc peu dire quant à leur urgence.
La démission de Chafik Sarsar, Mourad Ben Moula et Lamia Zargouna de l’ISIE n’est pas encore officielle. Les trois membres de l’ISIE auront 48 heures pour se rétracter. S’il s’agit d’un ultimatum, cette démission est passée comme une lettre à la poste. Si elle est rendue effective, c’est tout le processus démocratique et l’économie, déjà fragile, du pays qui en seront ébranlés…